Trois États africains quittent la Cour pénale internationale

par Éric David - 20 novembre 2016

Trois États africains, l’Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie, ont décidé de se retirer du Statut de la Cour pénale internationale.

Ainsi qu’Éric David l’a déjà exposé dans un précédent article sur Justice-en-ligne (« La Cour pénale internationale fait-elle preuve de partialité à l’encontre de l’Afrique ?), les États africains avaient déjà indiqué dans le passé leur hostilité à une Cour jugée partiale car elle limitait ses enquêtes et poursuites à des accusés africains.

Éric David fait le point sur la situation actuelle

1. Ce qui semblait, à première vue, être une simple irritation politique ou un geste de mauvaise humeur se traduit concrètement, aujourd’hui, par l’annonce de ce triple retrait.

En droit, ce départ soulève la question de ses effets à l’égard, d’une part, de la Cour pénale internationale (I), d’autre part, des obligations de ces États dans la lutte contre l’impunité des crimes visés par le Statut (II). Enfin, sur un plan plus général, ces retraits posent certaines questions de caractère politique et moral (III).

I. Les effets du retrait d’un État partie au Statut de la Cour pénale internationale

2. L’article 127 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (qui est le traité international qui a créé et organisé cette juridiction) prévoit qu’un État peut s’en retirer à tout moment par simple notification adressée au Secrétaire général des Nations Unies. L’article 127 précise toutefois que ce retrait ne prend effet qu’un an après la date de réception de la notification. L’Afrique du Sud et le Burundi ont notifié leur retrait, respectivement, les 25 et 28 octobre 2013 (https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=ma206&ln=fr), tandis que la Gambie a annoncé son retrait le 26 octobre mais sans le notifier officiellement au Secrétaire général des Nations Unies (Le Figaro, 26 octobre 2016).

La Cour ne pourra donc plus exercer sa compétence pour des crimes commis sur le territoire ou par des nationaux d’Afrique du Sud et du Burundi (Statut, article 12, § 2) qu’un an après la date de réception des notifications de retrait ; ces retraits n’affectent donc pas la compétence de la Cour pour les crimes prévus aux articles 6 à 8 du Statut (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre) et commis avant la date où le retrait prendra effet, les 25 et 28 octobre 2017. Quant à la Gambie, son retrait n’affectera la compétence de la Cour à son égard qu’à partir du moment où cet État aura notifié officiellement son retrait au Secrétaire général des Nations Unies, ce qui ne semble pas être encore le cas à ce jour (7 novembre 2016). En outre, ces États doivent continuer à coopérer avec la Cour jusqu’à la date où leur retrait prendra juridiquement effet.

3. Même à cette date, le retrait n’affectera pas l’obligation de coopérer avec la Cour lorsque celle-ci a été saisie par le Conseil de sécurité car le renvoi d’une situation à la Cour pénale internationale par le Conseil lie tous les États membres des Nations Unies (Charte des Nations Unies, article 25), qu’ils soient ou non parties au Statut de la Cour pénale internationale. Ainsi, l’obligation d’arrêter et de remettre à la Cour le Président du Soudan, Omar Al Bashir, contre lequel la Cour a émis deux mandats d’arrêt (4 mars 2009 et 12 juillet 2010, https://www.icc-cpi.int/CourtRecords/CR2010_05515.PDF), continue à lier ces États – une obligation à laquelle plusieurs États africains se sont déjà soustraits (ibid.), y compris, justement, l’Afrique du Sud (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/03/16/la-cour-supreme-sud-africaine-condamne-l-attitude-du-gouvernement-dans-l-affaire-omar-al-bachir_4883742_3212.html).

4. De manière plus générale, ces retraits n’empêcheront pas le Conseil de sécurité de continuer à renvoyer à la Cour pénale internationale une situation où des crimes relevant de la compétence de cette Cour auraient été commis sur le territoire de ces États si le Conseil estime que cette situation menace la paix et la sécurité internationales (Statut, article 13, b), comme il l’a déjà fait pour le Soudan (Darfour, 2005, S/RES/1593) et pour la Libye (2011, S/RES/1970) alors que ces États n’étaient pas parties au Statut. De ce point de vue, les trois États concernés restent des États potentiellement soumis à un éventuel renvoi à la Cour pénale internationale, à l’instar de tout autre État non partie au Statut. Le renvoi à la Cour d’une situation par le Conseil de sécurité exige, bien sûr, un vote des membres du Conseil de sécurité sans opposition d’un des cinq membres permanents (droit de veto de la Chine, des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni ou de la Russie, Charte, article 27, § 3), une condition toujours difficile à remplir quand on sait la méfiance de la Chine, des États-Unis et de la Russie vis-à-vis de la Cour, une méfiance qui se traduit par leur abstention à adhérer au Statut de Rome.

