La libération conditionnelle : l’association syndicale des magistrats rappelle les principes et les pratiques au cœur de notre système pénal

par L’ association syndicale des magistrats (A.S.M.) - 22 août 2012

Les réactions reçues sur notre site au sujet de l’éventuelle libération conditionnelle de Michelle Martin vont en sens divers (voy. les messages reçus sous notre article « L’annonce de la libération de Michelle Martin suscite l’émoi »).

Des citoyens se sont exprimés ce dimanche 19 août 2012 pour manifester leur désaccord avec cette mesure.

A la veille de cette manifestation, l’association syndicale des magistrats (A.S.M.) (c/o Centre universitaire de Charleroi - avenue Général Michel, 1b - 6000 - Charleroi – tél. : 0479/308.219 - asm@asm-be.be - www.asm-be.be) a publié un communiqué important, qui rappelle les fondements de la législation relative à la libération conditionnelle.

Il a paru utile à Justice-en-ligne de publier ci-dessous ce communiqué.

Les organisateurs de la marche de dimanche invitent le monde politique à renverser des principes qui sont au cœur de notre système juridique pénal. L’A.S.M. manifeste son attachement à ces principes et veut aujourd’hui en rappeler toute l’importance.

De quoi s’agit-il ? De l’égalité des citoyens, garantie par la justice dont la mission est d’appliquer la loi à tous les justiciables, et de la libération conditionnelle, outil indispensable de la politique criminelle.

Si la mission de la justice est de réparer les torts, disons-le, c’est mission impossible : jamais elle ne pourra apaiser le sentiment d’horreur ni réparer les souffrances subies par les victimes, qu’il s’agisse de l’affaire Dutroux, dans laquelle les parents ont mené un combat exemplaire en vue de réformes nécessaires, ou de tant d’autres dossiers dont on a moins parlé. Malgré cette impossibilité, la mission de la justice comprend celle de revoir les condamnés, souvent de nombreuses années après leur jugement et après l’exécution d’une grande partie de leur peine, et d’examiner leurs possibilités de réinsertion dans notre société. Les condamnés ont des droits, sans lesquels il n’y a pas de dignité humaine. Cessons de parler d’« errements de la justice » lorsque les instances judiciaires exercent leur mission.
« A quoi sert un jury populaire s’il s’agit de réduire les peines dans les faits ? Si l’on n’exécute pas les peines prononcées, plus personne ne respectera la loi. Il faut encourager les peines incompressibles ». Venant de personnes qui ont subi les pires douleurs infligées par des criminels reconnus coupables, ces questions et ces revendications marquent toutes les consciences citoyennes.
Les organisateurs de la marche proposent une « réforme rapide et profonde de la justice » dans le sens d’un durcissement des sanctions et leurs revendications semblent viser l’ensemble du système pénal. Est ainsi mis en cause le principe de la libération conditionnelle.

Voyons la réalité : la libération conditionnelle peut être demandée après l’exécution d’au moins un tiers voire des deux tiers de la peine mais ce n’est pas un droit acquis sans conditions ni de manière automatique. Elle représente l’unique espoir pour une grande partie de la population pénitentiaire. Cet espoir passe par un parcours semé d’embuches, qu’il faut entreprendre et répéter pour éviter de sombrer dans l’impasse que représentent les longs séjours dans nos prisons. Car celles-ci offrent fort peu de perspectives : dans l’état actuel des choses, il ne faut pas trop compter sur les années passées derrière les murs pour assurer la prévention de la récidive. Cette prévention relève bien plus du tribunal de l’application des peines à qui est confiée la mission d’évaluer l’existence ou non d’un risque de récidive et de décider des libérations conditionnelles ainsi que d’autres mesures à l’égard des condamnés qui permettront de les suivre et les encadrer afin de travailler à leur réinsertion.

