« Repentir » en matière pénale : la « balance », symbole de justice ?

par Marie-Aude Beernaert - 11 décembre 2018

La presse s’est abondamment fait l’écho de l’accord conclu entre le parquet fédéral et Dejan Veljkovic, l’un des principaux suspects du Footballgate, qui a été présenté comme le premier « repenti » de l’histoire judiciaire belge.
Il s’agit effectivement de la toute première application d’une récente loi du 22 juillet 2018, qui a introduit dans notre arsenal pénal cette figure juridique assez contestée de la « repentance » pénalement récompensée.

L’occasion est ainsi donnée à Marie-Aude Beernaert, professeure à l’Université catholique de Louvain, de revenir sur les contours de ce mécanisme, sur la manière dont il est organisé en droit belge et sur les critiques qu’il suscite.

I. Qu’est-ce exactement qu’un « repenti » ?

1. Les « repentis » sont des personnes poursuivies ou condamnées pénalement qui choisissent de collaborer avec la justice en dénonçant d’autres délinquants pour bénéficier d’avantages de nature pénale (une peine réduite ou des modalités d’exécution de la condamnation plus avantageuses).

L’utilisation de la notion de « repenti » est toutefois contestée dans ce cadre (et la loi belge du 22 juillet 2018 ne l’emploie d’ailleurs pas) car le terme semble indiquer un réel désir d’amendement dans le chef du délinquant qui collabore avec les autorités répressives. Or, si un authentique repentir ne saurait être systématiquement exclu, l’on peut malgré tout se demander si, dans une grande majorité de cas, bien plus qu’une volonté d’amendement, ce n’est pas plutôt la possibilité de se procurer un avantage personnel qui déterminera le délinquant à collaborer…

2. En droit belge, le recours aux « repentis » est autorisé à deux conditions cumulatives, prévues au nouvel article 216/1 du Code d’instruction criminelle : il faut « que les nécessités de l’enquête l’exigent et que les autres moyens ne suffisent pas à la manifestation de la vérité » et la mesure ne peut concerner que les infractions listées à l’article 90ter, §§ 2 à 4, du Code d’instruction criminelle, c’est-à-dire à des infractions revêtant un certain degré de gravité (ce qui renvoie à un champ d’application malgré tout très large, la liste de l’article 90ter étant fort longue).

II. Comment se déroule la procédure prévue par le droit belge en matière de « repentance »  ?

3. La procédure démarre par la conclusion d’un mémorandum entre le « repenti » et le ministère public (art. 216/2 du Code d’instruction criminelle) indiquant ce à quoi chacun s’engage, c’est-à-dire essentiellement les faits à propos desquels le « repenti » fera des déclarations substantielles, révélatrices, sincères et complètes, et l’avantage que le parquet consent en échange.

4. Lorsque cet avantage consiste en une réduction de peine (comme dans le cas de Veljkovic), la promesse du parquet doit en outre être « homologuée » par une juridiction (d’instruction ou de jugement, selon le stade de la procédure dans lequel intervient l’accord), qui devra effectuer un certain nombre de vérifications à cet effet, notamment quant à la proportionnalité de l’avantage consenti (art. 216/5, § 3, du Code d’instruction criminelle).
Si la promesse est homologuée, le juge du fond devra encore, sur réquisition du ministère public, fixer la peine « subsidiaire » ou « reportée » qui pourra être appliquée au cas où le « repenti » ne respecterait pas ses engagements (art. 216/5, §§ 2, 3 et 5, du Code d’instruction criminelle).

5. Enfin, à l’égard des personnes mises en cause, il est expressément prévu que les déclarations du « repenti » ne pourront fonder à elles seules une condamnation, mais qu’elles devront être corroborées dans une mesure déterminante par d’autres éléments pour pouvoir servir de preuves (art. 216/4, § 2, du Code d’instruction criminelle).

III. Quelles sont les principales questions et difficultés que soulève le recours aux « repentis » en matière pénale ?

6. Recourir aux « repentis », c’est admettre que l’on négocie sur ce qui semble constituer le cœur même du droit pénal et de la procédure pénale : la peine d’une part, la preuve de l’autre.

En échange de l’aide qu’il apporte aux autorités judiciaires dans leur travail de recueil des preuves en dénonçant d’autres délinquants, généralement complices ou coauteurs, le « repenti » se voit en effet moins sévèrement puni qu’il ne l’aurait normalement été, et l’on est en droit de se demander s’il est bien légitime de réduire ainsi la peine normalement applicable à l’auteur d’une infraction déterminée, en fonction d’un comportement qui s’apparente quand même à une forme de délation.

D’autant que tous les auteurs n’auront pas la possibilité de collaborer utilement, seuls les plus rapides ou les plus haut placés ayant en général des informations pertinentes à négocier avec la justice. On en vient ainsi paradoxalement à récompenser les gros bonnets, tout en appliquant le plein tarif aux lampistes…

7. Il s’agit par ailleurs d’un mode de preuve à la fiabilité particulièrement douteuse et d’un type de témoin qui pourrait assez facilement induire la justice pénale en erreur, le « repenti » ayant tout intérêt à minimiser autant que faire se peut sa propre implication dans les faits dénoncés et pouvant chercher à régler ses comptes par justice interposée.

8. Le « repenti » est en outre souvent exposé à un sérieux risque de représailles de la part de ceux qu’il a mis en cause et doit être pris en charge dans des programmes de protection très coûteux.

Lors du vote de la loi du 22 juillet 2018, le ministre de la Justice a d’ailleurs indiqué qu’un montant supplémentaire de 290.000 € sur base annuelle avait été budgétisé pour la protection des témoins menacés suite à l’introduction du nouveau régime des « repentis » (rapport de la première lecture fait au nom de la commission de la Justice de la Chambre des représentants, Doc. parl., Chambre, 2017-2018, n° 54-3016/4, p. 27).

9. Enfin, la mesure soulève encore des questions en termes d’égalité des armes, seul le parquet ayant la possibilité de susciter des témoignages pénalement récompensés, sans que la défense ne puisse faire de même à l’égard d’éventuels témoins à décharge.

10. Alors, certes, Thémis, la déesse de la Justice, est souvent représentée tenant dans la main une balance, symbole de l’équité. Mais quand la « balance » est entendue dans un sens argotique et qu’elle désigne le dénonciateur – en l’occurrence pénalement récompensé par l’État –, il semble nettement plus douteux qu’elle puisse encore adéquatement symboliser l’idéal de Justice…

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