L’affaire de Gomzée : jusqu’où va la légitime défense ?

par Cédric Lefèbvre - 25 juillet 2012

Au début de ce mois de juillet, à Gomzée, selon la presse, un cambrioleur, armé d’un grand couteau et accompagné de trois complices, a été mortellement atteint d’un coup de fusil de chasse tiré par le petit-fils de la personne visitée, qui avait surpris les voleurs et s’était senti menacé.

Ces événements posent à nouveau la question de la légitime défense.

Que recouvre cette notion ? Jusqu’où est-elle admissible ?

Cédric Lefèbvre, avocat au barreau de Bruxelles, nous aide à y voir plus clair, sans bien entendu se prononcer sur ces faits en eux-mêmes.

1. Un homme armé tire sur un cambrioleur à l’intérieur de la maison d’un tiers, et le tue. Peut-il invoquer la légitime défense ?

La notion de légitime défense est bien plus complexe qu’il n’y paraît à première
vue.

2. Toute défense n’est assurément pas légitime, bien au contraire. Pour qu’une défense puisse être considérée comme légitime, il faut qu’elle réunisse différents critères strictement réglementés.

La volonté du législateur est assurément d’éviter d’encourager toute forme de justice privée, par le recours notamment à une notion extensive de la légitime défense.

La légitime défense est une cause de justification légale, c’est-à-dire prévue par la loi, à savoir les articles 416 et 417 du Code pénal.

La cause de justification fait disparaître la faute, et donc l’infraction (en vertu du principe général de droit pénal selon lequel il n’y a pas d’infraction sans faute).

En d’autres termes, la cause invoquée (par exemple la légitime défense) justifie le comportement dont question et donc lui retire tout caractère fautif.

3. Il existe trois autres causes de justification légales, dont notamment la démence et la force majeure article 71 du Code pénal (par exemple : sous la menace d’une arme, une personne est obligée de commettre un faux).

A côté des causes de justification prévues par la loi, trois autres causes de justification sont admises en jurisprudence : l’erreur invincible, l’état de nécessité et la résistance légitime aux abus de l’autorité.

4. Pour revenir à la légitime défense, il s’agit donc d’une cause de justification légale et spécifique, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’à l’homicide et aux coups volontaires, et non à toutes les infractions.

L’article 416 du Code pénal dispose qu’« Il n’y a ni crime ni délit, lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d’autrui ».

L’article 417 du Code pénal précise deux cas de légitime défense :

« Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de la défense, les deux cas suivants :

Si l’homicide a été commis, si les blessures ont été faites, si les coups ont été portés en repoussant, pendant la nuit, l’escalade ou l’effraction des clôtures, murs ou entrées d’une maison ou d’un appartement habité ou de leurs dépendances, à moins qu’il soit établi que l’agent n’a pas pu croire à un attentat contre les personnes, soit comme but direct de celui qui tente l’escalade ou l’effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci.

Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vol ou pillage, exécutés avec violence envers les personnes ».

5. Pour que la légitime défense soit retenue, pas moins de cinq conditions sont requises :

1° Il faut se trouver confronté à une agression (déjà commencée ou imminente).

Illustration : le voleur, découvert dans un musée, crie devant témoins qu’il n’est pas armé et qu’il ne bougera pas, mais un gardien lui tire une balle dans le bras. Ce gardien devra répondre de coups et blessures volontaires en l’absence de toute agression du voleur.

2° Il doit s’agir d’une agression envers des personnes (soi-même ou autrui, mais pas des biens).

Illustration : une personne malintentionnée crève les pneus d’un véhicule dans lequel personne ne se trouve ; le propriétaire s’en aperçoit de la fenêtre de sa maison et lui tire dessus ; pas de légitime défense.

3° L’agression dont on se défend doit être injustifiée (notamment pas justifiée elle-même par une attaque antérieure de l’auteur du comportement dont question).

