Regard sur les activités du Tribunal Russell sur la Palestine depuis 2010 (sessions de Barcelone, Londres, Cape Town et New York)

par Éric David - 10 janvier 2013

Le Tribunal Russell sur la Palestine n’est pas une juridiction officielle, n’ayant été créée ni au sein d’un État ni au sein d’une organisation internationale.

Issu d’une initiative privée, il se présente comme un « tribunal d’opinion » qui a pour objet de juger en fonction d’une méthode judiciaire plusieurs aspects de la politique israélienne, spécialement dans les territoires occupés.

Éric David, professeur à l’Université libre de Bruxelles, présente les travaux de ce « tribunal ».

Justice-en-ligne publiera sous peu un article, d’un autre auteur, exprimant des réserves ou des critiques à l’égard de ce « tribunal » et des appréciations qu’il porte sur la politique israélienne dans les territoires occupés.

Ainsi, conformément à sa vocation, Justice-en-ligne aura lancé le débat sur ces délicates questions. Pour le reste, son seul vœu est celui de la recherche d’une paix durable, fondée sur le droit des peuples concernés à l’existence, à l’autodétermination et au développement.

1. les origines du Tribunal Russell sur la Palestine

Le principe du Tribunal Russell est bien connu des générations de mai 68 : le premier Tribunal Russell a, en effet, été créé en 1966 à l’initiative de deux figures culturelles emblématiques de l’époque : le philosophe et logicien britannique Bertrand Russell (qui avait créé une fondation pour la paix) et l’écrivain français Jean-Paul Sartre (cliquez ici). Leur idée était de constituer un « tribunal d’opinion » afin de « juger » au regard du droit international la guerre du Vietnam. Il s’agissait, bien sûr, non d’un vrai tribunal relevant de l’ordre judiciaire d’un ou de plusieurs Etats, mais d’un tribunal privé caractérisé par la volonté militante de ses membres de rappeler les règles de droit international applicables à des événements qui interpellaient l’opinion publique.

L’œuvre du Tribunal Russell s’est poursuivie à travers la fondation Bertrand Russell et la fondation Lelio Basso (Tribunal des Peuples). Après les sessions consacrées au Vietnam (Stockholm et Copenhague, 1966-1967), des sessions ont été tenues sur certaines dictatures latino-américaines – principalement le Chili et le Brésil (sessions de Rome et de Bruxelles, 1974 et 1976) et sur le Congo (Rotterdam, 1982).

Aujourd’hui, sous la dynamique impulsion de Pierre Galand, ancien secrétaire général de la section belge d’Oxfam International, ancien sénateur et actuel président du Centre d’action laïque, le Tribunal Russell s’est reconstitué pour examiner la problématique du respect du droit international dans le cas de la Palestine : le « Tribunal Russell sur la Palestine » (http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/).

2. La composition du Tribunal Russell sur la Palestine

Le Tribunal a toujours été composé de personnalités connues non seulement pour leur rayonnement intellectuel et politique, mais aussi pour leur engagement en faveur de la paix et des droits humains. Ses membres ont compté, bien sûr, des juristes mais aussi des artistes et des savants célèbres. Outre Jean-Paul Sartre et Bertrand Russell, on peut citer, à titre purement exemplatif, parmi les personnes qui ont siégé, dans le passé, à l’une ou l’autre session du Tribunal : Vladimir Dedijer (historien et juriste), Mehmet Ali Aybar (juriste international, président du Parti turc des travailleurs et membre du Parlement turc), Julio Cortàzar (écrivain et essayiste), Lelio Basso (juriste international, député italien et Professeur à l’Université de Rome), Simone de Beauvoir (écrivaine et philosophe), Lazaro Càrdenas (ancien président du Mexique), Isaac Deutscher (historien), Gisèle Halimi (avocate), Laurent Schwartz (Professeur de mathématiques à l’Université de Paris VII, médaille Fields), Shoichi Sakata (Professeur de physique à l’Université de Nagoya), Mahmud Ali Kasuri (membre de l’Assemblée nationale du Pakistan et avocat à la Cour suprême du Pakistan), Peter Weiss (dramaturge et metteur en scène allemand), etc. La variété des carrières professionnelles des membres du Tribunal qui ne sont pas tous des juristes est destinée à souligner son caractère de « tribunal d’opinion ».