II. Les effets du retrait en matière de lutte contre l’impunité

5. Le retrait officiel de l’Afrique du Sud et du Burundi et le retrait officieux de la Gambie de la Cour pénale internationale n’affectent nullement l’obligation générale de ces États (et de tous les autres États) de réprimer la triade classique des crimes de droit international humanitaire : génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Pour rappel, cette obligation trouve sa source tant dans le droit international conventionnel (c’est-à-dire résultant d’une convention, d’un traité écrit) (Convention du 9 décembre 1948, article 1er pour le génocide ; Conventions de Genève du 12 août 1949, article commun 49/50/129/146 pour les crimes de guerre) que dans le droit international coutumier (c’est-à-dire résultant d’une coutume, une pratique constante admise par la société internationale comme liant notamment les États) exprimé par
  l’Assemblée générale des Nations Unies (voy. entre autres les résolutions 2840 (XXVI), 18 décembre 1971 ; 3074 (XXVIII), 3 décembre 1973) et le Sommet mondial de 2005 (A/Rés. 60/1, 16 septembre 2005, § 138) ;
  la Commission du droit international (projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, 1996, article 9) ;
  le préambule du Statut de la Cour pénale internationale (1998, préambule, alinéas 4 à 6) ;
  le Conseil de sécurité (par exemple la résolution 1318 du 7 septembre 2000, VI, et plus d’une centaine d’autres résolutions adoptées à l’occasion de diverses situations de conflits armés ou de troubles graves (pour une liste des résolutions adoptées avant 2009, É. DAVID, Éléments de droit international pénal et européen, Bruxelles, Bruylant, 2009, § 13.2.19).
Autrement dit, en théorie, ces retraits n’affectent nullement l’obligation universelle de tous les États de concourir à la répression des crimes de droit international humanitaire quels que soient la nationalité de l’auteur, celle de la victime et l’endroit du crime (compétence universelle).

6. D’un point de vue juridique, la principale différence entre la compétence répressive des États et celle de la Cour pénale internationale réside dans la possibilité d’obtenir des tribunaux nationaux qu’ils retiennent l’immunité de juridiction pénale des gouvernants étatiques étrangers, c’est-à-dire le fait que ces hauts responsables politiques échappent à toute poursuite ; il s’agit en effet d’un moyen de défense analogue à l’immunité des diplomates, qui leur permet d’éviter d’être traduits devant un tribunal interne pour répondre, notamment, d’infractions pénales. Si ce moyen ne s’applique pas devant les juridictions pénales internationales (ainsi, article 27 du Statut de la Cour pénale internationale), en revanche, il s’applique devant les tribunaux nationaux. Cette règle d’origine coutumière a été consacrée par la Cour internationale de Justice dans l’arrêt Yérodia (2002) où la Cour avait balayé d’un revers de main les arguments de la Belgique concernant l’inapplication de l’immunité de juridiction pénale du ministre congolais des Affaires étrangères, A. Yérodia, destinataire d’un mandat d’arrêt délivré contre lui par un juge d’instruction belge, D. Vandermeersch, à propos de l’implication du ministre dans des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en République démocratique du Congo. À l’époque, la Cour internationale de Justice avait repoussé les arguments de la Belgique fondés sur les règles des juridictions pénales internationales en disant simplement que l’absence d’immunité pénale d’un ministre poursuivi devant une de ces juridictions – il s’agit de l’un des grands apports des statuts de ces juridictions pénales internationales, à commencer par la Cour pénale internationale… – n’était pas transposable aux tribunaux internes (C.I.J., Rec., 2002, p. 24, § 58).

S’il est vrai que la transposition aux tribunaux internes des règles applicables aux juridictions pénales internationales pouvait être discutée, en revanche, la Cour internationale de Justice n’avait pas apporté la moindre réponse aux arguments de la Belgique fondés sur la pratique de l’assemblée générale des Nations Unies et sur les travaux de la Commission de droit international (contre-mémoire belge, §§ 3.5.46 et s., 28 septembre 2001).

7. Quoi qu’il en soit, vu la triste jurisprudence Yérodia, le Statut de la Cour pénale internationale (article 27) permet de contourner l’obstacle de l’immunité de juridiction pénale des gouvernants étrangers. De ce point de vue, le retrait des trois États précités leur permettra désormais de recevoir en toute tranquillité des chefs d’État mis en accusation par le Procureur de la Cour pénale internationale sans que cela n’engage leur responsabilité internationale, comme cela a été le cas lorsque le Président du Soudan s’est rendu en Afrique du Sud en 2015 ; dans ce cas, la responsabilité de l’Afrique du Sud pour fait internationalement illicite n’en reste pas moins toujours engagée. Elle le resterait d’ailleurs, même si l’Afrique du Sud n’avait pas été liée par le Statut en 2015 car son obligation de coopérer avec la Cour pénale internationale était fondée non sur le Statut mais sur le renvoi de la situation par le Conseil de sécurité lui-même (voy., ci-avant, le point I).

III. Les aspects politiques et moraux du retrait des trois États

8. Le retrait des trois États du Statut de la Cour pénale internationale est éminemment critiquable aux yeux de quiconque est attaché aux valeurs de l’État de droit et, donc, aux exigences de la lutte contre l’impunité. En outre, ce retrait qui pourrait en annoncer d’autres, donne une piètre image de la communauté internationale.

