Les remous provoqués par une affaire récente très fortement médiatisée créent en nous un profond malaise. En nos qualités de garants des valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de la défense, nous nous posons la question du respect des valeurs auxquelles le citoyen doit légitimement tenir.

1. Dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire De Tandt », l’on assiste à une surenchère médiatique se fondant sur des hypothèses, voire des rumeurs, en l’absence de tout fait objectif ou démontré. Le plus souvent, les faits sont affirmés comme tels, sans même les aborder avec la prudence qui pourtant doit s’imposer. L’on peut, à cet égard, raisonnablement se demander si l’impact de l’information ainsi donnée ne cède pas trop facilement par rapport au principe indispensable de la vérification du contenu de l’information. Où sont les actes précis et les preuves qui établiraient la prétendue corruption de hauts magistrats ? Où sont les faux dont on les accuse ?

2. Le fait que l’information concerne une personnalité de premier plan devrait renforcer ce besoin de ne transmettre qu’une information vérifiée. Il n’en est toutefois rien. Au contraire, il semble que ce soit bien la personnalité de la personne concernée qui fasse l’événement et qu’il faille privilégier la communication immédiate de l’information en réclamant sa vérification ultérieure, faisant alors appel à divers rouages, judiciaires, disciplinaires, politiques ou même populaires.

3. De même, ce qui relève de la vie privée ne peut devenir public au seul motif que cela concernerait une personnalité publique. Devait-on et même pouvait-on évoquer une dette privée, pour en faire une cause de suspicion, faisant le lien avec une hypothèse, évoquée antérieurement, de corruption, alors qu’aucun fait quelconque ne peut aujourd’hui fonder une telle prévention de corruption ?

4. La présomption d’innocence conserve-t-elle, dans un tel contexte, un sens réel, en tout cas en dehors de la stricte sphère judiciaire, lorsque, médiatiquement, une personne est déjà condamnée ? Chacun de nous, dans une attitude purement citoyenne, doit être un combattant en faveur de cette présomption d’innocence qui, précisément, fait la différence entre un Etat de droit et un état sans droit. Elle doit exister au sein de la justice et du monde judiciaire autant qu’au sein de la société.

5. Ne faut-il pas prendre garde à ne pas se laisser instrumentaliser ? En l’absence d’informations établies, il semble bien que, dans l’affaire qui nous occupe, les prétendus faits sont distillés vers la presse par des organes de la police judiciaire, laquelle, officiellement, se retranche derrière le secret professionnel.

6. Il existe bien un secret professionnel visant, dans leurs rôles respectifs, les magistrats, les policiers ou les avocats. La violation de ce secret constitue une infraction pénale et donc grave. En l’espèce, si la police judiciaire souhaitait s’ouvrir au ministre de la Justice, elle pouvait le faire. En revanche, elle ne pouvait pas, en application tant du secret professionnel que de son devoir de réserve, faire des révélations publiques de quelque nature que ce soit, empêchant ainsi les mécanismes d’enquête de fonctionner dans le calme et la sérénité.

7. Le secret professionnel, au sujet duquel on a même pu lire qu’il avait « bon dos », constitue, à tout moment et uniquement, la protection même du justiciable. Il s’agit d’un principe qui doit, en toute circonstance et pour toute personne concernée, être appliqué avec la plus grande rigueur. Il ne peut y avoir un secret professionnel à géométrie variable.

8. Le paradoxe est que l’on crée ainsi toutes les conditions d’un manque de sérénité dans le traitement de cette affaire, alors que ce que l’on réclame avant tout du magistrat lui-même, c’est qu’il juge avec indépendance et sérénité.

9. La vitesse actuelle des moyens de communication et notamment de l’information circulant par le canal d’Internet nuit, de toute évidence, à la nécessaire réflexion de celui qui la communique et au principe du recoupement des sources. Cela entraîne un rythme complètement différent entre l’avancement d’une enquête et la demande du public. Ces deux rythmes sont incompatibles et ce d’autant plus que l’instruction judiciaire impose le secret, non pas dans le but de créer le brouillard autour de l’enquête ou de protéger illégitimement des personnes, mais, précisément, pour protéger l’instruction elle-même en lui donnant les meilleures chances d’aboutir. Ceux qui réclament la transparence sont donc dans l’erreur, non pas dans le principe qu’ils revendiquent mais bien dans le rythme qu’ils voudraient imposer. La transparence s’imposera ensuite mais uniquement lorsque l’instruction aura pu être menée à son terme. S’il existe alors des motifs de poursuite, un procès pourra avoir lieu, en toute publicité, avec toutes les garanties, et non pas de façon cachée et clandestine, comme cela se pratique dans les pays totalitaires.

10. Le barreau est un observateur privilégié, indépendant et sans complaisance, du monde judiciaire. Nous maintenons toute notre confiance en l’intégrité des magistrats, en tout cas jusqu’à preuve du contraire. Nous constatons que, dans les affaires qui défraient actuellement la chronique judiciaire, nous sommes extrêmement loin du moindre commencement de preuve du contraire. Toute autre attitude serait contraire à l’éthique et aux valeurs de la démocratie. Il nous a paru important d’émettre ces réflexions de nature à recentrer le débat démocratique, en appelant au calme, à la prudence, au respect de la personne, de la présomption d’innocence et des droits de la défense. Laissons suivre dans la sérénité leur cours aux procédures pénales et disciplinaires. Evitons de nous ériger en justicier sans dossier.

(Cet article a été publié par La Libre Belgique dans son édition des 22 et 23 août 2009. Justice en ligne remercie La Libre Belgique de l’avoir autorisé à le reproduire. Par dérogation aux conditions générales d’intervention et d’utilisation applicables au site www.justice-en-ligne.be, la reproduction du présent article n’est pas autorisée, sauf l’accord de La Libre Belgique)

Votre point de vue

  • KOULOS Kosta
    KOULOS Kosta Le 5 octobre 2009 à 12:59

    Bonjour à tous !

    Belle parole de ces éminents avocats, mais la réalité est tout à fait autre quant un simple citoyen demande réparation et de faire valoir ses droits contre un juriste (Magistrat – Avocat – etc..) !

    Certains Bâtonniers et Juges ne sont plus indépendants ni sans complaisance envers leur Confrère fautif, malgré les règles supposées strictes et précises de leur profession !

    La plupart des avocats et certains Juges bafouent encore sans vergogne leur Code de déontologie, il est temps que la justice fasse quelque chose pour défendre les droits du simple citoyen et ainsi faire respecter notre Etat de Droit « démocratique » !

    C’est l’intérêt aussi de ces professions honorables et magnifiques !

    K. K.

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Ancien bâtonnier de l’Ordre français des avocats de Bruxelles, Président de l’Institut des droits de l’homme du barreau de Bruxelles

Jean-Pierre Buyle


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Ancien bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles
Président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (avocat.be)
Administrateur de la Fondation Poelaert

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