L’ingérence du ministère public à l’égard du principe d’inviolabilité du domicile : la Cour constitutionnelle annule l’extension de la « mini-instruction » aux perquisitions

par Shelley Henrotte - 18 mars 2018

Dans le cadre des récentes réformes législatives, le ministère public s’était vu concéder le droit de solliciter un mandat de perquisition auprès d’un juge d’instruction par une voie simplifiée, dite de la « mini-instruction ».

Toutefois, à la suite de l’arrêt n° 148/2017 prononcé le 21 décembre 2017 par notre Cour constitutionnelle (cfr arrêt en format PDF ci dessous), ce droit a été supprimé. Elle considère que l’acte de mini-perquisition constitue une ingérence grave, sans garantie suffisante, dans le droit au respect de la vie privée et dans le droit à l’inviolabilité du domicile.

1. Dans le cadre de l’enquête pénale, le procureur du Roi est en charge de l’information. À cette fin, il dispose de compétences lui permettant de solliciter la réalisation de devoirs variés tels que l’audition, la privation de liberté (durée de 48 heures au maximum), la réalisation d’une saisie, l’identification d’un titulaire d’un numéro de téléphone, etc.

2. Les devoirs d’enquête susceptibles d’être sollicités par le ministère public sont, toutefois, limités par l’article 28bis, § 3, du Code d’instruction criminelle. Celui-ci précise que, « Sauf les exceptions prévues par la loi, les actes d’information ne peuvent comporter aucun acte de contrainte ni porter atteinte aux libertés et aux droits individuels. Ces actes peuvent toutefois comprendre la saisie des choses citées aux articles 35 et 35ter ».

En conséquence, certaines mesures considérées comme intrusives ou contraignantes sont réservées à la seule compétence du juge d’instruction.

Il s’agit, entre autres, de l’autopsie, du repérage et de la localisation téléphonique, des écoutes téléphoniques, du mandat d’arrêt (privation de liberté de plus de 48 heures), de l’ouverture des correspondances, de la levée du secret professionnel ou encore de la perquisition.

Si le procureur du Roi estime qu’un de ces devoirs doit être réalisé, il est alors tenu de saisir un juge d’instruction par un réquisitoire de mise à l’instruction. En vertu de l’article 56 du Code d’instruction criminelle, le juge d’instruction exerce alors l’ensemble des compétences du procureur du Roi – sous réserve de l’enquête proactive (article 28bis, § 2, du Code d’instruction criminelle) – en plus de ses compétences propres telles que visées ci-avant à titre d’exemple.

Le ministère public perd alors le contrôle de l’enquête au profit du magistrat instructeur.

3. Toutefois, l’article 28septies du Code d’instruction criminelle permet au procureur du Roi, dans le cadre de son information, de solliciter du juge d’instruction la réalisation de certains devoirs relevant de la compétence de ce dernier, sans pour autant se dessaisir des faits en sa faveur. Il s’agit d’un acte dit de « mini-instruction ». Il est renvoyé sur ce point à l’article d’Hervé Louveaux, « La ‘mini-instruction’ : instruction au rabais ou le prélude à la suppression du juge d’instruction ? »
Dans le cadre de la mini-instruction, le procureur du Roi reste donc saisi des faits et en charge de l’enquête, le juge d’instruction n’étant sollicité que pour la réalisation d’un acte d’instruction ponctuel et précis.

À titre d’exemple, il est permis de citer les devoirs suivants : l’autopsie, l’exploration corporelle sur une personne mineure, le repérage et la localisation téléphonique, l’audition d’un témoin sous serment et le prélèvement ADN contraint.

Le juge d’instruction saisi de la demande peut soit y faire droit, soit la refuser.

Dans la première hypothèse, à l’issue de l’exécution du devoir, le juge d’instruction peut soit renvoyer le dossier au procureur du Roi, soit s’autosaisir du dossier et ouvrir une instruction.

En cas de refus du devoir solliciter par le biais de la mini-instruction, le ministère public dispose d’un droit de recours devant chambre des mises en accusation.

L’article 28septies du Code d’instruction criminelle exclut limitativement une série de devoirs d’enquête ne pouvant pas être sollicité par le biais d’une mini-instruction. Il s’agit du mandat d’arrêt, du témoignage anonyme complet, des écoutes téléphoniques, de l’observation avec des moyens techniques dans le but d’avoir une vue dans un domicile, dépendance ou les locaux professionnels d’un avocat ou d’un médecin (MPR) et du contrôle visuel discret dans un de ces mêmes lieux (à la suite de l’arrêt du 21 décembre 2004 de la Cour constitutionnelle).