L’actuel Tribunal Russell sur la Palestine s’inscrit dans cette tradition : présidé par Stéphane Hessel, ambassadeur de France et co-rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le TRP compte sur son siège un Prix Nobel de la Paix (Mairead Corrigan Maguire, Prix Nobel 1976, Irlande du Nord), des juristes (Michael Mansfield, QC à Londres, José Antonio Martin Pallin, juge émérite à la Cour suprême d’Espagne, John Dugard, professeur de droit international à Leiden, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés, Gisèle Halimi, avocate à Paris, Lord Anthony Gifford QC, avocat au Royaume-Uni et en Jamaïque), d’anciens responsables politiques (Ronnie Kasrils, ex-ministre sud-africain, Aminata Traoré, ex-ministre malienne, Cynthia McKinney, ancienne représentante au Congrès américain), des artistes (Alice Walker, écrivaine américaine, Miguel Angel Estrella, pianiste argentin, Roger Waters, guitariste anglais, membre fondateur de Pink Floyd), des académiques et représentants de la société civile (Angela Davis, professeur d’histoire de la conscience à l’Université de Californie et activiste politique, Dennis Bank, professeur et co-fondateur du mouvement amérindien).

3. Les sessions du Tribunal Russell sur la Palestine

Le Tribunal Russell sur la Palestine a commencé ses activités en 2010 et a tenu quatre sessions qui présentent une double originalité :
 1°) Première originalité : le Tribunal ne met pas l’accent sur les violations du droit international commises par Israël car elles sont de notoriété publique ; à lui seul, le Conseil de sécurité a adopté, depuis 1967, près de 100 résolutions demandant, vainement, à Israël de se retirer des territoires occupés ; l’originalité de la démarche est plutôt de montrer la responsabilité des instances qui assistent objectivement Israël dans ses violations du droit international : ainsi, les conclusions de la première session du Tribunal Russell sur la Palestine tenue à Barcelone en mars 2010 démontraient que l’Union européenne assistait illicitement Israël en maintenant des relations normales avec Israël, voire même, en les rehaussant ; les conclusions de la deuxième session tenue à Londres en novembre 2010 montraient que, par leurs relations commerciales avec Israël ou avec les colonies israéliennes de peuplement, certaines entreprises privées devenaient elles-mêmes complices des crimes de guerre imputés à Israël. Quelques exemples relevés à cette occasion par le TRP :

- l’implantation des colonies de peuplement dans les territoires occupés étant un crime de guerre au sens de l’article 147 de la 4e Convention de Genève de 1949 ‘sur la protection des civils en temps de guerre’, l’importation par une entreprise de produits en provenance de ces colonies apparaît, soit comme une contribution à ce crime, donc, comme une complicité de crime au sens de l’article 67 du Code pénal belge, soit comme une forme de recel de biens pillés ou volés au sens de l’article 505, 1°, du même Code ;

- eu égard à ses effets sur les droits et libertés fondamentaux de la population palestinienne, la construction du mur israélien dans les territoires occupés équivaut à un crime contre l’humanité ; dès lors, la vente de ciment pour la construction du mur est une forme d’assistance au crime au sens de l’article 67 précité ;

- les bulldozers qui démolissent des maisons palestiniennes pour l’implantation de colonies de peuplement contribuent au crime de guerre que constitue cette implantation ; la société Caterpillar qui vend ses engins à Israël en connaissant leur destination devient ainsi complice de crimes de guerre ;

- une banque qui contribue au financement de ces colonies comme Dexia via la filiale israélienne qu’elle avait acquise non seulement se rend complice de crime de guerre mais en outre peut se voir imputer une infraction de blanchiment d’argent sale puisqu’elle convertit des fonds d’origine illicite en fonds d’apparence licite (Code pénal, article 505, 4°).
Cette liste est loin d’être exhaustive.

La quatrième session, qui vient de se terminer (New York, octobre 2012), était consacrée à la responsabilité des Nations Unies et des Etats-Unis dans les violations du droit international. Si la responsabilité des Etats-Unis était assez aisée à démontrer eu égard aux liens traditionnels de cet Etat avec Israël, la responsabilité des Nations Unies réclamait, juridiquement, une analyse plus pointue car les NU ne se privent pas de condamner régulièrement Israël, notamment dans certaines résolutions du Conseil de sécurité (par exemple sur l’annexion de Jérusalem S/RES/298 et 476 et sur les déportations ou les expulsions de Palestiniens S/RES/607, 608, 636, 641, etc.), ainsi que dans les rapports des organes subsidiaires créés par l’assemblée générale des Nations Unies ou par le Conseil des droits de l’homme pour enquêter sur la situation des territoires palestiniens occupés (par exemple le Comité sur le respect des droits de l’homme dans les territoires occupés par Israël, le Comité sur les pratiques israéliennes dans les territoires occupés, la Mission d’enquête sur le conflit de Gaza en 2009 Commission Goldstone , etc).

Le Tribunal Russell sur la Palestine a, pourtant, considéré que la responsabilité des Nations Unies était engagée en raison de son abstention à aller au-delà de simples dénonciations ou condamnations verbales, notamment, par son omission à édicter des sanctions ainsi que les Nations Unies l’ont fait dans le passé contre l’Afrique du Sud, la Rhodésie, la RFY, la Libye, l’Iran, etc., voire, à saisir la Cour pénale internationale du dossier comme les Nations Unies l’ont fait pour le Soudan en 2005 et pour la Libye en 2011. L’obligation des Nations Unies à se montrer davantage proactives dans le dossier palestinien trouve sa source tant dans leur mandat de maintenir la paix et la sécurité internationales que dans l’obligation de protéger et d’exercer la diligence requise à cette fin. En ne remplissant pas la mission que la Charte lui assigne, l’ONU commet donc un fait illicite engageant sa responsabilité internationale.

