La condamnation d’Els Clottemans par le jury du Limbourg et les principes applicable à la preuve pénale

par Laurent Kennes - 27 octobre 2010

Els CLOTTEMANS était accusée d’avoir assassiné sa rivale amoureuse devant la Cour d’assises de la province du Limbourg. Elle a été condamnée comme auteur de ce crime à 30 ans de réclusion.

Cette affaire a suscité de nombreuses discussions, pas toujours des plus saines, et il nous a paru utile de tenter d’apporter quelques éclaircissements à propos de cet événement judiciaire.

Mais, avant de l’aborder, je ne peux, à titre personnel, m’empêcher de regretter la médiatisation à outrance de cette affaire. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de critiquer la relation d’un événement tel que celui-là, ni de critiquer les débats qu’il implique en vue de rendre une meilleure justice. Ce qui m’a choqué, c’est qu’une partie des médias a présenté cet événement à la manière d’un reality show. Comment diable a-t-on pu en arriver à faire voter des internautes, pour la plupart ignorant des détails des débats judiciaires, sur la culpabilité ou l’innocence d’une accusée pendant son procès ? Si ce phénomène lamentable et malheureusement propre à notre temps montre bien la dérive d’une institution, ce n’est certainement pas, au premier plan, celle de l’institution judiciaire.

1. L’arrêt de condamnation est motivé

Pour poser un regard critique sur un tel événement, nous invitons les lecteurs, avant tout, à prendre connaissance de ce qui fait l’objet de la critique. Des informations dont nous avons pu disposer, dans l’affaire du parachute saboté, le jury a, avec l’aide de la Cour, considéré qu’il était prouvé à suffisance qu’il n’y avait pas d’autre hypothèse possible que celle de la culpabilité de l’accusée. Elle est, ont-ils décidé, la seule qui a pu poser cet acte. Ses juges ont indiqué que seule l’accusée a eu l’occasion, le temps, la connaissance technique, le mobile et la personnalité pour commettre cet acte criminel.

Voici le point de départ de notre réflexion à tous. Cette décision motivée sort-elle, en soi, de l’ordinaire du fonctionnement de nos juridictions pénales ? Et, dans la négative, ce procès est-il de nature à remettre en cause le système de la Cour d’assises tel que nous le connaissons ?

Pour répondre à la première question, il nous faut revenir sur l’exigence de certitude de la culpabilité d’un justiciable, qu’il soit prévenu ou accusé.

2. L’exigence d’une certitude humaine de la culpabilité

Reprenons le cheminement de la réflexion d’un juge en matière pénale.

1. La personne qu’il juge est présumée innocente. Il appartient au ministère public de prouver l’inverse. Son rôle consiste à convaincre le juge de la culpabilité de l’accusé. On dit que le minsitère public a la charge de la preuve parce que c’est à lui d’apporter et de présenter les éléments qui lui permettront de convaincre le juge de cette culpabilité.

Le juge n’aura cette conviction que s’il a, à l’issue des débats, la certitude humaine de cette culpabilité. Les deux notions, « certitude » et « humaine » sont essentiels.

Une certitude implique, par définition, l’absence de doute. La définition en est « l’assurance pleine et entière ».

Cette certitude est humaine, non pas parce qu’elle est limitée dans un certain pourcentage, mais précisément parce qu’elle ne peut se chiffrer. Il est impossible, pour un être humain, de dire qu’il est certain d’un fait avec un tel ou un tel degré de certitude. C’est la raison pour laquelle, lors des travaux préparatoires du code d’instruction criminelle, il y a plus de deux siècles, un auteur a eu les mots suivants pour décrire la notion d’intime conviction : « La conviction morale qui subjugue tout [...], la moralité qui conduit à un degré de conviction tel qu’il est impossible à la raison humaine d’aller plus loin. ». La certitude humaine, cela signifie qu’il est impossible à la raison humaine d’aller plus loin.

C’est donc cela l’exigence de certitude dans le chef du juge pénal. Il ne condamne que dans l’hypothèse, et dans la seule hypothèse, où, aux termes des débats, il a la certitude humaine de la culpabilité de celui qu’il juge.

2. Toujours à propos de cette notion de certitude dans le cheminement de réflexion du juge, on utilise classiquement la notion de doute raisonnable. L’article 328 du Code d’instruction criminelle prévoit, en ce sens, que le texte suivant est soumis aux jurés d’une cour d’assises pendant leur délibération : « La loi prévoit qu’une condamnation ne peut être prononcée que s’il ressort des éléments de preuve admis que l’accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable des faits qui lui sont incriminés ».

Si, aux termes des débats, il demeure dans l’esprit du juge un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, il ne peut pas le condamner. Autrement dit, s’il a un doute raisonnable, il ne peut pas avoir la certitude humaine de sa culpabilité.

