Convictions syndicales et discrimination : la Cour constitutionnelle invite à compléter la loi

par Jean-François Neven - 29 mai 2009

1. Les convictions syndicales doivent être mises sur le même pied que les convictions religieuses, philosophiques ou politiques. Ainsi, en a décidé la Cour constitutionnelle, le 2 avril dernier, à l’occasion d’un recours en annulation introduit contre la loi anti-discrimination du 10 mai 2007.
Cet arrêt mérite quelques explications.

2. La loi du 10 mai 2007 vise à lutter contre certaines formes de discrimination. Elle énonce que dans différents domaines de la vie sociale (relations de travail, offre de biens et services, activités sociales et culturelles, etc.), les motifs qu’elle énumère, ne sont des critères valables de distinction que moyennant une justification particulière (c’est ce qu’on appelle les « critères protégés »).

Ces motifs sont notamment l’âge, l’orientation sexuelle, la conviction religieuse ou philosophique, l’état de santé actuel ou futur, le handicap, la nationalité ou l’origine ethnique.

La loi veut ainsi éviter par exemple qu’un bailleur refuse de louer son bien uniquement pour des motifs liés à l’orientation sexuelle ou à l’origine ethnique du candidat locataire ou encore qu’un employeur prenne des décisions en fonction des convictions religieuses ou philosophiques de ses travailleurs (ce qu’il ne peut faire que si les motifs religieux ou philosophiques sont des « exigences professionnelles essentielles et déterminantes »).

3. Le législateur a voulu que le principe de non-discrimination reçoive une plus grande effectivité, l’expérience ayant montré, notamment en matière de lutte contre le racisme, que les règles ordinaires de procédure ne permettent pas toujours de débusquer et de sanctionner adéquatement les discriminations, en ce compris les plus ordinaires.

La loi offre donc aux victimes de discrimination des moyens d’action particuliers.
Ainsi, par exemple :

 elle prévoit une « action en cessation » qui permet à la victime de solliciter du président du tribunal qu’il ordonne les mesures aptes à faire cesser la discrimination : cette action est évidemment plus efficace qu’une action en réparation introduite a posteriori, et ce d’autant plus que l’ordre de cessation peut être assorti d’une astreinte ;

 sauf devant le juge pénal, la charge de la preuve est partagée : si la victime apporte la preuve d’indices de discrimination, il incombe à la partie adverse d’apporter les justifications nécessaires et de démontrer l’absence de discrimination ;

 la loi prévoit une possibilité d’indemnisation forfaitaire ; la victime a ainsi le choix du mode d’indemnisation : soit elle demande la réparation intégrale de son dommage (mais qu’elle doit alors prouver), soit elle sollicite l’indemnisation forfaitaire prévue par la loi.

4. Lors de l’élaboration de la loi du 10 mai 2007, il avait été jugé inutile d’inclure les convictions syndicales parmi les critères protégés.

Bien que les discriminations fondées sur les convictions et l’action syndicales ne soient pas considérées comme moins graves, il avait été relevé que la liberté syndicale était déjà garantie par différents textes (tant en droit international qu’en droit du travail belge) et que le travailleur victime d’une discrimination fondée sur son engagement syndical pourrait, dans certains cas, invoquer l’interdiction de discrimination fondée sur les convictions politiques ou philosophiques.

Cette justification n’a pas convaincu la Cour Constitutionnelle.

Selon la Cour, dès lors que les discriminations fondées sur les convictions syndicales ne sont pas considérées comme moins graves, elles ne pouvaient pas être exclues de la loi anti-discrimination pour la seule raison que d’autres législations protègent la liberté et l’action syndicales : en effet, ces autres législations n’accordent pas les mêmes garanties procédurales que la loi anti-discrimination.

5. Un mot encore sur l’annulation décidée par la Cour et sur les conséquences de l’arrêt.
La Cour a annulé la loi mais uniquement en ce qu’elle n’inclut pas les convictions syndicales parmi les critères protégés. La Cour n’a donc rien retranché à la loi mais à, au contraire, constaté qu’elle présente une lacune.

En cas de lacune, c’est en principe au législateur qu’il incombe de mettre la loi en conformité avec l’arrêt de la Cour constitutionnelle (ce qui, dans le cas d’espèce, supposerait qu’il ajoute la « conviction syndicale » dans la liste des critères protégés).
Mais, en pratique, l’arrêt de la Cour constitutionnelle a déjà des conséquences. Comme la lacune se situe dans une disposition légale clairement identifiée et que l’annulation est exprimée de manière précise et complète, le juge doit dès à présent à l’occasion de tout litige civil dans lequel une discrimination fondée sur une conviction syndicale serait invoquée, faire comme si le texte légal avait déjà été modifié.

Votre point de vue

  • Denis Luminet
    Denis Luminet Le 5 juin 2009 à 16:17

    "Cet arrêt mérite quelques explications", selon Jean-François Neven. Puis-je assaisonner les siennes d’un filet de vinaigre ?
    Sur le plan de la liberté syndicale, on rappellera que les « Douze Sages » ont cautionné (arrêt 9/2009) la loi du 4 décembre 2007 relative aux élections sociales de l’année 2008. Cette loi stipule que (sauf en ce qui concerne les représentants des cadres) seules "les organisations interprofessionnelles représentatives des travailleurs constituées sur le plan national, représentées au Conseil central de l’Economie et au Conseil national du Travail" peuvent présenter des listes. Pour ceux de nos lecteurs qui auraient égaré leur dictionnaire langue de bois – français : il s’agit des trois syndicats liés aux familles traditionnelles, et qui disposent donc d’un monopole perpétuel (pouvant faire élire des délégués CAR ils sont représentatifs…ce qui renverse toute logique).

    En élargissant le débat, pourquoi discriminer entre les discriminations en établissant des critères protégés ? Si un entraîneur de football refuse de sélectionner des joueurs nés sous le signe du Scorpion, se conduit-il de façon (plus grotesque mais) moins odieuse qu’en récusant tous les bouddhistes, tous les gauchers ou tous les hétérosexuels ?

    Enfin, la Cour Constitutionnelle nous expliquera un jour si l’interdiction de discriminer selon une caractéristique physique ou génétique est compatible notamment avec le "Berufsverbot" contenu à l’article 98 de notre Charte fondamentale

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