Après deux ans, cinq ans, dix-sept ans en prison, ne faut-il pas impérativement permettre aux individus de construire leur avenir, ou ce qu’il en reste, hors des murs ? « Non ils ont mérité leur sort », entend-on. Comme si l’offre d’une chance de s’en sortir après la prison niait le principe de la responsabilité pénale. Cet argument est faux : la condamnation, le temps d’emprisonnement et les autres sanctions sont là pour le montrer. La libération conditionnelle ne supprime pas la responsabilité pénale, elle est un mode d’exécution d’une partie de la peine. Aujourd’hui, alors que le temps du lynchage et du bannissement est révolu, à quoi doit donc servir cette responsabilité que la société impose aux criminels et aux délinquants ? La sanction est à la fois une peine et une mesure de protection de la société. La réponse à cette question a varié au long de l’histoire de l’humanité. En Belgique, la libération conditionnelle des condamnés remonte à la fin du XIXème siècle. Dès cette époque, c’est une certaine vision de l’homme qui a prévalu. Sans jamais nier la responsabilité de l’individu, du moins lorsqu’il est sain d’esprit, on a admis que les comportements subissaient l’influence de certains facteurs sociaux, familiaux et autres. Songeons aux abuseurs d’enfants qui ont eux-mêmes été abusés dans leur enfance et dont les blessures n’ont jamais été soignées.

D’où une deuxième idée : si des facteurs peuvent conduire un individu à commettre des délits, il doit être possible d’agir positivement sur ces facteurs pour aller vers ce qu’on appellera selon les époques l’amendement, le reclassement ou la réinsertion du condamné, à condition d’agir sur ses conditions de vie. C’est l’objet de la libération conditionnelle que la loi définit aujourd’hui comme un mode d’exécution de la peine privative de liberté par lequel le condamné subit sa peine en dehors de la prison, moyennant le respect des conditions qui lui sont imposées pendant un délai d’épreuve déterminé. La libération conditionnelle est l’un des outils légaux du reclassement. Comme tel, elle est un facteur important de lutte contre la récidive car la personne libérée est suivie et encadrée par des assistants de justice, les services de police, le ministère public ainsi que par le tribunal de l’application des peines et elle est tenue de respecter les conditions fixées à sa libération. Cette réalité s’oppose à la croyance dans le « tout répressif » qui est un mythe. Le recours renforcé à l’emprisonnement est un cercle vicieux. Pour être efficace, la politique pénale doit, outre la sanction, proposer des mesures positives au condamné, mesures dont l’exécution et le respect sont contrôlés.

Sans commenter la décision qui a été prise dans le cas de Michelle Martin, nous relevons qu’il est fondamentalement inexact et injuste de dénoncer l’application de la loi par un tribunal comme un dysfonctionnement de la justice, au motif que tel justiciable devrait être privé des droits reconnus légalement à tous.

Dans l’état de droit auquel nous aspirons, il est du devoir de la juridiction saisie d’un recours de rester insensible aux pressions de l’opinion et des médias.
Tous, nous devons le comprendre et l’admettre.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 24 août 2012 à 17:40

    Tout porte à croire que la loi Lejeune ne sert qu’à désemplir les prisons, par manque de place dû à l’inertie de nos différents gouvernements, qui ont toujours traités la Justice en "enfant pauvre". Je trouve que les condamnés doivent faire leur peine jusqu’au bout de leur condamnation, dans le principe et que la peine ne pourrait être réduite que par une formation donnée en prison et préparant le prisonnier à se prendre en main et avoir l’espoir et la formation d’exercer un métier. Seul cela diminuera les risques de récidives de la plupart. Les cas extrêmes doivent purger leur peine jusqu’au bout. Je ne dirai donc pas que la Justice est injuste, mais qu’elle n’a pas les moyens (e.a. financiers) pour traiter tous les cas dans un laps de temps raisonnable, qu’elle n’a pas l’nfrastructure pour préparer les prisonniers à réintégrer la vie civile, et que c’est par contre un peu trop façile d’appliquer presque aveuglément la loi Lejeune pour remettre en liberté des assassins d’enfants ou des malfrats qui ne savent ni lire, ni écrire, et dont le seul but dans l’existence est de voler les autres, quitte à devoir les tuer, pour arriver à leurs fins.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 23 août 2012 à 13:03

