La présomption d’innocence au frigo

par Jean-Claude Matgen - 6 avril 2012

Plusieurs députés, Valérie Déom, Thierry Giet et Christian Brotcorne, ont déposé une proposition de loi à la Chambre des représentants, qui entend confier à la Justice le soin d’intimer l’ordre à un média jugé fautif de mettre fin à la diffusion de propos ou d’images diffamants.
Cette proposition a été discutée mais, vu l’importance des questions en cause, son examen est actuellement suspendue.

Jean-Claude Matgen nous offre un tour de la question.

La commission de la Justice de la Chambre a récemment décidé de ne pas voter comme telle une proposition de loi relative à la présomption d’innocence. Après avoir entendu des représentants de la presse et des magistrats, les parlementaires ont décidé d’en « suspendre » l’examen. Selon Valérie Déom (PS), qui a déposé ce texte aux côtés de Thierry Giet (PS) et Christian Brotcorne (CDH), si la proposition revient à l’agenda, ce sera dans une version modifiée. La commission avait pourtant, il y a quelques semaines, mis à son ordre du jour cette proposition déposée en octobre 2010 et qui reprenait des textes plus anciens dus à la volonté de la députée CDH Clotilde Nyssens et, avant elle, du CD&V Hugo Vandenberghe.

Tous désiraient qu’une loi protège davantage la présomption d’innocence des inculpés contre d’éventuelles dérives journalistiques. L’idée était de prévoir la possibilité, en cas de violation du principe de la présomption d’innocence, d’introduire une requête devant le président du tribunal de première instance, lequel pourrait ordonner à un média de stopper la diffusion de propos ou d’images diffamants.

Les auteurs rappelaient l’importance du principe de la présomption d’innocence consacré par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Cour de cassation, et évoquaient l’arrêt Worm c. Autriche du 29 août 1997, par lequel la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que les médias sont tenus au respect de la présomption d’innocence.

Or, observaient-ils, trop de personnes faisant l’objet de poursuites sont livrées en pâture à l’opinion par certains médias, sans considération pour les dommages qu’une telle exposition peut leur causer.
Mme Déom et MM. Brotcorne et Giet considéraient que la législation actuelle et la jurisprudence qui en découle ne suffisent pas à assurer une intervention rapide et efficace en cas de violations majeures de la présomption d’innocence.

Ils jugeaient hasardeuse l’instauration d’une procédure en référé, trouvaient des défauts à la formule du droit de réponse (qui rappelle les propos diffamants au lecteur et est souvent suivi d’une réplique de l’éditeur), estimaient que le droit à l’image n’est pas suffisamment protégé et regrettaient que la réhabilitation, souvent symbolique à leurs yeux, rendue possible par le Code civil, intervienne tardivement.

D’où leur idée d’ouvrir la voie au dépôt d’une requête invitant un juge, comme en référé (c’est-à-dire dans des délais aussi rapides que dans les procédures d’urgence mais en manière telle que la décision rendue soit considérée comme définitive, à l’instar d’un jugement rendu à l’issue des procédures normales), à ordonner au média visé de stopper la diffusion de propos ou d’images diffamants, de procéder à leur retrait ou de publier un communiqué rectificatif. De quoi, disaient-ils, garantir à la personne considérée comme coupable que son droit à un procès équitable sera respecté.

La même procédure, ajoutaient-ils, devait jouer afin d’empêcher qu’un condamné depuis par exemple six mois qui purge sa peine ou l’a déjà purgée puisse se retrouver sous les feux de l’actualité sans nécessité.

Certains ont vu dans cette proposition une tentative de museler la presse, de l’empêcher de révéler au public l’existence de dysfonctionnements, une volonté de protéger les puissants qui prendraient des libertés avec la loi.

Les auteurs s’en sont toujours défendu, déclarant que leur volonté était d’ouvrir un débat de société. C’est ainsi que la commission de la Justice de la Chambre a entendu de nombreux intervenants, comme les responsables francophone et néerlandophone des conseils de déontologie journalistique, les secrétaires nationaux des associations des journalistes professionnels et plusieurs magistrats, parmi lesquels Patrick Mandoux, conseiller à la Cour d’appel de Bruxelles, et Dirk Van der Kelen, président du tribunal de première instance de Termonde.

De ces auditions, il est apparu que le texte ne faisait pas l’unanimité. Les magistrats l’ont trouvé trop vague et trop imprécis, de quoi rendre compliquée sa mise en œuvre.

Pour Martine Simonis, secrétaire générale de l’association des journalistes professionnels (AJP), il eût été malsain de confier à un juge le soin de décider du contenu de l’information. En outre, a-t-elle indiqué, la présomption d’innocence est un principe garantissant aux citoyens des droits à l’égard des autorités judiciaires mais son respect ne s’impose pas aux journalistes, sinon sur le plan, important, de la déontologie. Et pour faire respecter celle-ci, rien ne vaut, disent les professionnels des médias, l’autorégulation…

Filip Voets, secrétaire général du Conseil de déontologie du côté néerlandophone, un organe qui fonctionne depuis plus de dix ans, a évoqué quelques mesures concrètes prises par son association, de quoi prouver, selon lui, que les conseils de déontologie sont des outils suffisants pour éviter ou réparer d’éventuels dérapages.

Lieve Pellens, porte-parole du parquet fédéral, a toutefois estimé que l’autorégulation ne suffisait pas face à la rapidité de la diffusion des informations. Les éditeurs de journaux seraient, de leur côté, prêts à mettre en œuvre une procédure rapide de rectification des informations en ligne.
Quoi qu’il en soit, l’association générale des journalistes professionnels de Belgique (AGJPB) a acté « avec satisfaction l’arrêt des travaux parlementaires » et indiqué qu’elle restait à la disposition du Parlement « pour améliorer les dispositifs existants, dans le respect de la liberté d’expression et du travail journalistique ».

La proposition a donc été mise en veilleuse mais « on attend sa réapparition prochaine, comme on attend celle du monstre du Loch Ness », commentait un journaliste un brin moqueur.

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