Motivation des décisions de Cour d’assises : suite et fin ?

par Daniel de Beer - 19 décembre 2016

La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté le 29 novembre 2016 le recours déposé par Geneviève Lhermitte contre la Belgique en raison de sa condamnation par la Cour d’assises. Elle soutenait que, pour avoir considéré qu’elle était responsable de ses actes au moment des crimes, la décision de la Cour d’assises n’était pas motivée.

Daniel de Beer, Professeur invité à l’Université Saint-Louis à Bruxelles, explique en quoi cet arrêt de la juridiction européenne, clôt peut-être un cycle d’arrêt sur la question mouvementée de la motivation des arrêts prononcés par les cours d’assises, notamment par leurs jurys.

1. Le 29 novembre 2016, l’affaire Lhermitte, qui a longtemps défrayé la chronique, a connu son épilogue devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. La motivation des décisions rendues par la Cour d’assises était une nouvelle fois au cœur des débats.

2. En février 2007, Mme Lhermitte a tué ses cinq enfants et tenté de se suicider ensuite. Tout en la reconnaissant profondément perturbée, un collège d’experts psychiatres l’avait cependant considérée comme étant responsable de ses actes.

3. Lors des débats qui suivirent devant la Cour d’assises, il advint que deux lettres écrites par l’accusée aux moments des faits et dont la cour n’avait pas connaissance, furent soudainement révélées. Ce coup de théâtre amena le président de la cour à suspendre les débats et à soumettre ces courriers au collège d’experts psychiatres en leur demandant s’il y avait là matière à modifier leur appréciation quant à la responsabilité pénale de Mme Lhermitte. Tout en précisant qu’ils ne pouvaient livrer qu’un avis éclairé et non une vérité scientifique absolue, ces trois experts rendirent cette fois un avis selon lequel l’accusée avait été incapable de contrôler ses actes.

Le jury ne suivit pas les experts. Prenant en considération la résolution et le sang-froid que l’accusée mit à l’exécution de ses crimes, il la condamna à la prison à perpétuité.

4. Depuis, Mme Lhermitte soutient que rien ne lui permet raisonnablement de savoir pourquoi le jury a rejeté les conclusions des experts. À ses yeux, il y eut là absence de la motivation prescrite par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Elle se pourvut en cassation, succomba, et fit recours à la Cour européenne des droits de l’homme qui la débouta et saisit enfin la Grande Chambre de la Cour, sans plus de succès.

5. Habituellement, la Grande Chambre, qui comprend dix-sept juges au lieu des sept qui composent normalement les chambres ordinaires de la Cour, ne juge que les affaires qui soulèvent des questions de principe. Néanmoins, en l’occurrence, celle-ci s’est contentée d’appliquer au cas d’espèce les principes qui avaient déjà été formalisés notamment dans l’arrêt Taxquet c. Belgique, commenté déjà sur Justice-en-ligne (voy. notamment les articles suivants : Fr. Kuty, « La portée de l’arrêt Taxquet (affaire Cools) de la Cour européenne des droits de l’homme » ; J. Cl. Matgen, « L’arrêt Taxquet bis de la Cour européenne des droits de l’homme : de la motivation à la « compréhension » des décisions de jurys d’assises » ; voy. aussi les articles renseignés par le mot-clé « Arrêt Taxquet » dans le moteur de recherche du site) : examinant la procédure et tous les éléments de la cause, la Cour estima que l’accusée ne pouvait manquer de comprendre les raisons qui avaient convaincu le jury de sa culpabilité.

6. On peut noter qu’une forte minorité des dix-sept juges, sept d’entre eux, ont tenu à manifester par une opinion dissidente leur désaccord avec la décision prise.

Deux arguments ont principalement retenu leur attention.

Le premier tenait au fait que le verdict de culpabilité, non motivé, a été décidé par les jurés délibérant seuls et n’a pas été motivé. Ce n’est qu’ensuite, lors du délibéré sur la peine, que la motivation censée permettre de comprendre les raisons du verdict de culpabilité a été établie. Cependant, lors de ce délibéré sur la peine, le jury siégeait avec la participation active des trois juges professionnels de la Cour d’assises. À l’estime des juges dissidents, ce n’était pas acceptable car la motivation d’une décision doit émaner des juges, ou des jurés, qui l’ont prise, sans qu’il y ait intervention de tiers absents au délibéré.

Le second grief formulé à l’encontre de l’arrêt portait sur l’absence de toute raison explicite du rejet des conclusions des experts psychiatres, alors que leur volte-face a constitué un moment crucial du procès. Toutefois, cette opinion dissidente n’énerve pas les principes établis par la Cour depuis l’arrêt Taxquet. Elle relève simplement d’une différence d’appréciation des circonstances de la cause.

7. Cet arrêt marque néanmoins un point final à ces longs débats sur la motivation des arrêts des cours d’assises belges. En effet, on peut lire tant dans l’arrêt que dans l’opinion dissidente que la Belgique s’est dotée d’une nouvelle législation sur la Cour d’assises qui devrait permettre à l’avenir d’éviter les difficultés rencontrées. Dorénavant, si le verdict lui-même est voté par les seuls jurés, c’est à la suite d’une délibération en collège avec les juges professionnels, collège chargé également de rédiger par après un arrêt motivé.

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Daniel de Beer


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Professeur invité à l’Université Saint-Louis à Bruxelles

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