L’adjectif « raisonnable » ne signifie pas que le doute bénéficiant à l’accusé serait limité à une plus ou moins infime parcelle de doute. Cela signifie simplement que le doute est fondé sur la raison. Un juge ne remplirait pas sa mission s’il acquittait un accusé pour des motifs absurdes, insensés, irrationnels ou irréfléchis. Son travail doit être fondé sur sa raison et non sur des impressions, et cela dans un sens comme dans l’autre.

C’est ce que l’on appelle encore la logique du raisonnable. Un ancien auteur de doctrine, Rittler, l’exprimait dans les termes suivants : « la preuve est administrée quand toute autre solution n’est plausible qu’en supposant des circonstances tout à fait extraordinaires et contraires au cours normal des événements. »

3. En résumé, la question était bien, dans l’affaire Els CLOTTEMANS comme dans toute autre affaire pénale, de savoir si les juges ont eu la certitude humaine, au-delà de tout doute raisonnable, de sa culpabilité. Ils l’ont eue s’ils ont considéré, après analyse de tous les éléments de fait qui leur étaient soumis, qu’aucune autre solution que sa culpabilité n’était possible sauf à supposer des circonstances irrationnelles.

C’est bien ce qu’ont fait les jurés dans cette cause. Si leur motivation, sur le fond, peut être critiquable, ce n’est en tout cas pas parce qu’il aurait été dérogé à ce principe. L’arrêt constate que le jury a considéré que la seule hypothèse possible était qu’Els CLOTTEMANS avait, à dessein, saboté le parachute.

3. Le principe de la liberté de la preuve

Ces principes ayant été rappelés, nous pouvons à présent revenir sur une phrase souvent entendue, aux fins de critiquer cette décision. Il a été affirmé, à plusieurs reprises, que le procès d’Els CLOTTEMANS aurait eu ceci d’extraordinaire qu’elle aurait été accusée, puis condamnée, sans preuve. Cette formulation de phrase est source d’ambigüité. Un juge ne condamne pas avec une (ou des) preuve(s). Cette terminologie n’est pas adéquate.

Les jurés ont eu la certitude humaine de la culpabilité d’Els Clottemans, au-delà de tout doute raisonnable. Et pour avoir cette certitude, ils se sont fondés sur des éléments de preuve, présentés par l’accusation.

Sous certaines réserves, pour prouver une culpabilité, le ministère public peut présenter n’importe quel élément. On dit que la preuve est libre parce que la nature de ces éléments de preuve n’est pas limitée par la loi.

Les juristes ont bien tenté de classer un certain nombre de modes de preuves : l’expertise, le témoignage, l’aveu, etc. Mais le juge n’est pas limité par ces modes de preuve. Le ministère public ne doit pas apporter une preuve de telle ou telle nature. La seule question est de savoir si, sur la base des éléments de fait qui sont soumis au débat, il arrive, à la suite d’une argumentation logique, à un but ultime. L’ensemble des éléments qu’il présente ne peut recevoir qu’une seule interprétation : l’accusé est coupable.

4. La motivation.

Toutes les juridictions pénales, en ce compris la cour d’assises depuis peu, doivent motiver leurs décisions de condamner ou d’acquitter un prévenu ou un accusé.

Devant la cour d’assises, seuls les jurés décident de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé. Une fois qu’ils ont pris leur décision, les trois magistrats professionnels qui composent la cour d’assises, les rejoignent et les aident à structurer leurs motifs qui ont conduit à leur intime conviction dans un arrêt.
Les motifs, sur le fond, évoqués en cette cause sont bien conformes aux principes généraux de droit pénal. Quant à savoir s’il y a lieu de les critiquer sur le fond ou en raison d’éventuelles contradictions, n’ayant pas participé aux débats et n’ayant donc qu’une connaissance limitée de cette affaire, l’homme prudent se gardera de juger à la hâte.

5. Ces principes ne sont pas spécifiques à la procédure d’assises

Enfin, il est étrange que cette affaire suscite la remise en question de l’institution qu’est la Cour d’assises. En effet, les principes évoqués ci-avant sont communs à toute procédure pénale. La manière dont les jurés ont raisonné en cette cause est similaire à la manière dont de nombreux magistrats professionnels raisonnent au quotidien.

En d’autres termes, quant au degré d’exigence de preuve d’une culpabilité, cette affaire n’a rien d’exceptionnel.

Si cette cause doit être l’occasion d’une remise en cause, ce n’est donc pas la remise en cause du fonctionnement de la cour d’assises, mais bien le système de liberté des preuves de manière plus générale. Et cela est encore un vaste débat.

Votre point de vue

  • denis luminet
    denis luminet Le 21 novembre 2010 à 10:00

    Le préambule de l’article (reality show) dépassant le strict cadre son titre (la preuve pénale), je souhaiterais aussi élargir le débat et demander à Laurent Kennes si le fait que des jurés et des parties civiles se soient entendus (dans un sens du terme au moins !) dans un café ne devrait pas mener à cassation pour présomption de partialité (cf. "arrêt spaghetti" et juge Connerotte)

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