9. Dès lors que, comme on vient de le voir, le retrait du Statut entrave la lutte contre l’impunité en raison de l’immunité de juridiction pénale que les gouvernants peuvent opposer aux tribunaux internes mais non à la Cour pénale internationale, il est clair que ce retrait renforce la protection des gouvernants à l’égard de la justice.

Le retrait d’États du Statut démontre le peu de respect de ces États pour des valeurs aussi fondamentales que la vie, l’intégrité physique, la dignité de l’être humain puisque les crimes visés par le Statut sont des atteintes graves à ces valeurs. Or, si en luttant contre l’impunité de ces atteintes, de nombreux États sont prêts à se soumettre aux principes de l’État de droit, ceux qui se retirent du Statut reconnaissent que les principes précités ne font pas partie de leurs soucis prioritaires. C’est une atteinte gravissime aux valeurs qui, aux yeux de l’auteur, sont à la base de toute société humaine digne de ce nom.

10. Si le retrait de ces trois États apparaît donc comme une forme de trahison du respect des valeurs sociales les plus sacrées, il ne faut cependant pas oublier que l’absence d’adhésion de près d’un tiers de la communauté internationale au Statut de la Cour pénale internationale (les Nations Unies comptent 193 États membres, alors que le Statut de la Cour pénale internationale ne lie, à ce jour, que 124 États), est aussi l’expression du refus d’un tiers des États de se soumettre aux valeurs morales les plus essentielles. Cela montre que la communauté internationale n’a de « communauté » que le nom et que les États non parties au Statut de la Cour pénale internationale ainsi que ceux qui s’en retirent donnent une piètre image de cette prétendue communauté et des valeurs qu’elle affirme dans des instruments tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et les textes de droit international humanitaire.

Ce mauvais exemple contribue aux extrémismes qui nient les valeurs précitées : à quoi bon respecter des valeurs que nombre d’États, y compris les plus grandes Puissances elles-mêmes négligent ou n’admettent qu’à la carte ? De plus, le retrait des trois États cités risque fort de créer un effet domino en donnant à d’autres États la même idée de quitter la Cour pénale internationale.

11. Ces défections montrent que la société civile a encore du pain sur la planche et que les lendemains qui chantent ne sont pas pour… demain. Il est toutefois réconfortant de voir que la société civile ne reste pas les bras croisés : alors que trois États africains décident de quitter la Cour pénale internationale, un Groupe africain pour la justice et la fin de l’impunité s’est constitué, il y a un an (https://www.facebook.com/TheAfricaGroup/about/). Composé d’experts africains du droit pénal international et des droits humains, ce groupe entend agir pour renforcer les capacités nationales dans la lutte contre l’impunité.

Déjà en 2013, 165 associations africaines issues de 35 pays africains appelaient dans une lettre ouverte les États africains membres de la Cour pénale internationale à soutenir la Cour (il est à nouveau renvoyé à l’article d’Éric David sur Justice-en-ligne, « La Cour pénale internationale fait-elle preuve de partialité à l’encontre de l’Afrique ? »).

Enfin, l’Afrique elle-même, avec l’aide d’autres États, a démontré son aptitude à faire triompher la justice comme en atteste le récent procès de H. Habré par les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises (sur Justice-en-ligne : É. David, « Hissène Habré, une condamnation historique »).

12. Ces initiatives et ces faits montrent qu’il ne faut pas désespérer de la nature humaine même si le combat pour l’affirmation de l’État de droit au plan universel est encore loin d’être gagné.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 21 novembre 2016 à 16:47

    Si les uns se retirent, d’autres n’y sont pas (encore ?) entrés :
    Sauf erreur, les Etats-Unis, la Russie et Israël font partie des pays qui n’ont pas ratifié le Traité instituant la Cour Pénale Internationale.
    Il semble d’ailleurs que les Etats-Unis aient retiré leur signature en 2012, sous la présidence Bushhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_p%C3%A9nale_internationale#cite_note-12
     

    • JM KANINDA
      JM KANINDA Le 23 novembre 2016 à 16:10

      “Question naïve d’un médecin spécialiste en gynécologie-obstétrique (béotien en sciences juridiques) persécuté par le gouvernement belge du Premier Ministre libéral Guy VERHOFSTADT par l’entremise du Parquet de BRUXELLES depuis son incarcération sous n° d’écrou # 55.925 le 07 mars 2007 sans texte réglementaire, constitutionnel ou légal et surtout sans fait déclencheur pouvant raisonnablement ou vraisemblablement être pénalement punissable ou l’objet de poursuites du Ministère Public du Royaume de Belgique.

      La Belgique et l’Arabie Saoudite figurent-elles à cette auguste assemblée siégeant à LA HAYE parfois à ARUSHA ?

      Docteur JM KANINDA MULENGI MAJAMBU, gyn-obst-échographiste

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Éric David


Auteur

Professeur émérite de droit international de l’Université libre de Bruxelles
Président du Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles

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