Faut-il modifier la loi spéciale organique sur la Cour constitutionnelle belge et autoriser que les arrêts qu’elle rend puissent être accompagnés d’opinions séparées, dissidentes ou concordantes ?

C’est l’article publié ici même dans lequel M. Jean-Paul Costa , président émérite de la Cour européenne des droits de l’homme, expose les mérites et les avantages respectifs de cette pratique diversement adoptée selon les systèmes juridictionnels envisagés, qui a suscité cette question d’un lecteur.

Voici l’avis d’une experte en la matière : Marie-Françoise Rigaux, référendaire à La Cour constitutionnelle et professeur de droit constitutionnel aux Facultés universitaires Saint-Louis

La pratique des opinions séparées n’existe à ce jour dans aucune juridiction belge. Le principe du secret du délibéré ne souffre pas d’exception. Il est vrai que, par la voix des membres du parquet général près la Cour de cassation (ou par l’écrit, les avis du parquet général pouvant être publiés) et par celle des auditeurs du Conseil d’Etat (dont les rapports font toujours l’objet d’une communication écrite aux parties), des magistrats indépendants du siège et qui ne participent pas aux délibérés exposent un point de vue juridique, le cas échéant différent,sur toutes les affaires dont est saisie leur juridiction respective.Ce point de vue intéresse au premier chef les parties au litige mais aussi, plus tard, les juristes qui commenteront l’arrêt, voire les avocats qui devront ultérieurement connaître d’une affaire similaire. Mais il ne s’agit pas à proprement parler d’« opinions séparées » puisque ces magistrats ne font pas partie du siège qui a pris la décision.

Ni parquet, ni auditorat à la Cour constitutionnelle ; pas d’opinions séparées non plus. Le législateur a délibérément rejeté l’idée que le principe dusecret du délibéré puisse être rompu au sein de la juridiction constitutionnelle belge. Il est vrai qu’à l’originela Cour était uniquement chargée d’« arbitrer » les conflits de compétence entre les différents législateurs, fédéral, communautaires et régionaux, ce qui semblait, à bon droit, exclure l’idée que la pacification juridique dont elle était chargée puisse être énervée par l’expression de voix divergentes. La règle vaut encore aujourd’hui, même si les compétences de la Cour se sont étendues largement.

Peut-on cependant imaginer que, dans le contentieux constitutionnel des droits humains sur lesquels ils se prononcent aussi aujourd’hui, les juges de la Cour constitutionnelle expriment publiquement une opinion contraire ? Une juridiction constitutionnelle nationale (la même interdiction vaut devant le Conseil constitutionnel français) ne saurait pas être comparée à une juridiction internationale, telle la Cour européenne des droits de l’homme, dont le champ de compétence territoriale s’accommode mieux sans doute de pareille pratique. L’autorité des arrêts d’une juridiction nationale souffrirait davantage, eu égard à cet espace plus restreint, de la pratique des opinions séparées, qu’une juridiction internationale à qui cette pratique permet de nuancer des positions dans une matière où le droit des différents Etats susceptibles d’être mis en cause devant elle au contentieux des droits fondamentaux peut, légitimement, être apprécié différemment.

Je vois encore un autre mérite au maintien du secret absolu du délibéré. M. J.-P. Costa écrivait que le secretprésupposait que le jugement était rendu à l’unanimité. En effet, même sil’arrêt de la Cour constitutionnellepeut faire l’objet d’un vote interne et donc d’un éventuel partage des voix au sein de la juridiction, la loi sur la Cour constitutionnelle établit très précisémentles règles nécessaires pour qu’un majorité soit acquise en tenant compte de nombreux paramètres (quota de présence, respects des équilibres linguistique et professionnel, alternance des présidents…), et l’arrêt ne mentionne pas la répartition des votes au sein du siège. Cette règle, cependant, ne privilégie-t-elle pas aussi un autre mode d’obtention d’une décision au sein de la Cour constitutionnelle, la règle du consensus ? Dans la pratique, en effet, beaucoup d’arrêts sont adoptés au terme d’un délibéré qui permet à chacun des juges d’exprimer son point de vue, d’amender le projet d’arrêt initial, de déposer à son tour une « variante », etc. D’aucuns objecteront que cette pratique conduit à rédiger des arrêts de « compromis ». On peut répondre que, s’agissant de se prononcer au contentieux constitutionnel, dans une matière qui devrait être comprise et respectée de la même manière par toutes les autorités de l’Etat mais aussi par tous ses citoyens, une décision acquise par le voie du consensus permet peut-être mieux de rencontrer l’autorité attendue d’un arrêt de la Cour constitutionnelle.

Favoriser, alors, l’expression d’opinions « anonymes » comme le suggère notre lecteur ?Cette solution met mal à l’aise : l’anonymat est une démarche éthiquement douteuse ;elle pourrait favoriser l’expression d’opinions juridiquement délicates, voire moralement ou politiquement incorrectes. Et surtout, même à supposer l’intérêt scientifique réel qu’un telle expression anonyme permettrait, il faut rappeler qu’une juridiction n’est pas un collège d’universitaires ou d’experts chargés de débattre théoriquement de problématiques juridiques. La Cour constitutionnelle doit dire le droit pour mettre un terme à un conflit juridique dont les enjeux sociaux, politiques et humains sont à cet égard très différents de l’intérêt de connaître l’une ou l’autre opinion scientifique exprimée dans le confort de l’anonymat qui met à l’abri de toute forme de responsabilité, pour la science et pour autrui.

Votre point de vue

  • André
    André Le 7 avril 2014 à 15:51

    Le droit à la transparence est malheureusement usurpé... Bien dommage. Je trouve ça tellement triste qu’un magistrat qui ne partage pas l’opinion de la majorité des juges doit avoir honte de parler et d’exprimer la sienne. La société dans laquelle on vit semble bien triste.

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  • Le 17 mars 2012 à 19:04

    Il est certes aisé de trouver des arguments pour justifier le secret absolu du délibéré comme il en existe aussi pour défendre la thèse inverse mais là n’est pas mon propos : je me situerai sur l’aspect moral et sur le droit à la transparence dont doit bénéficier tant la société que le justiciable. Est-il vraiment nécessaire aujourd’hui de tenter de faire croire que le jugement est le fruit du consensus des magistrats qui composent la cour alors que nous sommes convaincus qu’il n’en est rien et cela pour toute une série de raisons : des motifs linguistiques, des raisons philosophiques ou morales, etc. Pourquoi d’autre part, les magistrats qui ne partagent pas l’opinion de la majorité des juges qui composent le siège doivent taire la leur. Pas au nom de la transparence ou de la vérité en tout cas !Pourquoi le justiciable ne devrait être informé que l’arrêt qu’on lui oppose a été pris par 5 voix contre 4 ou que ces 4 magistrats ont un avis juridique circonstancié différent. A quel titre, devons-nous censurer ces magistrats et celer à tout jamais leur avis juridique. Surtout que l’essentiel a été atteint, la justice a tranché le litige qui lui a été soumis. Certes, notre pratique est différente mais cela ne me semble pas être un obstacle insurmontable, ni la seule exception dans les démocraties occidentales ; ainsi, la transparence existant, à cet égard, à la cour suprême des Etats-Unis. A ce sujet, je crois que connaître la personnalité des magistrats que le Roi nomme à la Cour n’est pas dénudée d’intérêt pour la société et le justiciable. En Belgique, comme en France, nous avons le culte du secret et des arrangements de salons, d’ateliers ou d’alcôves alors que le système américain auditionnant les magistrats retenus pour siéger à la cour suprême me paraît plus démocratique, et plus transparent.

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