Une procédure excessivement formaliste viole la Convention européenne des droits de l’homme

par Frédéric Georges - 2 février 2016

La procédure judiciaire est souvent ressentie par le public comme une suite d’embûches dans le déroulement des procès.
Un arrêt Henrioud c. France du 5 novembre 2015 de la Cour européenne des droits de l’homme, donne l’occasion à Frédéric Georges, professeur à l’Université de Liège, avocat au barreau de Liège, d’expliquer la raison d’être des règles de procédure, ainsi que les exigences qu’elles doivent rencontrer au regard du droit au procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
On verra que le respect des formes ne peut aller jusqu’à imposer un formalisme excessif.

1. La notion de procédure traduit la nécessité de balises, de jalons, en un mot d’une méthode pour encadrer l’introduction d’une demande en justice, le rassemblement des preuves nécessaires à son instruction, l’établissement d’un calendrier de mise en état de l’affaire et sa plaidoirie, l’obtention d’un jugement, l’exercice des voies de recours contre ce dernier et enfin l’exécution de la décision finale, au besoin avec l’aide de la force publique.

En Belgique, dans les matières civiles, commerciales et sociales, ces règles de procédure se trouvent essentiellement dans les quatrième et cinquième parties du Code judiciaire. En matière pénale, le Code d’instruction criminelle est d’application.

2. La règle de procédure doit idéalement concilier deux valeurs fondamentales et partiellement contradictoires.

La première est le principe du respect des droits de la défense ou « principe du contradictoire ». Une justice digne de ce nom permet en effet à chacune des parties de faire valoir son point de vue en ce qui concerne les faits du litige et les règles de droit qui s’y appliquent. Il n’y a pas de justice sans droit de contredire son adversaire.

La seconde valeur capitale que doit incarner la règle de procédure est l’efficacité du processus. La justice doit en effet également s’avérer décemment rapide, simple, peu onéreuse et performante. S’il y a beaucoup à dire à ce propos, en particulier quant au coût et à la durée d’un procès en Belgique, il importe de rappeler qu’un procès civil, pénal, administratif, ne peut s’apparenter à une course d’obstacles ou une traversée de champ de mines. Le terme procédure trouve d’ailleurs son origine dans le verbe latin « procedere », qui signifie « aller de l’avant »... Les excès d’un formalisme judiciaire stérile ont été justement caricaturés avec talent par les plus grands écrivains au fil des âges.

3. En synthèse des deux valeurs qu’elle sert, la procédure ne peut être une fin en soi et le formalisme doit dès lors être proportionné, comme l’exige également depuis de nombreuses années notre Cour constitutionnelle.
Ainsi, un arrêt du 19 décembre 1991 de cette dernière, alors dénommée Cour d’arbitrage, offre une illustration du caractère inadapté, excessif, parfois absurde des règles de procédure.

Selon le Code judiciaire de l’époque, lorsqu’un justiciable souhaitait obtenir la gratuité de la procédure en raison de la faiblesse de ses revenus, la partie adverse devait être convoquée devant le bureau d’assistance judiciaire du tribunal concerné par l’affaire. Cette procédure contradictoire s’imposait également lorsque le demandeur souhaitait faire procéder à un constat d’adultère dans le chef de son conjoint, alors que l’autorisation de procéder à une telle mesure était fort naturellement obtenue sans convocation de l’adversaire, pour d’évidentes raisons d’efficacité…

La Cour a estimé qu’une telle procédure contradictoire violait la Constitution : « S’il est raisonnable et justifié de subordonner l’octroi de l’assistance judiciaire à la vérification de l’état des revenus et à une vérification sommaire de l’apparence de fondement de la procédure pour laquelle le requérant sollicite l’assistance judiciaire, par contre, l’exigence du débat contradictoire et de la tentative de conciliation, et donc la présence de la partie adverse dans la procédure en obtention de l’assistance judiciaire, ne présentent pas un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but visé ». Le législateur a dès lors été contraint de changer la loi.