- 2°) Seconde originalité du Tribunal Russell sur la Palestine : il s’est servi de qualifications pénales existantes ou nouvelles pour désigner les politiques et pratiques israéliennes en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ; ainsi, selon le TRP, ces politiques et pratiques :

- sont assimilables à de l’apartheid au sens de la Convention des Nations Unies de 1973 sur le crime d’apartheid dès lors que ces politiques et pratiques sont constitutives d’une véritable ségrégation raciale (le mot « raciale » considéré, bien sûr, dans un sens sociologique et non biologique) (3e session du TRP, Cape Town, novembre 2011) ;

- peuvent être qualifiées de « sociocide », une qualification qui n’existe pas encore en droit positif mais qui, selon le Tribunal Russell sur la Palestine, désigne plus adéquatement les atteintes portées à l’identité palestinienne, tant par les expulsions et les appropriations de terres que par l’éducation et la culture ; le Tribunal entend, ici, jouer un rôle de précurseur linguistique à l’instar de ce qu’avait fait le juriste américain Lemkin lorsqu’en 1944, il avait qualifié de « génocide » les massacres de Juifs par les Nazis alors que le mot n’entrera dans le discours juridique qu’avec une résolution adoptée par L’assemblée générale des Nations Unies en 1946 et avec la Convention de 1948 sur le crime de génocide (4e session, New York, octobre 2012). Il est bien entendu que le Tribunal n’assimile nullement le sociocide à une quelconque forme de génocide. Le TRP ne joue, ici, qu’un rôle d’initiateur dans l’établissement de ce qui pourrait devenir, un jour, un nouveau concept juridique.

_ 4. Procédure

Le Comité d’organisation invite des témoins en provenance de Palestine, d’Israël et de divers Etats à venir exposer au Tribunal leurs constatations de fait ou de droit relatives, selon les sessions, soit à la contribution des instances considérées (Union européenne, Nations Unies, États-Unis, entreprises privées) aux violations du droit international commises par Israël au préjudice de la Palestine, soit aux qualifications juridiques de certains comportements d’Israël : crime de guerre, crime contre l’humanité, apartheid ou sociocide.

Des académiques, experts juridiques des questions considérées, sont également entendus. Leur analyse juridique sert de matière première aux conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine qui sont solidement motivées en droit avec l’assistance d’une équipe de référendaires spécialisés en droit international. Ces conclusions peuvent être lues en anglais et en français sur le site web du Tribunal,(cliquez-ici).

Lors de chaque session, le Comité d’organisation du Tribunal, soucieux du respect des droits de la défense et du principe de la contradiction des débats, a pris soin d’inviter officiellement Israël et les instances concernées à envoyer des représentants pour exposer leur point de vue sur les questions considérées. Aucun représentant n’est venu mais le Tribunal Russell sur la Palestine a reçu des messages de certaines instances invitées : ainsi, lors de la première session, le président de la Commission de l’Union européenne a exprimé son intérêt pour les conclusions du Tribunal ; lors de la deuxième session, certaines entreprises privées (Veolia Environnement, le fonds de pension « Stichting Pensioenfonds Zorg en Welzijn (PFZW) », et le groupe G4S, s.a.) ont accusé réception de l’invitation qui leur était faite et ont exposé des points de vue, dont il a été tenu compte pendant la session. Pour la troisième et quatrième session, le Tribunal Russell sur la Palestine n’a pas reçu de réponse à ses invitations envoyées au Président d’Israël, au secrétaire d’Etat américain et au Secrétaire général des Nations Unies.

_ 5. Fin des travaux

Une dernière session du Tribunal Russell sur la Palestine est prévue à Bruxelles les 16 et 17 mars 2013 : le Tribunal y présentera une synthèse des quatre sessions précédentes.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 11 janvier 2013 à 14:13

    La question principale, selon moi, est de définir qui a décidé de donner l’autorisation aux Juifs d’investir un territoire qui semble-t-il appartenait aux Palestiniens.
    Il est clair que plusieurs Etats sont concernés.
    Quelle est l’autorité qui règlera cette question ?

    • kravi
      kravi Le 10 mars 2013 à 19:46

      la réponse est simple : qui a donné l’autorisation aux arabes d’occuper un territoire qui était destiné aux juifs (déclaration Balfour et traité de San Remo), sans compter la Transjordanie qui faisait partie de la Palestine mandataire et était aussi promise aux juifs ?

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