Nous avons lu « Dire le droit et être compris — Comment rendre le langage judiciaire plus accessible — Guide pour la rédaction des actes judiciaires »

par Xavier Ghuysen - 30 janvier 2019

L’association syndicale des magistrats a publié un ouvrage à destination des juges et des procureurs, mais qui concerne au premier chef le grand public : « Dire le droit et être compris — Comment rendre le langage judiciaire plus accessible — Guide pour la rédaction des actes judiciaires » (Bruylant-Anthemis, 2017, 156 pages).

En voici une présentation, par Xavier Ghuysen, Juge de paix.

1. Adopter un langage clair en matière judiciaire constitue un objectif que nul ne songe à contester. Ainsi, la lecture de plans de gestion et de lettres de motivation rédigés par les candidats à l’exercice de fonctions judiciaire montre que la lisibilité constitue une valeur consensuelle, voire un lieu commun.

Il faut pourtant opérer une distinction entre cet idéal de limpidité et la réalité du langage pratiqué dans nos juridictions, qui reste trop souvent obscur pour le justiciable.

En matière judiciaire, la lisibilité est souvent plus un idéal qu’une réalité quotidienne.

Quel est le motif de ce décalage, qui semble irréductible ?

Bien sûr, le droit est une matière dont le caractère scientifique exige le recours à une terminologie précise, souvent inconnue des non-juristes. Mais cette exigence de rigueur n’empêche pas la pédagogie qui permet de traduire les raisonnements juridiques en termes simples. Quand on interroge un magistrat ou un avocat sur la manière de procéder concrètement pour rendre le langage judiciaire plus clair, il peine souvent à donner une réponse concrète.

L’intention est sans doute sincère, c’est la technique qui fait défaut.

2. Pourtant, la préoccupation du langage clair est aujourd’hui largement répandue et les outils ne manquent pas :
 en 2018, l’assemblée générale du Conseil supérieur de la Justice a approuvé le « Projet épices » (36 pages), dont le but explicite est d’inciter les acteurs de la Justice à mettre « le langage clair au menu du judiciaire » (ce projet a été commenté, voici quelques mois, par Bénédicte Inghels pour Justice-en-ligne ) ;
 deux autres textes, publiés en 2015 et disponibles sur internet, proposent de nombreux conseils pratiques : le Guide de style de l’OCDE(126 pages) et, plus près de nous, la brochure « Écrire pour être lu - Comment rédiger des textes administratifs faciles à comprendre » publiée par la Fédération Wallonie Bruxelles (79 pages).

3. Une plus grande lisibilité des écrits judiciaires est importante pour restaurer la confiance du citoyen dans la Justice. Les « baromètres de la justice » publiés par le Conseil supérieur de la Justice en 2014 et 2016 ont permis de faire un lien entre une confiance modérée des citoyens dans l’institution judiciaire et la nécessité d’adopter un langage clair : en 2014, 61 % des personnes interrogées estimaient que le langage judiciaire n’est pas suffisamment lisible ; il en allait de même en 2016 pour 68,8 % des avocats/juristes d’entreprise et même pour 66,6 % des magistrats.

4. En matière d’amélioration du langage judiciaire, l’Association syndicale des Magistrats (ASM) fait incontestablement figure de précurseur.

Depuis plus de quinze ans, elle n’a cessé de compléter et de peaufiner son manuel « Dire le droit et être compris », qui est devenu l’ouvrage de référence en matière de lisibilité judiciaire, dont une nouvelle édition est publiée en 2017 chez Bruylant-Anthemis.

Cet ouvrage constitue, depuis son origine, une œuvre collective : l’ASM a réuni des magistrats, des criminologues et des linguistes pour réfléchir à la question de la lisibilité et proposer un outil permettant de simplifier le langage judiciaire. Un premier tome, consacré à la procédure civile, avait été publié en 2003, suivi d’une deuxième, consacré à la matière pénale en 2010 ; Damien Vandermeersch a donné un compte rendu de ces deux ouvrages sur Justice-en-ligne en 2010 .

En 2017, ces deux tomes ont été fondus en un seul texte, entièrement réécrit et considérablement augmenté. Cet ouvrage bien connu, qui a servi de référentiel à de nombreuses formations, reste malheureusement sous-utilisé dans la pratique. Il propose en effet de nombreuses solutions pour rédiger les écrits judiciaires (citations, réquisitoires, jugements, arrêts, etc.) de manière plus claire. Il s’adresse au premier chef aux magistrats, mais pas uniquement : « tous les acteurs du monde judiciaire sont concernés : avocats, greffiers, huissiers, notaires, experts... », précise la quatrième de couverture.

5. Dans le souci de s’adresser avant tout au justiciable, les magistrats sont invités à privilégier le langage de la vie courante et à aider le justiciable à s’orienter dans l’acte judiciaire tout en conservant la rigueur juridique nécessaire à sa validité. Pour réaliser ce tour de force, « Dire le droit et être compris » se veut résolument pragmatique :
 afin d’éradiquer les nombreux archaïsmes, expressions vieillottes et adages latins qui constituent trop souvent le péché mignon des juristes, l’ouvrage propose au cas par cas des solutions alternatives plus parlantes pour le justiciable ; quand un terme technique ne peut être évité, des solutions sont également proposées ; enfin, un lexique particulièrement complet permet au lecteur de trouver rapidement les solutions de remplacement ou de clarification proposées ;
 la syntaxe et ses pièges (phrases trop longues, phrases négatives, tournures impersonnelles, etc.), de même que la structuration du texte (titres, sous-titre, énumérations, etc.), sont abordés de manière très concrète ;
 la structure propre aux différents écrits judiciaires est mise en évidence (éléments communs aux actes de la procédure civile et de la procédure pénale ; parties de l’acte judiciaire propre au pénal, parties de l’acte judiciaire propre au civil) ; chaque étape est décomposée et des formulations de motifs ou de dispositifs sont proposées (la « motivation » d’un jugement est sa partie destinée à expliquer pourquoi la décision est prise dans tel ou tel sens ; le « dispositif », qui se trouve à la fin du jugement, constitue la décision proprement dite, par exemple la condamnation d’une personne à indemniser une autre en raison du préjudice causé par la faute de la première) ;
 enfin, des exemples finaux sont donnés.

6. En synthèse, cette nouvelle édition de « Dire le droit et être compris » constitue un manuel que tout magistrat devrait avoir sur sa table de travail et consulter régulièrement.

La préface de Paul Martens mérite — comme souvent — d’être citée, cette fois en guise de conclusion :

« [l’]obligation [de motivation] qui […] trouve un appui dans le Code pénal, oblige à se demander quelles sont, au XXIe siècle, les qualités essentielles d’une motivation. C’est ce travail que le présent ouvrage aidera les magistrats à effectuer. Car il aborde tous les aspects de la question. C’est un manuel de grammaire. C’est un ouvrage de sociologie juridique en ce qu’il rappelle que la décision de justice s’adresse à ‘une multiplicité de destinataires. Il va loin dans les conseils pratiques, s’attaquant à des questions aussi triviales que la numérotation et l’énumération. Mais il réalise cet objectif démocratique de réconcilier le langage juridique et le langage courant ».

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