Pourquoi des Maisons de justice ?

par Thérèse Jeunejean - 27 septembre 2019

Depuis plusieurs siècles, la Justice a ses palais. Depuis vingt ans, elle possède aussi ses Maisons. Si le terme « palais » évoque l’éloignement, la distance, l’autorité, le mot « maison » fait penser au quotidien, à la proximité. L’appellation « Maison de justice » a été bien choisie, illustrée par le logo d’une porte ouverte, parce qu’il s’agissait justement de travailler à combler le grand écart existant, en fin du vingtième siècle, entre l’institution Justice et les citoyens.

Mais qu’est-ce qu’une Maison de justice ? D’où vient-elle ?

Pour comprendre sa création, remontons au premier service social pénitentiaire et voyons parallèlement l’évolution des lois en matière de justice.

Du Comité de patronage au service parajudiciaire

1. Un service social pénitentiaire a été mis en place en Belgique par la loi de défense sociale du 9 avril 1930 tandis que des Comités de patronage, devenus plus tard des Offices de réadaptation sociale, prenaient en charge un suivi des personnes condamnées par la Justice.
Avec le temps, les lois ont évolué. Elles ont permis la mise sur pied de nouvelles peines et de nouvelles manières de les exécuter.

Si la libération conditionnelle existait depuis 1888, la libération à l’essai date de 1930 (modification en 1964) tandis que la suspension du prononcé de la condamnation et le sursis, assortis éventuellement d’une mesure de probation, ont été créés en 1964.
En 1990, une nouvelle loi a créé les alternatives à la détention préventive. En 1993, à la suite du constat de l’absence d’un accueil adéquat et personnalisé des victimes au sein des palais de justice, cet accueil a commencé à s’organiser. Une expérience pilote a démarré à Charleroi. La médiation pénale et le travail d’intérêt général sont arrivés en 1994.

L’application de ces lois a entrainé de nouvelles missions du secteur social parajudiciaire, c’est-à-dire des services qui s’occupent des justiciables en marge du fonctionnement de la Justice elle-même. Ce secteur a développé et professionnalisé le travail de suivi, à la fois accompagnement et contrôle.

Un patchwork peu compréhensible

2. Ces différentes missions n’étaient pas intégrées dans un cadre cohérent et ce travail social parajudiciaire manquait de visibilité. Certains services dépendaient de l’administration pénitentiaire, tandis que l’accueil des victimes et la médiation pénale étaient du ressort des parquets. Les compétences des nombreux services étaient floues et les statuts du personnel différaient…

Avant 1996 déjà, le ministre de la Justice de l’époque, Stefaan De Clercq, envisage le rassemblement des différents services sociaux parajudiciaires pour une meilleure visibilité, un meilleur fonctionnement. Il est aussi question d’une justice de proximité et des projets pilotes commencent à différents endroits…

Arrive l’affaire Dutroux

3. En 1996, l’affaire Dutroux est l’illustration à la fois des difficultés existantes dans la prise en charge des justiciables et de l’énorme distance entre les citoyens et la Justice. Elle a donné l’impulsion attendue. Il fallait réagir, pouvoir identifier qui est où, qui s’occupe de quoi. Il fallait créer une structure qui permette réellement de prendre en charge les personnes qui sortent de prison ou les justiciables qui n’y vont pas. Il fallait encore être davantage proche des citoyens…

4. Fin août 1996, soit quinze jours après l’arrestation de Marc Dutroux, l’intervention du ministre De Clercq est titrée : « Un accès à la justice à dimension humaine ». Il constate ceci :

« La collaboration avec et au sein du service parajudiciaire est toutefois entravée par le développement non organisé qui a ‘historiquement’ mené à un morcèlement de la règlementation, à une mauvaise visibilité, à une délimitation parfois obscure des compétences, à un dispersement de l’hébergement, à un manque de cohésion interne et externe, à un soutien logistique et dirigeant limité, à des statuts et des dénominations différentes, et à un effectif trop restreint par rapport au nombre croissant de missions… ».

Parmi différentes initiatives nécessaires, le ministre précise « la mise en place d’une Maison de justice par arrondissement judiciaire et d’un service psycho-social au sein de l’administration de l’ordre judiciaire de Ministère de la Justice ».

5. En 1998, une première Maison de justice a démarré à Charleroi. Jusqu’en 1999, plusieurs arrondissements ont trouvé un bâtiment et commencé à réunir les différents services.

L’arrêté royal portant organisation du Service des maisons de justice du Ministère de la justice est adopté le 13 juin 1999.

Point commun des Maisons de justice (elles sont alors 28 pour l’ensemble du pays) : elles effectuent un travail social en dehors des prisons, sur la base d’un mandat judiciaire ; en d’autres termes, c’est à la demande d’un magistrat que ces missions sont menées.

Les évolutions continuent…

6. En 1997, la réalisation des études sociales civiles, auparavant effectuées par le tribunal de la jeunesse ont été confiés aux Maisons de justice. En 2002, les Maisons de justice dépendaient de la « Direction Générale des peines et mesures » pour le volet pénal et le personnel et de la « Direction générale de l’organisation judiciaire » pour le volet civil et la logistique.
En 2004, avec la réforme Copernic, qui réorganise l’administration, tous les processus de travail des missions des Maisons de justice ont été revus et harmonisés. Les outils de travail se sont également développés et coordonnés.

En 2007, les Maisons de justice ont été intégrées au sein d’une Direction Générale autonome du SFP Justice, la Direction générale des Maisons de justice (DGMJ).

