Plus de clarté pour plus de justice : le défi de l’a.s.b.l. « Droits quotidiens »

par Gabrielle Lefèvre - 8 janvier 2013

L’a.s.b.l.« Droits quotidiens »vient de consacrer son université d’hiver, le 29 novembre 2012 à Namur, au thème du « langage juridique clair ».

Un fameux défi pour tous les juristes : c’est l’accès au droit et à la Justice qui est en cause, c’est donc une affaire de démocratie.
Gabrielle Lefèvre résume le déroulement de cette journée.

Certaines professions utilisent un langage très précis, très pointus, très utile pour leurs membres mais incompréhensible pour la majorité des gens. Depuis des dizaines d’années, le reproche est fait aux magistrats, avocats et autres juristes de ne pas savoir communiquer à part d’heureuses exceptions avec le public. Or, la loi doit être comprise par tous, question élémentaire de démocratie.

La riposte est internationale ! C’est ce que nous a démontré l’a.s.b.l.« Droits quotidiens » lors de son université d’hiver, le 29 novembre 2012 à Namur (www.droitsquotidiens.be). Il est vrai que cette association propose un site extrêmement clair, utile, simple, répondant à la majorité des questions que se posent les citoyens justiciables. Et, toute neuve : une fenêtre fort bien faite pour les jeunes. A visiter donc.

Mme Nicole Fernbach est canadienne, licenciée en droits et en lettres, fondatrice de l’agence de traduction Juricom, fondatrice du Centre international de Lisibilité à Montréal, représentante du réseau anglais Clarity au Canada, auteure d’un livre sur « la lisibilité dans la rédaction juridique au Québec » et de nombreux articles sur le sujet. La personne idéale pour nous éclairer sur ce mouvement qui s’est mondialisé depuis l’apparition, en 1975 en Grande-Bretagne du « plain language movement » qui donna naissance plus tard à Clarity (voir www.clarity-international.net et www.plainlanguagenetwork.org ;en français : www.juriconnexion.fr).
Il semble qu’à présent (et enfin ?) l’Union européenne soit sensible à cette exigence de clarté linguistique. « Le mouvement se développe selon des motivations différentes : en Grande-Bretagne, il s’agissait surtout d’un mouvement social, populaire, pour l’équité sociale ; aux Etats-Unis, ce sont les mouvements de consommateurs qui ont poussé à légiférer pour le secteur des assurances, des banques, suivis par les barreaux. Cette matière est entrée à part entière dans le champ de recherche universitaire, ce qui a porté les Etats-Unis au cœur du mouvement », explique Mme Fernbach.

« Au Canada, il a fallu bâtir un équivalent au ‘plain language’ en français, afin de contrer la puissance des USA et du Commonwealth en la matière ; il fallait que la lisibilité soit la même en français, ayant les mêmes effets juridiques afin de faire foi, ce qui n’est pas simple vu les situations juridiques différentes entre francophones et anglo-saxons. Heureusement, il y a une solution universelle, se réjouit Mme Fernbach : le sur mesure et le prêt à porter ! »

Il s’agit en réalité de simplifier en fonction du destinataire de l’information, sans perdre la valeur de fond. Ou alors, il faut proposer la même communication pour tous. Il n’y a pas de formation en ce sens en facultés de droit. La rédaction en langage juridique clair est un secteur neuf qui rejoint celui des sciences de la communication et cet objectif fondamental : l’accès au droit dans sa langue et le droit de comprendre, concluait Mme Fernbach.

Et en Belgique ? Il existe des initiatives tant francophones que néerlandophones mais celle qui fut mise en exergue pendant cette journée a été détaillée par le magistrat Jean-François Funck, co-auteur d’un ouvrage en deux tomes : « Dire le droit et être compris » publié en 2003 et 2010, auquel Justice-en-ligne a consacré un article le 10 juin 2010. Il s’agit d’un projet de l’association syndicale des magistrats et ce manuel est utilisé actuellement par les stagiaires judiciaires. « Un jugement a plusieurs destinataires, explique Jean-François Funck, le justiciable, les avocats, d’autres magistrats comme celui de la cour d’appel, des journalistes, des travailleurs sociaux, etc. Nous procédons par des lectures de jugements et des propositions de réduction de la complexité des phrases et des termes utilisés par les magistrats. Car le problème essentiel n’est pas l’usage de mots techniques, ceux-ci peuvent être expliqués par annexes ou notes en bas de page, mais bien la manière de s’exprimer. » Et de nous montrer quelques exemples hilarants de tournures de phrases faisant un quart de page au bout desquelles on ne sait pas vraiment quelle est l’histoire réelle…
Il n’y a pas que le langage qui peut être simplifié, il faut que la présentation d’un jugement soit claire avec titres, intertitres, déroulé clair des étapes successives de la procédure (non pas en phrases mais en énumération), motivations et conclusions étant claires afin que le justiciable puisse comprendre une condamnation et le pourquoi de celle-ci. Bref, une présentation graphique moderne.

Ces recettes simples sont applicables à tout le secteur des réglementations diverses en droit administratif, dans celui des assurances, des contrats de tous genres. Il suffit de s’y mettre pour le plus grand bien des citoyens qui se sentiront enfin un peu plus en confiance avec les praticiens du droit.

Mots-clés associés à cet article : Langage judiciaire, Droits quotidiens, Langage juridique,

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 11 janvier 2013 à 17:37

    J’apprécie beaucoup cette initiative car elle correspond, pour ce que je lis en tous cas, à une remarque et à des reproches que je fais régulièrement à l’intention du monde judiciaire et de ses acteurs. Je pense que celles et ceux qui se cantonnent au vocabulaire dépassé, moyennâgeux, parfois folklorique et ridicule, font effectivement preuve de leur défaillance au niveau de la communication. Ce jargon est, à mon avis, trop souvent employé dans le but que le justiciable ne comprenne pas tout. Ce vocable n’est d’ailleurs pas toujours compris par les avocats eux-mêmes. Il m’est arrivé de demander la traduction en français contemporain d’une formulation de phrase et de recevoir comme réponse "C’est ainsi que cela doit être écrit ou dit"... sans que le sens m’en soit finalement donné. Depuis que je suis abonnée auprès de Test-Achats, il m’arrive de les interroger ("50 avocats") et je dois dire qu’ils répondent régulièrement à mes questions de façon simple et très claire. Si la volonté de la part du monde judiciaire d’être "comprenable" du justiciable est réelle, ce type d’initiative est louable. La clarification des débats s’en verrait améliorée et ce pourrait être un geste envers les citoyens dans le but de ramener un tant soit peu la confiance bien mise à mal jusqu’ici. Mais entre l’intention, le projet et la mise en pratique de ce que je lis, je reste méfiante. Mon rapport au monde judiciaire est loin d’être basé sur la confiance : trop déçue.

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  • skoby
    skoby Le 9 janvier 2013 à 15:44

    Tout-à-fait d’accord, mais si la Justice reste aussi lente, elle ne donnera plus confiance à qui que ce soit !
    Rendre les textes plus compréhensibles, c’est très bien, mais des procès qui durent
    des années, c’est un scandale, car c’est une absence de Justice.

    Répondre à ce message

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Auteur

Journaliste
Ancien membre du Conseil supérieur de la justice

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