Le sort d’un prévenu francophone cité à comparaître en Flandre

par Benoît Dejemeppe - 21 novembre 2009

Un de nos internautes s’inquiète des possibilités pour un Bruxellois impliqué dans un accident de la circulation survenu en Flandre et cité à comparaître devant un tribunal néerlandophone de bénéficier d’une procédure en français.

Ceci nous donne l’occasion de rappeler la raison d’être de la législation linguistique en matière judiciaire et les règles principales qui tendent, dans ce contexte, à sauvegarder les droits de la défense.

Longtemps après l’indépendance de la Belgique, les justiciables néerlandophones n’ont pas pu être jugés dans leur langue. Lorsque le statut inégalitaire des langues parlées dans un pays fait naître un sentiment d’obstruction d’une communauté sur l’autre, la réaction de celle qui cherche protection par la loi peut se radicaliser par la création d’un territoire linguistique homogène garanti par une frontière. Ainsi, portée par un mouvement qui a pris corps au milieu du 19ème siècle, la loi du 15 juin 1935 concernant l’emploi des langues en matière judiciaire a eu en vue de remédier aux abus dont les Flamands étaient victimes par une mesure radicale : faire en sorte que le français n’ait plus droit de cité dans les palais de justice de Flandre. En établissant le principe de l’exclusivité de la langue de la région en Flandre et en Wallonie, la loi établit une stricte règle de non-concurrence en présumant que le justiciable qui s’adresse à la Justice ou est appelé devant elle s’exprime dans la langue de la région.

Mais, libéral, le législateur a prévu quelques soupapes de sécurité pour préserver certains choix individuels. En matière pénale, le prévenu qui ne connaît que l’autre langue ou s’exprime plus facilement dans celle-ci peut solliciter le renvoi de la cause devant la juridiction la plus rapprochée d’un autre rôle linguistique. Aucune forme particulière n’est requise à cet égard, mais la demande doit être faite en première instance. D’ordinaire, cette stratégie de pacification fonctionne bien. D’ailleurs, au fil des années, les francophones font moins usage de ce droit. Il est vrai que leur connaissance du néerlandais s’améliore. Mais surtout, de tels avatars prennent du temps et tout cela peut finir par coûter cher.

Saisi d’une telle demande, le juge de police de Bruges renverra donc le dossier à Tournai, celui de Liège à Tongres ou celui de Hal à Bruxelles. Toutefois, le tribunal peut refuser le dépaysement du dossier en raison des circonstances de la cause. Tel peut être le cas lorsqu’il y a plusieurs prévenus et qu’un seul demande le renvoi à un autre tribunal ou lorsque les victimes résident à proximité. Mais il existe aussi d’autres situations où la politique infuse le droit : ainsi, des justiciables francophones de la périphérie bruxelloise se heurtent parfois au refus d’un juge à Hal ou à Vilvorde de renvoyer la cause à Bruxelles alors qu’aucune circonstance ne justifie objectivement un tel refus. Les sirènes du « BHV » ne sont pas loin tandis que la réalité sociale n’est pas réductible à une règle de droit.

A Bruxelles, c’est le principe de personnalité qui prévaut : le suspect peut demander le changement de la langue de la procédure dès le stade de l’enquête du parquet ou de l’instruction, pour autant qu’il comprenne la langue dont il revendique l’emploi. Mais s’il y a plusieurs personnes impliquées, c’est la langue choisie par la majorité qui l’emporte.

En tout état de cause, le prévenu a toujours le droit d’être entendu dans sa langue, le cas échéant à l’aide d’un interprète. Il peut également demander la traduction, aux frais de l’Etat, des pièces du dossier, pour autant que cette traduction vise une des trois langues nationales. Mais il doit adresser sa requête sans tarder au greffe : à cet égard, la loi ne lui laisse en effet qu’un délai de huit jours après la réception de la citation à comparaître.

Même si certains tribunaux y paraissent parfois réticents, le prévenu peut encore déposer des pièces rédigées dans une autre langue que celle de la procédure. Au nom du respect des droits de la défense, le juge est tenu d’y avoir égard, le cas échéant, en les faisant traduire.

Votre point de vue

  • FrankP
    FrankP Le 12 octobre 2015 à 13:48

    Le rappel historique est utile, car il fait partie des motivations, du "ratio legis"... Mais alors, il serait complet de préciser que le choix du français comme langue véhiculaire, bien nécessaire entre les patois flamands qui ne se comprenaient pas entre eux, a été fait par les Flamands eux-même !
    Au départ, ils n’ont absolument pas voulu du néerlandais comme langue "administrative", par rejet des Hollandais dont la domination ne s’était pas très bien passée...
    Napoléon, par contre, avait malgré tout laissé un meilleur souvenir car il avait laissé intactes les structures existantes, pour autant qu’on "marche" avec lui (je résume...) et qu’on accepte une restructuration plus fonctionnelle, plus efficace, avec moins d’arbitraire, ce qui n’était pas pour déplaire aux citoyens.
    Il avait élaboré un code civil et des lois très "modernes", très fonctionnelles, et il avait, en plus, aux yeux des Flamands, le mérite de ne pas être Hollandais...
    Le français, pour "unifier" les patois locaux, tant au sud qu’au nord, a donc été choisi en connaissance de cause par les deux "communautés", très contentes d’avoir bouté hors du pays les détestés Hollandais, et leur langue par association...
    Alors, qu’on ne vienne pas maintenant faire payer l’addition aux Wallons, qui n’y sont pour rien du tout !

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Benoît Dejemeppe


Auteur

président de section émérite à la Cour de cassation, maître de conférences honoraire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles

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