Expulser la presse des prétoires, ou rendre la Justice plus transparente grâce aux médias ? - Les recommandations du Réseau européen des Conseil de Justice

par Gabrielle Lefèvre - 17 septembre 2012

Dans le déferlement de réactions contradictoires à propos de la libération conditionnelle de Michèle Martin, quelques voix se sont élevées pour critiquer à raison les dérapages médiatiques d’une certaine presse.

Mais plutôt que d’expulser la presse des prétoires, comme le demandent certains, ne vaut-il pas mieux tenter de travailler mieux avec les médias d’information afin d’éclairer les citoyens sur le fonctionnement de la Justice ?

Un rapport du Réseau des Conseils européens de Justice, que nous présente ci-après Gabrielle Lefèvre, elle-même journaliste et ancien membre du Conseil supérieur de la justice trace les grandes lignes d’une entente possible avec les journalistes.

Ce Réseau a pour but d’établir une coopération entre les divers Conseils de Justice des Etats membres de l’Union européenne, la Belgique y étant représentée par le Conseil Supérieur de la Justice (www.encj.eu).

Le rapport, intitulé « Justice, société et les médias », approuvé en juin 2012 à Dublin par le Réseau des Conseils européens de Justice, balaye quelques réflexes rétrogrades de nombre de magistrats et chefs de corps qui se méfient de la presse comme de la peste. Il consacre les pratiques de ceux qui ont vu dans les médias d’information des interlocuteurs servant réellement la cause de la transparence de la justice. Il détaille d’ailleurs quelques exemples intéressants d’ouverture et de modernisation aux Pays-Bas et au Danemark notamment.

Selon ce rapport, tous les pays devraient développer un système de porte-paroles judiciaires représentés par des juges de presse et des conseillers en communication. Ceux-ci devraient démontrer une connaissance approfondie du fonctionnement judiciaire mais aussi savoir communiquer avec le public dans un langage accessible à tous.

Autre point sensible : les enregistrements audio et vidéo peuvent être autorisés dans les tribunaux pour autant que des mesures aient été prises afin d’empêcher que soient filmés des non-professionnels et qu’il y ait un système de contrôle permettant au juge d’arrêter l’enregistrement quand cela s’avère nécessaire.

Pour répondre aux inquiétudes suscitées par les nouvelles technologies de la communication, il est recommandé d’établir des consignes claires sur l’usage des smart phones et autres appareils de communication, quand ils peuvent ou non être utilisés et la procédure en cas de problème.

Même les médias sociaux peuvent être utilisés par les juridictions ou d’autres agents judiciaires dans leurs communications ! Il est recommandé de développer une stratégie, incluant les groupes cibles et le but de l’utilisation de chaque média social.

Les auteurs du rapport soulignent que le monde judiciaire de chaque pays devrait disposer d’un site internet sous la responsabilité du Conseil de Justice ou de l’administration judiciaire. Chaque tribunal devrait disposer de son propre espace sur ce site judiciaire. Il devrait fournir des informations aux professionnels de la presse et au public en général et contenir une banque de données des jugements accessibles librement au public.

Pour baliser l’épineux problème des relations entre presse et justice, les auteurs du rapport constatent qu’il y a un besoin de règlementation des relations entre le monde judiciaire et les médias par le biais d’un ensemble de recommandations, qu’elles soient ou non applicable par la loi ou par une convention contraignante. Mais elles ne peuvent en aucun cas interférer avec les limitations légales existantes. Ces lignes directrices à la presse devraient faire partie d’une stratégie nationale comportant un programme et des rapports sur la communication avec les médias et la société. Ces lignes directrices devraient clarifier les divers objectifs et intérêts aussi bien du corps judiciaire que des médias. Cela devrait établir ce que les médias attendent des responsables des tribunaux et comment ces derniers peuvent tenir compte des besoins des médias avant, pendant et après la procédure au tribunal.

En ce sens, tous les pays sont encouragés à développer une approche proactive des médias, aussi bien sur des affaires judiciaires précises que sur l’ensemble du système judiciaire.

Un réseau belge de magistrats de presse

Le Conseil supérieur de la Justice belge, qui comporte des membres magistrats et non magistrats, a travaillé pendant quatre ans sur une meilleure compréhension entre la presse et monde judiciaire. A la suite de nombreux contacts avec des magistrats, des avocats, des journalistes spécialistes du monde judiciaire, les représentants de l’AJP (Association des journalistes professionnels), de la VVJ (Vlaamse vereniging van journalisten) et des conseils de déontologie, s’est mis en place un e-réseau de magistrats de presse néerlandophones et francophones. Le but de ses membres est de clarifier la situation très confuse en Belgique, où chaque tribunal a sa propre vision des relations avec les médias et où la hiérarchie de la magistrature se méfie des pratiques journalistiques modernes.

On ne peut qu’espérer que ces magistrats de presse feront évoluer la situation dans le sens indiqué par le Réseau des Conseils de Justice.

Un regret cependant : alors que, depuis sa constitution, le Conseil supérieur de la Justice comportait un ou deux journalistes par mandat (Pol Deltour pour la VVJ, moi-même pour l’AJP-AGJPB), il n’y en a plus aucun pour le nouveau mandat qui s’ouvre en ce mois de septembre 2012. Le Sénat belge, qui choisit les membres non-magistrats du Conseil supérieur de la justice, n’en a pas vu l’utilité… Et cela au moment où est entamée une profonde réforme du paysage judiciaire, qui intéresse directement les citoyens et donc les journalistes.

Le rapport sur « Justice, Society and the media » du Réseau Européen des Conseils de la Justice se trouve sur son site www.encj.eu à l’adresse suivante : cliquez ici

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 17 septembre 2012 à 14:22

    Je suis persuadée, pour ma part, que si le monde judiciaire n’avait pas tant à se reprocher ou à cacher, il n’aurait pas tant de raisons de craindre la presse. Depuis trop longtemps, la justice, devenue heureusement indépendante des partis politiques, s’est créé "un état dans l’état" et cela n’est pas admissible. Le monde judiciaire n’a pas, contrairement à ce que certains disent, la volonté de clarté et de vérité que les citoyens attendent de lui. Il ne faut absolument pas museler la presse mais au contraire composer avec elle. Nous avons tous le droit de savoir ce qui se trame, ce qui se décide et pourquoi. C’est uniquement au moyen d’une communication limpide et compréhensible pour tous (pas de terminologie moyennâgeuse) que l’on évitera les dérapages et/ou les fuites, les interprétations et/ou les transformations d’informations. Le monde de la presse est à mes yeux aussi indispensable que le judiciaire. Naturellement, il faut des codes de conduite, de déontologie et de respect pour toutes les parties. La méfiance des uns vis-à-vis des autres sera dès lors injustifiée. Il faut que toutes les parties jouent correctement le jeu, qu’elles soient irréprochables. La société ne s’en portera que mieux. Ce sera un bel exemple de démocratie.

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Ancien membre du Conseil supérieur de la justice

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