Les conséquences de l’arrêt Salduz sur les affaires belges en cours

par Laurent Kennes - 30 janvier 2011

1. L’arrêt Salduz
La question de la présence de l’avocat lors d’une audition par les services de police, suscitée principalement par l’arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme, a été, déjà, longuement évoquée par Justice-en-ligne, en particulier sous la plume de Damien Holzapfel (cliquez ici) . Il en va de même des conséquences de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme à ce propos sur la procédure belge, et de l’urgence d’une intervention du législateur. Il est donc inutile d’y revenir ici et le lecteur trouvera les informations utiles dans ces précédents articles. Mais voyons ensemble les conséquences, notamment dans des affaires récemment médiatisées.

2. La réaction du législateur belge
Une proposition de loi, signée par les membres de la Commission justice du Sénat, a été formulée. Elle intègre l’assistance d’un avocat lors des auditions de personnes privées de liberté. Mais le parcours est encore long avant qu’une loi sur ce point entre en vigueur.
Entre-temps, les juges sont confrontés aux conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les enquêtes et les procès en cours.

Faut-il considérer que toutes les enquêtes dans le cadre desquelles une personne a été entendue en dehors de l’assistance d’un avocat seraient toutes caduques et ne pourraient jamais aboutir à une condamnation ?

3. La réaction de la Cour de cassation

3.1. La Cour de cassation a été amenée à trancher la question sous des angles différents.

Qu’en est-il devant le juge du fond, c’est-à-dire celui qui doit décider si la personne est coupable ou non et, si oui, le condamner à une peine ?

La Cour de cassation considère actuellement que le droit à un procès équitable implique qu’une personne arrêtée doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat lorsqu’elle est entendue par la police. Mais, dit la Cour, le droit à un procès équitable s’apprécie, malgré tout, à la lumière de l’ensemble des éléments de la cause et il faudra examiner la situation au cas par cas.

Dans la plupart de ses arrêts, rendus après l’arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation a considéré que le condamné avait bien bénéficié du droit à un procès équitable, par exemple, parce qu’il n’avait pas été condamné sur la base de ses premières déclarations mais bien sur la base d’autres éléments de preuve.

Cette question a une nouvelle fois été posée dans une affaire Borremans. L’arrêt a été prononcé le 15 décembre 2010, arrêt évoqué par Damien Holzapfel dans son article du 11 janvier 2011 (cliquez ici) . Monsieur Borremans avait été condamné d’avoir commis des faits de viols et d’attentats à la pudeur par la cour d’appel de Bruxelles. Il avait comparu devant les policiers, puis devant le juge, sans avocat. Il avait, progressivement, avoué certains faits. Le juge avait, après l’avoir entendu, décidé de ne pas le placer sous mandat d’arrêt. La Cour d’appel de Bruxelles l’avait condamné en raison de ses premières auditions alors qu’il contestait ses préventions devant le juge du fond.

La Cour de cassation a relevé que, dans ce cas-là, il y a un problème d’équité du procès. La Cour d’appel de Bruxelles ne peut pas condamner un justiciable sur la base de déclarations qu’il a faites en dehors de l’assistance de son avocat, alors qu’il s’est incriminé (c’est-à-dire a avoué une infraction) pendant une garde à vue sans avocat, et sans posséder les connaissances juridiques qui lui auraient permis de mesurer autrement les conséquences de ses propos.
Dans ce cas-là, la Cour de cassation dit que le juge a motivé la condamnation du prévenu en violation du droit à un procès équitable. Monsieur Borremans devra être rejugé.

3.2. Qu’en est-il, à présent, de la validité d’un mandat d’arrêt ? Peut-on, autrement dit, placer quelqu’un en détention préventive alors même qu’il n’a été entendu qu’en dehors de la présence d’un avocat ?

La Cour de cassation a récemment tranché la question dans le cadre de l’affaire du petit Younès. Son père est actuellement détenu et des audiences se déroulent régulièrement pour décider s’il est absolument nécessaire ou non qu’il reste détenu dans l’attente de son procès. Ses avocats ont plaidé devant la Cour d’appel de Mons que leur client ne bénéficiait pas d’un procès équitable puisqu’il avait été placé sous mandat d’arrêt sans avoir bénéficié d’un avocat lors de sa première audition par les policiers et son audition par le juge d’instruction, et donc avant le mandat d’arrêt. Ils considéraient dès lors que sa détention en préventive était irrégulière.

La Cour de cassation a tranché la question dans un arrêt du 19 janvier 2011 . Elle confirme qu’il ne suffit pas de constater qu’une personne privée de liberté n’a pas pu bénéficier d’un avocat lors de sa première audition pour dire qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable. Il faut analyser la procédure dans son ensemble, soit la manière dont l’enquête s’est déroulée, mais aussi la manière dont le procès devant le juge du fond s’est déroulé. Or, dit la Cour, nous n’en sommes pas encore à ce procès-là. La Cour d’appel devait simplement décider, pour l’instant, s’il fallait le maintenir en détention préventive ou non. Elle n’avait pas à dire qu’il était coupable ou qu’il ne l’était pas.

En d’autres termes, la Cour de cassation dit qu’il trop tôt pour décider que ce justiciable a ou n’a pas pu bénéficier du droit à un procès équitable et a rejeté les arguments développés par sa défense.
Sans doute, la manière dont la Cour de cassation a tranché la question ne fait-elle pas l’unanimité. Mais, cela est un autre débat et il faut bien admettre que nos juges sont, une fois de plus, placés dans une situation délicate en raison du retard mis par la loi belge à se mettre en conformité avec la jurisprudence initiée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Salduz.

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Laurent Kennes


Auteur

Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Namur,
Maître de Conférences à l’Université libre de Bruxelles

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