La Cour constitutionnelle sud-africaine : un symbole et un exemple ?

par Sahra Datoussaid - 8 novembre 2010

Après plusieurs siècles d’histoire mouvementée, plus de 40 ans après que le Parti national purifié ait instauré un régime d’apartheid, Nelson Mandela, après avoir passé 27 ans en prison, sera élu président, en 1994, d’une nouvelle Afrique du Sud libre et démocratique : pour la première fois de leur histoire, des millions de sud-africains votent ensemble et réalisent par là même qu’ils appartiennent tous au même pays.

Pourtant, un lourd héritage est ainsi laissé entre les mains de celui qui incarne le changement et la liberté. De vieux problèmes n’ont pas été résolus tels que racisme, injustice structurelle, fossé entre riches et pauvres, criminalité, etc. Et comme toute société en transition de la guerre à la paix ou d’un régime autoritaire à la démocratie, l’Afrique du Sud doit faire face à un passé enraciné dans l’injustice et la violation des droits de l’homme tout en trouvant la juste mesure pour permettre à toutes les parties le « vivre ensemble ».

C’est l’objectif poursuivi par la « justice transitionnelle ». Cette justice responsable se veut d’établir et de punir les exactions passées, dans le double but de dissuader la commission de nouveaux crimes et de tenir compte du devoir de mémoire collective tout en ayant égard aux exigences de paix et de réconciliation.

C’est ainsi qu’il fut décidé en Afrique du Sud d’instituer, entre autres, une commission de vérité et réconciliation qui s’occuperait de rechercher la vérité, qui accorderait réparation aux victimes et qui, de façon conditionnelle, amnistierait les responsables.

Il serait trop long ici de faire état des différents mécanismes de justice transitionnelle existants, ou d’analyser de manière exhaustive la manière dont l’Afrique du sud a géré et gère encore sa transition.

En effet, la transition sud-africaine fait encore face à de nombreuses imperfections. Tous les objectifs poursuivis n’ayant pas été atteints ou tous les engagements respectés, beaucoup de critiques ont été émises sur ces questions. D’autres, au contraire, font état du « succès » de la transition sud-africaine, l’élevant presque au rang de l’exceptionnel, du miracle.

Néanmoins, entre succès ou déception, visiter « Constitution Hill » à Johannesburg vous fait expérimenter le chemin unique qui a été emprunté pour reconstruire l’unité d’une nation autrefois déchirée.

De quoi s’agit-il ?.

En 1893, Paul Kruger, président de la Zuid-Africaansche Republiek, édifie la prison du Vieux fort sur une colline au nord de la toute jeune Johannesburg.

Prison de haute sécurité, fort militaire ensuite, prison destinée aux criminels de droit commun aussi bien qu’aux prisonniers politiques enfin : « Uitlanders », anglais, boers, militants anti-apartheid, blancs, noirs, personne n’a échappé à ses geôles.

A partir de 1902 et pendant huit décennies, le fort fut le centre d’incarcération principal de Johannesburg. Trois autres bâtiments pénitentiaires furent également construits à l’extérieur des remparts du Vieux fort. Le complexe pénitentiaire pratiquait la ségrégation raciale, les hommes blancs étant incarcérés dans le Vieux fort, tandis que les hommes noirs étaient détenus dans les trois autres prisons du site.
Presque toutes les grandes icônes politiques de l’histoire sud-africaine, de Mahatma Gandhi à Nelson Mandela, ainsi que des dizaines de sud-africains ordinaires y furent emprisonnées durant le régime d’apartheid.

En 1996, il sera décidé que le site réaffecté serait le siège de la nouvelle Cour constitutionnelle sud-africaine. Il s’agissait là d’une volonté affirmée d’honorer les souffrances du passé.

En effet, le site tout entier raconte un siècle d’histoire avec en arrière plan un système politique raciste et injuste, un lieu de punition et de perpétration de violence. La résistance de générations de prisonniers est également évoquée. Le site atteste non seulement des innombrables injustices qui ont été commises mais, vu son histoire multiple, il sert aussi de pont entre les différentes communautés du pays, par le biais de l’identification à une mémoire collective, permettant ainsi de n’exclure personne du processus de réconciliation et de reconstruction. Aussi, Constitution Hill se trouve dans un quartier cosmopolitain tristement célèbre pour la drogue, la prostitution, l’immigration illégale, la pauvreté et les actes xénophobes commis à l’encontre des « autres » africains perçus comme une menace. Par sa localisation, . la collectivité urbaine devient ainsi un acteur du changement et du « plus jamais ça ». Enfin, l’architecture unique de la Cour emprunte la voie de la modernité sur les ruines de quelques briques ou portes maintenues des anciennes prisons permettant ainsi de créer une passerelle symbolique entre un passé douloureux et un futur qui se veut meilleur et rempli d’espoir.

Une Cour constitutionnelle qui se veut la garante du respect des droits fondamentaux des individus ? Rien d’exceptionnel en théorie. Oui mais qu’était-ce l’apartheid sinon la manifestation juridique d’un régime politique fondé sur une idéologie raciste ? Sous ce régime, il y avait une Constitution, des lois, beaucoup de lois et des juges pour les appliquer.

Et pourtant, tout l’appareil judiciaire était vicié par le simple fait que toutes ces lois portaient en elle le germe de l’arbitraire, de l’injuste et donc de leur illégitimité.

Au-delà du décryptage hautement symbolique du site, ce qui est remarquable, c’est de constater la place que le droit joue dans cette transition.

Loin d’une méfiance de la règle juridique qui aurait été compréhensible (puisqu’elle n’était qu’un outil de discrimination), l’Afrique du Sud s’est érigé en véritable Etat de droit en se dotant d’une des Constitutions les plus complètes et progressistes au monde. Une place toute particulière y est réservée au droit international, permettant ainsi à une Nation qui avait été mis au banc de la communauté internationale de la réintégrer fièrement.

Visiter Constitution Hill ne vous laissera pas indemne et il est bon parfois de se rappeler que ce qui est tenu pour acquis chez nous et tellement naturel ne l’est pas tant que ça. Visitez Constitution Hill et vous goûterez à la saveur de la liberté. Vous serez ému de votre chance. Vous regarderez votre Cour constitutionnelle avec tendresse et vous vous battrez pour que jamais ne soit remise en cause ne fût-ce que l’étendue de vos droits et libertés.

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