    "De l’égalité des citoyens, garantie par la justice dont la mission est d’appliquer la loi à tous les justiciables,..." J’ai plus qu’un doute pour avoir vécu personnellement l’expérience contraire à Nivelles. J’ai rencontré et découvert une cour partisane, incapable d’impartialité, de droiture et de justesse. Mes plaintes déposées, en 2008, 2009, 2010 et 2011, complétées par les documents "personnes lésées" sont à ce jour toujours en attente de traitement. Cela n’a pas empêché le tribunal de police de rendre un jugement faisant fi de cette situation. Malgré le "droit que nous offre" la justice à pouvoir suivre l’état de nos plaintes, nous apprenons ce matin par un courrier du procureur qu’elles sont toujours en information. Nous n’avons toujours pas eu droit à l’accès à nos dossiers et le jugement est tombé malgré tout à notre désavantage : condamnation à payer des dommages moraux à la partie adverse, deux magistrats, pour procédure téméraire et vexatoire. Alors la justice égale pour tous, je n’y crois guère. Je ne suis pas la seule. De plus en plus souvent, j’entends parler de "l’injustice" en lieu et place de la "justice". Dans l’absolu, je suis d’avis que même si une décision est légale, elle n’est pas pour autant la bonne. Il apparaît clair que le monde judiciaire doit impérativement faire un travail de reconstruction, de remise en question et d’actualisation de son fonctionnement intégral. Ne dit-on pas : "Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis" ? Ce travail demande beaucoup de modestie, de courage et de capacité à revoir sa position dans la société qui évolue très vite. Ce n’est qu’à ce prix-là qu’elle se donnera les moyens pour retrouver la confiance du citoyen. Les personnes qui jugent, qui décident sont des femmes et des hommes avant tout. Elles (ils) peuvent donc se tromper. Ce ne sont pas leurs études qui les mettent à l’abri des erreurs. Je suis persuadée que trop de personnes se trouvent en prison alors qu’elles ne le devraient pas. J’ai l’impression que la prison est devenue la solution facile pour punir. Il y a certainement des peines à revoir. Pourquoi ne pas davantage utiliser la possibilité de condamner à des travaux d’utilité pour l’état ? pour les familles ? Que la prison ne soit plus utilisée que pour les cas où les justiciables représentent un réel danger pour la société belge ? En cas de violence morale ou physique, maltraitance, crime, pédophilie, menaces pour la nation et ses valeurs (sharia4belgium, e.a.). Il faut surtout prendre enfin et de façon efficace les droits des victimes en compte. La victime doit elle aussi se reconstruire, continuer à vivre après le(s) dommage(s) subi(s). La victime doit à tous moments être concertée, informée et doit avoir son mot à dire. La justice ne peut pas décider de tout à sa place.

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  • Vicqueray
    Vicqueray Le 23 août 2012 à 12:16

    Vicqueray,
    Si vous affirmez, que la loi est respectée, pourquoi le fait d’ avoir organisé son insolvabilité n’a t-il pas été pris en compte. Je n’ai entendu, que la seule volonté de changer la loi. Si le temps passé derrière les murs, n’est pas une garantie de non récidive, il est quasi certain, à mon humble avis, que des peines incompressibles, certes moins lourdes, feraient réfléchir certains individus avant de commettre le délit
    qui le ferait condamné à la prison, cela aussi nous dispenseraient d’unTAP avec les avantages, économiques et de personnels, à reclasser, je crois pouvoir affirmer qu’un manque cruel de magistrats est compensé par les avocats.

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  • Jacques De Paoli
    Jacques De Paoli Le 23 août 2012 à 11:29

    Peu de mots.

    Une décision de libération conditionnelle doit-elle ignorer le trouble à l’ordre public qu’elle va susciter ?

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