Illustration : un père veut pénétrer dans sa maison en feu dans laquelle son enfant se trouve toujours ; un passant essaie de l’en empêcher ; le père lui donne des coups pour passer (coups a priori justifiés par l’état de nécessité) ; le passant énervé donne un coup de couteau au père et le blesse fortement ; pas de légitime défense.

4° La défense doit être actuelle, donc immédiate.

Illustration : un étudiant se fait tabasser par un autre étudiant. La semaine suivante, le premier tombe par hasard sur le deuxième dans un café, et lui porte un coup de couteau alors que l’autre n’est même pas menaçant ; pas de légitime défense.

5° Cette défense doit enfin être proportionnée à l’attaque.

Illustration : le client d’un restaurant se dispute avec le barman ; le client s’avance vers le bar, armé du couteau ordinaire placé à côté de son assiette ; le barman sort une arme à feu et tire en direction du cœur ; pas de légitime défense.

Si toutes les conditions sont réunies, la légitime défense invoquée justifie le comportement et aucune infraction ne peut être retenue.

6. Il est encore important de préciser que la personne poursuivie qui invoque, avec vraisemblance, une cause de justification n’est pas tenue de la prouver. Il revient en effet à la partie poursuivante (le ministère public, le parquet) de prouver que les conditions d’application de la cause de justification invoquée ne sont pas réunies.

7. Pour en revenir à l’hypothèse de départ : un homme armé tire sur un cambrioleur à l’intérieur de la maison d’un tiers, et le tue.
Cet homme essayera dans un premier temps de se prévaloir des hypothèses consacrées par l’article 417 du Code pénal. A défaut, il mettra en avant l’article 416 du Code pénal.

En fonction de l’un ou l’autre article, pour que la cause de justification soit admise, de nombreuses conditions devront être réunies (nuit, escalade ou effraction, agression envers une personne, proportionnalité ?).

Le juge du fond (plus spécialement le tribunal correctionnel ou la cour d’assises) appréciera la situation souverainement après une analyse qui comportera toujours une certaine dose de subjectivité, chaque cas étant différent.

Mots-clés associés à cet article : Cambriolage, Cause de justification, Justice privée, Légitime défense,

Votre point de vue

  • le Glaude
    le Glaude Le 27 mai 2015 à 20:30

    Pour ma part, j’ai été très souvent agressé pendant toute ma vie par des membres de ma famille, puis du clergé, puis par des politiciens communaux, ensuite par des petits chefs, ou clients. Je me suis le plus souvent défendu avec la dernière énergie, ce qui m’a valu une réputation de bagarreur, savamment entretenue. Je signale que de ma vie, je n’ai jamais agressé qui que ce soit, même verbalement. On n’a donc jamais pu me condamner officiellement, mais on me fait la vie impossible. Mes colis postaux n’arrivent jamais, et l’administration pour moi ne semble pas exister, sauf pour payer.
    Après 38 ans de service, je touche ma pension, et compte partir (voter avec les pieds).
    Je suis très loin d’être le seul dans cette situation. Cette waffia s’est bien mise en place depuis des décennies.
    Je suis débrouillard techniquement parlant. Je n’ai donc jamais du solliciter qui que ce soit pour quoi que ce soit.

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  • Georges-Pierre Tonnelier
    Georges-Pierre Tonnelier Le 15 novembre 2012 à 20:25

    Les événements tragiques évoqués par l’auteur de cet article soulignent la nécessité de procéder à la modification immédiate des règles du Code pénal en matière de légitime défense, au sujet duquel le législateur a fautivement tardé à mener un débat serein pourtant largement souhaité par l’opinion publique.

    Effectivement, comme il le souligne, notre législation pénale n’admet la légitime défense que s’il s’agit de la défense de soi-même ou d’autrui.