Nous pourrions citer d’autres exemples où le formalisme procédural belge a été déclaré excessif par la Cour constitutionnelle.

4. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 novembre 2015 de la Cour européenne des droits de l’homme, était en cause l’accès d’un justiciable à la Cour de cassation.

En l’espèce, un père de famille, qui tentait d’obtenir le retour en Suisse de ses enfants déplacés illégalement en France par leur mère, avait agi devant les juridictions françaises. Un arrêt défavorable de la Cour d’appel de Bordeaux avait rejeté sa demande de retour en Suisse de ses enfants. Il décida d’introduire un pourvoi en cassation, tout comme le parquet français, chargé par une convention internationale d’un important rôle d’assistance aux victimes d’enlèvement d’enfants.

Ces pourvois furent déclarés irrecevables pour non-respect d’une condition de forme. Sans entrer dans des détails techniques, la cause de cette irrecevabilité du pourvoi résidait dans l’omission d’une formalité commise par le procureur général près la Cour d’appel de Bordeaux.
Insatisfait par le traitement procédural qu’il avait subi, M. Henrioud saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une plainte contre la France.

La Cour de Strasbourg a d’abord rappelé sa position traditionnelle selon laquelle « le ‘droit à un tribunal’, dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

Pour plusieurs raisons convergentes, elle a ensuite estimé excessif le formalisme ayant abouti à ce que M. Henrioud n’avait pu soumettre l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux à l’appréciation de la Cour de cassation. La sanction était disproportionnée, ce que la France parvint d’autant moins à contester que son pouvoir législatif avait entre-temps modifié les textes pertinents « afin d’éviter la sanction de l’irrecevabilité du pourvoi qui apparait disproportionnée en cas de défaut de remise de certaines pièces… ».

5. La question de l’équilibre, parfois précaire, que doit arbitrer la règle de procédure est au demeurant d’une grande actualité, l’actuel ministre de la justice, M. K. Geens, ayant pris à bras le corps une série de réformes tendant à constituer « une justice efficiente, de qualité et accessible ». Les réformes déjà intervenues et celles restant à édicter suscitent le débat à ce propos.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 3 février 2016 à 17:15

    Le point 2 retient particulièrement mon attention du fait de plusieurs points qui me font réagir car presque risibles s’ils n’étaient graves. Nous sommes en procédure civile depuis juin 2009, au stade actuel de plaidoiries, après appel d’une décision de justice de paix intervenue fin 2012, pour le tout début mars 2016. Si on ose appeler ceci une procédure décemment rapide, simple, peu onéreuse et performante, on se fiche de moi...Le respect du droit de la défense consiste-t-il du droit de mentir, du droit de diffamation, du droit de calomnie, du droit d’injures, du droit de procédé dilatoire de la part de la partie défenderesse faisant l’objet de la poursuite judiciaire ? D’autre part, du fait de l’absence de confiance en l’arrondissement judiciaire intervenant (ce dernier étant l’arrondissement dont dépendent professionnellement les défendeurs concernés), malgré des demandes de dessaisissement, pour collusion plus que possible, le refus de la cour de cassation, à chaque fois, malgré la recevabilité des demandes, démontre-t-il vraiment l’efficacité des décideurs judiciaires ?Est-ce de cette façon que l’on veut faire croire au citoyen qu’il a droit à un procès équitable ? De qui se moque-t-on ? C’est quoi une justice efficiente, de qualité et accessible ? Une fois de plus, monsieur Koen Geens est bien intentionné mais aura-t-il les moyens d’améliorer cette institution, pilier fondamentalement important de notre société, qu’est la justice ? A quand, par exemple l’obligation de s’assurer en protection juridique qui permettrait d’avoir un accès normal à la justice ?

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Frédéric Georges


Auteur

Chargé de cours à l’ULg
Avocat au barreau de Liège

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