Un précédent article de Justice-en-ligne, publié en 2014 sous la plume de Sandra Reisse, fait le point sur les missions de l’époque des Maisons de Justice : « Les ‘Maisons de justice’ : pour quoi faire ? » .

Les Maisons de Justice sont transférées aux Communautés et reçoivent de nouvelles missions

7. En 2015, avec la sixième réforme de l’État, l’Administration générale des Maisons de justice est communautarisée. Les différentes Maisons de justice du Royaume ont été réparties entre la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone.

8. Les Maisons de justice ont alors reçu de nouvelles compétences : le subventionnement de l’ensemble du secteur qui comprend les services d’aide aux justiciables, détenus et victimes, les espaces-rencontres et l’aide juridique de première ligne.

En 2016, sont instaurées de nouvelles peines, qui amènent de nouvelles missions aux Maisons de justice : peine autonome de surveillance électronique, peine autonome de probation. Les modalités d’exécution de l’internement sont modifiées.

En 2017 enfin, le Centre d’aide et de prise en charge des radicalismes et extrémismes violents (CAPREV) est créé au sein de l’Administration des Maisons de Justice.

Un choix méthodologique clair

9. La base du travail de l’assistant de justice, c’est la relation avec un justiciable au départ d’un mandat reçu d’une autorité judiciaire ou administrative.

Celle-ci est centrale et toute intervention doit partir d’elle.
L’assistant de justice « vise très concrètement à rendre la personne davantage citoyenne », à ce qu’elle « soit respectée en tant que personne et que, dès que possible, son intervention ne se justifie plus », explique Annie Devos, directrice générale des Maisons de justice.

Le travail social en Maison de justice est cependant très particulier à l’égard des auteurs délinquants parce qu’il s’agit d’une aide contrainte. À la fois aide et contrôle, il requiert une méthodologie spécifique.

10. Concluant son rapport 2017, Annie Devos écrit ceci :

« Face au constat d’un amoindrissement croissant des ressources, non seulement économiques mais aussi sociales et relationnelles de nos justiciables, je veux faire le pari qu’enrichir nos pratiques professionnelles avec le concept de désistance contribuera à freiner ce phénomène.

Outre ces facteurs de fragilisation du lien social, il arrive que l’institution, via notamment son nouveau service CAPREV, soit confrontée à la thématique des extrémismes et radicalismes. Dans ce contexte sensible, j’ai à cœur que l’Administration générale des Maisons de Justice incarne un service public qui contribue à faire de notre société une société qui intègre et ne laisse personne au bord du chemin. Et cela, sans angélisme ni naïveté.
Je suis consciente que notre action dont les effets sont difficilement mesurables, parce qu’elle porte sur les tendances profondes de l’humain et des temporalités longues, semble s’inscrire en porte-à-faux avec les vents populistes qui soufflent en ce moment sur l’Europe. Il nous faut donc d’autant plus fermement rester arrimés à cette conviction qui constitue la base de notre action : celle que l’Homme est capable de changement, et que celui-ci peut advenir grâce à une relation humaine qui fait sens ».

Aujourd’hui

11. Les Maisons de justice sont aujourd’hui treize en Communauté française, appelée aussi « Fédération Wallonie-Bruxelles ». Elles traitent près de 34.000 nouveaux dossiers par an, en majorité des dossiers concernant des missions pénales.

Elles comptent plus de 700 membres du personnel.

12. En matière pénale, les Maisons de justice ont une double mission, d’enquête et de guidance.
Quand il a besoin d’informations pour prendre une décision, un juge, un directeur de prison, un procureur du Roi peut demander un rapport sur la situation d’un justiciable à la Maison de justice.
Pour éviter la récidive et favoriser la réinsertion sociale, la Maison de justice effectue une mission de guidance ou de suivi dans le cadre de différentes procédures : alternative à la détention préventive, mesures ou peine de probation, exécution d’une peine de travail ou de modalités d’exécution d’une peine de prison (libération conditionnelle, surveillance électronique,…) ou encore de modalité d’exécution d’une mesure d’internement (libération à l’essai, surveillance électronique).

En fin de guidance ou de suivi, l’action publique, c’est-à-dire la procédure entamée par le parquet à l’encontre d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction, sera éteinte.

13. En matière civile, les Maisons de justice réalisent des études sociales pour le tribunal de la famille dans le cadre de désaccords familiaux concernant les enfants (hébergement, exercice de l’autorité parentale, droit des grands parents aux relations personnelles avec leurs petits enfants, etc.).
Dans le cadre de l’accueil des victimes, les Maisons de justice assurent le soutien et l’accompagnement des victimes d’infractions et de leurs proches tout au long de la procédure judiciaire. Leur rôle auprès des victimes est triple : les informer les victimes sur leurs droits et la procédure judiciaire en cours, les soutenir et les assister lors de certaines étapes clefs de la procédure judiciaire et enfin, les orienter si nécessaire vers les associations et services spécialisés.

À suivre…

14. Les articles qui suivront dans le présent dossier de Justice-en-ligne détailleront chacune des missions des Maisons de Justice en les illustrant, si possible, de cas vécus

Votre point de vue

  • Michel Schobbens
    Michel Schobbens Le 11 septembre 2019 à 12:39

    Tout cette activité est surprenante car peu connue du grand public, mais me
    semble extrêmement importante. Donc bravo Annie Devos et tous ceux qui
    participent à ces missions importantes.

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Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et journaliste, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

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