L’affaire Witsel donne l’occasion de s’intéresser au pouvoir disciplinaire des fédérations sportives à l’égard de ses membres, principalement lorsqu’une décision disciplinaire a un impact sur la vie professionnelle de celui dont le sport pratiqué est le métier et donc le gagne pain.

1. Pour rappel, le 30 août 2009, lors du match Anderlecht-Standard, Axel Witsel commet une faute qui entraîne une double fracture de la jambe d’un joueur de l’équipe adverse. Le 1er septembre, la Commission disciplinaire de la fédération belge de football suspend le fautif pour 11 matchs. Il se pourvoit en appel au sein de la fédération, où sa peine est ramenée le 4 septembre à 8 matchs.

Cela signifie que le joueur, dont la pratique du football est le métier, sera empêché de disputer 8 matchs consécutifs de compétition belge. Evidemment, rien ne l’empêche d’exercer les autres aspects de son métier, tels que s’entraîner quotidiennement, respecter les programmes de soins, ou encore les activités de relation publique… Et l’interdiction ne vaut pas pour les matchs de Ligue des champions.

Il y a donc manifestement une interférence de la sanction disciplinaire sur la vie professionnelle du sportif, ce qui justifie de s’interroger sur la légalité de la sanction disciplinaire dans pareil cas, sur le pouvoir disciplinaire même des fédérations sportives et sur d’éventuelles limites de celui-ci.

2. Il faut avant tout rappeler que les fédérations sportives sont des associations au sens de la loi du 24 mai 1921, qui leur octroie la possibilité d’édicter une réglementation interne contenant des sanctions qui s’appliqueront à leurs membres en cas de non respect dudit règlement.

La fédération sportive qui ferait usage de son pouvoir disciplinaire en sanctionnant un de ses membres doit cependant respecter les principes du procès équitable, c’est-à-dire principalement veiller à ce que les droits de la défense soient respectés : le sportif concerné doit avoir le temps de préparer sa défense, de connaître les pièces du dossier à charge, pouvoir être assisté d’un avocat et pouvoir se défendre dans sa langue. La sanction éventuellement prononcée doit en outre être prévue dans le règlement de la fédération et doit être proportionnelle à la faute.

Dans le cas d’Alex Witsel, celui-ci est membre de l’a.s.b.l. URBSFA (le nom de l’Union belge de football), qui a le droit d’exercer un pouvoir disciplinaire à son encontre, ce qu’elle a fait – semble-t-il dans le respect des règles précitées.

Ajoutons à cela que, d’une part, le contrat type du footballeur professionnel prévoit son assujettissement au règlement de la fédération dont il est automatiquement membre. Une convention collective de travail le prévoit aussi. Enfin, plusieurs décisions de justice ont considéré que le pouvoir disciplinaire des fédérations sportives était conforme à la loi.

Si le droit d’exercer un pouvoir disciplinaire dans le chef d’une fédération paraît donc incontestable, qu’en est-il lorsque la sanction disciplinaire interfère sur la vie professionnelle du joueur, l’empêchant éventuellement de poursuivre l’exécution complète de son contrat de travail ? En clair, une fédération sportive a-t-elle le droit de prendre une mesure disciplinaire qui touche directement au travail même du sportif sanctionné ?

3. Le Professeur Rigaux a émis l’opinion suivante à laquelle nous adhérons en grande partie : dès lors que l’activité sportive concernée fait l’objet d’un contrat de travail, les règles propres au droit du travail doivent s’appliquer et prévaloir sur toute décision disciplinaire que prendrait une fédération sportive.

Il considère qu’une fédération sportive ne peut pas prendre une décision disciplinaire contraire au droit du travail. A fortiori, elle a donc le pouvoir de prendre une décision disciplinaire qui ne serait pas contraire au droit du travail. Le Professeur Rigaux s’appuie sur la hiérarchie des sources du droit : pour faire simple, disons que les lois sur le contrat de travail sont supérieures à une réglementation privée comme l’est celle d’une fédération sportive. De nombreuses décisions de justice ont affirmé la primauté du droit du travail sur une réglementation sportive mais dans d’autres cas que des problématiques disciplinaires.

Précisons aussi à l’attention du lecteur qui pourrait s’en étonner que cette problématique n’a été réglée par aucune loi et qu’aucune décision de justice significative n’a jusqu’à présent appliqué cette théorie aux questions disciplinaires.

Avec prudence, vu ce qui précède, nous estimons que la décision prise pourrait être critiquée sur le plan du droit du travail car elle constitue une modification du contrat. En effet, jouer les matchs de compétition (si on est sélectionné) fait partie du contrat de travail. En n’étant d’office pas sélectionné pour 8 matchs, le joueur se voit amputé d’une partie de ses droits et voit même son travail quelque peu modifié.

Le joueur pourrait selon nous contester ce type de sanction par ce biais. Il pourrait également se baser sur le droit au travail consacré par l’article 23 de la Constitution.

Enfin, si la sanction précitée devait avoir des conséquences financières pour le joueur sous la forme d’une perte de salaire, celle-ci ne peut excéder 20 % de la rémunération mensuelle nette du sportif. Or, en ne jouant pas 8 matchs, le joueur perd ses primes de matchs (sauf arrangement avec son club employeur), ce qui pourrait aboutir à une sanction financière supérieure à 20 %. De même, si, en plus de la sanction de la fédération, le club sanctionne financièrement le joueur, il ne pourra dépasser les 20 % précités.

En résumé, oui le footballeur professionnel peut être sanctionné par sa fédération mais cette dernière ne peut prendre une décision contraire au droit du travail ou qui portera atteinte au droit au travail du sportif.

4. Précisons enfin que toutes les considérations qui précèdent ne valent, selon nous, qu’à l’égard des sportifs sous contrat de travail, et non à l’égard des sportifs indépendants ou même amateurs.

En effet, ces deux catégories de personne ne peuvent se prévaloir de la protection du droit du travail.

Ainsi un athlète peut parfaitement être sanctionné par sa fédération sportive pour fait de dopage et ne pouvoir exercer son métier durant plusieurs mois, et ce, valablement, alors que l’athlète sous contrat de travail disposerait des arguments qui précèdent !

5. Mais, pour qu’un sportif sous contrat de travail puisse faire prévaloir les principes exposés ci-avant, il devrait s’adresser aux tribunaux. S’il attaque son club, ce sera le tribunal du travail qui sera compétent ; s’il met en cause la fédération, ce sera normalement le tribunal de première instance.

Chacun devine que pareilles procédures sont très difficilement imaginables, vu le lien qui existe en le club, la fédération et le joueur, personne n’osant remettre en cause les règles du jeu.

Il n’en reste pas moins que cette pénible affaire montre que, dans tous les secteurs de la vie sociale, des moins connus aux plus médiatisés, le juge peut théoriquement faire évoluer les pratiques.

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