    Il reviendra donc exclusivement à l’ « auteur » de tels faits de plaider la contrainte morale ou la force irrésistible pour tenter de se voir acquitté des préventions automatiquement mises à sa charge avec tous les aléas que comporte une telle aventure judiciaire.

    Dans le climat d’insécurité croissant que connaissent nos grandes villes depuis de nombreux mois, l’opinion publique comprend de moins en moins de telles restrictions au concept de légitime défense.

    Le citoyen ne peut admettre une telle inversion malsaine des rôles de malfaiteur et de victime qui conduit des commerçants rebelles à leurs agressions à se voir condamnés à des peines pénales infamantes et à des dommages et intérêts à l’occasion de la défense de leurs biens suite à des agressions de la plus extrême violence.

    Il comprend tout aussi peu que d’autres commerçants placés dans des situations identiques aient dû soutenir des procédures judiciaires longues et hasardeuses à plusieurs degrés d’instance pour se voir finalement acquittés sans en recevoir la moindre indemnisation.

    De telles violences faites au bon sens sont d’autant moins acceptables que la Belgique est isolée dans cette législation restrictive au regard de celles des pays limitrophes.

    En effet, tant en France qu’aux Pays-Bas et en Allemagne, les législations relatives au concept de légitime défense étendent celui-ci à la protection des biens.

    Le droit pénal néerlandais — contrairement au nôtre — prévoit explicitement que la défense d’un bien contre une atteinte à celui-ci doit être qualifiée de légitime défense (article 41 du Code pénal). Le Code pénal allemand va plus loin encore et parle de la protection de la vie, du corps, de la liberté, de l’honneur, de la propriété et de tout autre bien juridique (§ 34).

    L’expérience acquise dans les pays concernés a démontré que le fait d’étendre la réglementation de la légitime défense aux biens n’entraîne en pratique aucun excès et n’a d’ailleurs aucunement été sanctionnée par la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

    Georges-Pierre Tonnelier
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://be.linkedin.com/in/georgespierretonnelier

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 30 juillet 2012 à 15:45

    Je pense sincèrement que si le citoyen pouvait faire confiance à la justice, il ne se trouverait pas dans une situation grave où il n’aurait d’autre choix que de se défendre. Qui dit qu’il a l’impression de rendre justice ? Il sauve sa peau, tout simplement. C’est plutôt la justice mal rendue qui amène à ce type de situation. Nos gouvernants et notre système de justice laxistes encouragent le sentiment d’impunité pour les malfaiteurs. C’est tellement plus facile, visiblement, de poursuivre la victime devant les tribunaux. C’est le monde à l’envers. Après le choc de l’agression, il est imposé à la victime le choc du jugement. Cette dérive est honteuse et porte un coup terrible au sentiment d’insécurité déjà bien trop présent.

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  • skoby
    skoby Le 28 juillet 2012 à 16:51

    Si un homme surprend dans sa maison un voleur armé d’un grand couteau, et
    en plus accompagné de 3 complices, n’a pas le droit de se sentir menacé, ainsi
    que des membres de sa famille, et n’est pas considéré en état de légitime défense, il est grand temps de modifier la loi, qui donne la vie un peu trop façile aux agesseurs et aux voleurs.
    Je voudrais voir un Juge, se trouvant dans la même situation, face à 4 hommes, dont un seul est armé d’un grand couteau. Il ne sait pas si lui-même ou des membres de sa famille ne risquent pas de graves blessures, voir la mort et qu’il ne soit pas considéré en état de légitime défense.
    Tout cela n’est plus adapté à notre époque de grande violence, et il faut absolument que les agresseurs soient sanctionnés plus durement.
    Ce n’est parce que notre Gouvernement a été incapable de construire de nouvelles prisons, ou de moderniser les prisons existantes, que c’est le citoyen innocent, qui écope à cause du laissez-aller de beuacoup de nos Juges.
    Nous devons pouvoir continuer à faire confiance à la Justice, devenue beaucoup trop laxiste.

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