4. La perquisition était également exclue des actes pouvant être sollicités par le biais d’une mini-instruction.

Toutefois, la loi du 5 février 2016 ‘modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice’, dite « loi pot-pourri II », a modifié l’article 28septies du Code d’instruction criminelle en permettant la réalisation d’une perquisition par la voie d’une mini-instruction.

En ouvrant cette possibilité, le législateur souhaitait décharger le juge d’instruction des enquêtes pénales relativement simples et des aspects procéduraux lourds alors que l’enquête ne nécessitait pas d’autre acte qu’une autorisation de perquisition.

Dans sa réflexion, le législateur a considéré que le contrôle préalable du juge d’instruction à son autorisation de délivrer une ordonnance de mini-perquisition ainsi que son droit d’évocation constituaient des garanties suffisantes à la sauvegarde des droits et libertés individuels.

5. Le 21 décembre 2017, la Cour constitutionnelle, en annulant l’article 63, 1°, de ladite loi, a supprimé cette possibilité pour violation des articles 10, 11, 15 et 22 de la Constitution, à savoir les dispositions qui garantissent l’égalité et la non-discrimination, le respect (l’« inviolabilité » de principe) du domicile et le droit au respect de la vie privée.

En effet, à son sens, la Cour a notamment relevé que l’information a un caractère secret et non contradictoire et, en conséquence, offre moins de garanties dans le cadre du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

Elle invoque également que, dans le cadre de l’information, il n’existe pas, formellement, de droit d’accès au dossier ni de droit de solliciter des devoirs complémentaires, contrairement à l’enquête menée dans le cadre d’une instruction.

Bien que tout intéressé dispose du droit de solliciter des actes d’enquêtes ou l’accès au dossier auprès du ministère public, par simple courrier, aucune procédure n’est légalement organisée par le Code d’instruction criminelle. Il convient toutefois de préciser que, le 25 janvier 2017, la Cour constitutionnelle a considéré que l’absence de recours organisé à l’égard du refus d’accès au dossier émanant du ministère public était inconstitutionnelle. En conséquence, jusqu’à l’adoption d’une législation en ce sens, le Ministère public est tenu de s’aligner sur la procédure prévue à l’instruction et régie par l’article 61ter du Code d’instruction criminelle.

6. Enfin, la Cour constitutionnelle indique que, dans le cadre de l’information, aucune procédure veillant au contrôle de la régularité de la procédure n’est organisé au profit d’un juge impartial et indépendant afin de purger les éventuelles nullités figurant au dossier, c’est-à-dire permettre au dossier de suivre son cours après en avoir retiré ses aspects problématiques, qui, le cas échéant, pouvaient entraîner la nullité de tel ou tel acte.

7. Elle conclut en ce que l’acte de perquisition constitue une ingérence grave dans le droit au respect de la vie privée et dans le droit à l’inviolabilité du domicile et ne peut donc s’envisager que dans le cadre d’une instruction, cette dernière offrant, à elle seule, des garanties protégeant les droits fondamentaux précités.

8. Cette jurisprudence s’aligne avec celle tenue par la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans son arrêt Kalnėnienė c. Belgique prononcé le 31 janvier 2017, ladite Cour européenne avait déjà rappelé que la perquisition constituait une importante ingérence dans le droit à la vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

9. En conséquence de l’annulation prononcée par la Cour constitutionnelle, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’acte de perquisition ne peut donc plus, à nouveau, être sollicité par le biais d’une mini-instruction et nécessite nécessairement une mise à l’instruction complète du dossier afin d‘être légalement autorisé.

10. Il convient de préciser qu’en dehors de la mini-instruction, certains devoirs, bien que relevant de la compétence d’un juge d’instruction, peuvent malgré tout être accomplis par le ministère public, en cas de flagrance. Il en va ainsi, notamment, du devoir de perquisition ou encore du repérage et de la localisation téléphonique dans le cadre des infractions énumérées limitativement à l’article 90ter, §§ 2 à 4, du Code d’instruction criminelle ou même de l’exploration corporelle sur mineur…

Votre point de vue

  • eco
    eco Le 18 février 2020 à 12:31

    Bonjour , suite a l’affaire Jean-Luc Mélenchon, en France voir " Jean-Luc Mélenchon avait-il le droit de filmer en direct la perquisition chez lui ?" a t-on le droit de filmer une perquisition en Belgique avec son smartphone ou via des cameras déjà existant dans son domicile pour prouvé des irrégularités ou abus ? et cela sans diffusion sur le net ,mais comme preuve ?

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  • skoby
    skoby Le 19 mars 2018 à 12:47

    La Cour Constitutionnelle a raison.

    Répondre à ce message

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Shelley Henrotte


Auteur

stagiaire judiciaire auprès du parquet du Brabant wallon

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