La Cour constitutionnelle programme la fin de la distinction ouvrier/employé

par Jean-François Neven - 3 août 2011

L’histoire du droit social, c’est aussi l’histoire d’une division : celle des ouvriers et des employés.

A la fin du 19e siècle, la situation des ouvriers, occupés à des travaux lourds et physiques, a été à l’origine de la question sociale : face aux conséquences désastreuses d’accidents du travail trop fréquents, à la pénibilité du travail des femmes et des enfants dans les mines et à la condition ouvrière en général, le législateur ne pouvait plus refuser d’intervenir.

A l’époque, ce qu’on appelait les « cols blancs » (c’est-à-dire les employés) étaient peu nombreux et leur situation était jugée moins préoccupante.

Ainsi, s’explique que la première loi sur le contrat de travail, en 1901, ne concernait que les ouvriers et que ce n’est qu’en 1922 que fut adoptée une loi sur le contrat d’emploi donnant un statut aux employés. A partir de là, les deux statuts ont évolué en parallèle. Il en est résulté une meilleure protection des employés.

En 1978, le législateur a repris les deux législations en une seule loi. Mais fondamentalement, il n’a rien changé. Le critère de distinction est resté le même (l’ouvrier est celui dont le travail est principalement manuel, l’employé celui dont le travail est principalement intellectuel).

Et, surtout, les différences de statuts ont persisté. L’ouvrier est toujours considéré comme ne devant pas bénéficier d’une même stabilité d’emploi : là où, en cas de licenciement, l’employé (quel que soit son niveau de responsabilités) a droit à un préavis de 3 mois par période entamée de 5 ans d’ancienneté, l’ouvrier n’obtient qu’un préavis de 28 ou 56 jours. De même, une certaine méfiance persiste à l’égard de l’ouvrier dont on craint qu’il tombe trop facilement malade. Ainsi, son premier jour de ,maladie est resté un jour de « carence » qui, sauf exception, ne doit pas être rémunéré par l’employeur.

Ces différences, pourtant, apparaissent de moins en moins justifiées tandis qu’avec l’automatisation le critère de distinction entre les ouvriers et les employés devient, dans certains secteurs, de plus en plus inadapté.

En 1993, la Cour constitutionnelle a été interrogée une première fois sur la différence entre les deux statuts. Elle a répondu, de manière embarrassée, que la distinction ne pourrait plus être instaurée actuellement mais qu’il fallait laisser au législateur le soin de rapprocher les statuts progressivement. Dans son arrêt du 8 juillet 1993, la Cour n’a donc pas sanctionné la différence de traitement.

Par la suite, le rapprochement des statuts a fréquemment été mis à l’agenda des négociations entre patrons et syndicats mais avec des résultats limités.

En 2010, des propositions plus substantielles ont été mises sur la table : elles ont abouti à une loi du 12 avril 2011 qui réalise un certain rapprochement, en particulier des durées de préavis.

Mais cette loi est sans doute intervenue trop tard. Entretemps, la Cour constitutionnelle avait été ré-intérrogée. Et cette fois, elle ne s’est pas dérobée.

Son arrêt du 7 juillet 2011 (disponible ci dessous en pièce jointe) est clair. La différence de statut entre les ouvriers et les employés est devenue injustifiable. Elle doit actuellement être considérée comme inconstitutionnelle. Même si une harmonisation progressive pouvait être préférée à une brusque suppression de la distinction entre les deux catégories professionnelles, « le temps dont peut disposer le législateur pour remédier à une situation jugée inconstitutionnelle n’est pas illimité », dit la Cour.

En filigrane, c’est l’inertie du législateur depuis 1993 qui est condamnée.

La Cour fait néanmoins preuve de créativité en décidant que malgré son inconstitutionnalité, la différence de statut peut subsister jusqu’au 8 juillet 2013. D’ici là, le législateur est prié de finaliser une harmonisation. On peut suggérer que les discussions seront difficiles, vu que ni l’alignement du statut des ouvriers sur celui des employés, ni l’inverse ne semblent économiquement/socialement acceptables....

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Jean-François Neven


Auteur

Chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles
Avocat au barreau de Bruxelles

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