Le délai déraisonnable dans l’affaire Cools : chronique d’une vérité judiciaire inachevée

par David Ribant - 27 mars 2017

Le 17 janvier 2017, la Cour d’assises de la province de Namur a mis fin à une longue saga judiciaire en déclarant les poursuites irrecevables à l’encontre de Messieurs Taxquet et Castellino poursuivis pour l’assassinat d’André Cools.

La Cour a suivi l’argumentation des avocats des accusés et constaté l’impossibilité de la tenue d’un procès équitable. Elle a justifié cette décision par le dépassement du délai raisonnable, l’absence d’assistance d’un avocat lors de leurs auditions et l’impossibilité de soumettre les déclarations des témoins décédés au principe du contradictoire.

David Ribant, avocat au barreau de Bruxelles, nous en dit plus.

1. La justice a enfin définitivement clôturé la procédure initiée en 1991 à la suite de l’assassinat du Ministre d’État André Cools.

Messieurs Taxquet et Castellino avaient été reconnus coupables de cet assassinat et condamnés, respectivement en 2004 et en 2007, à vingt ans de réclusion criminelle.

Le 13 janvier 2009, la Cour européenne des droits de l’homme avait considéré que les deux hommes n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable, notamment en raison de l’absence de motivation de leur culpabilité, et avait jugé les arrêts de la Cour d’assises de la province de Liège contraires à l’article 6 de la Convention européennes des droits de l’homme.

Le 18 octobre 2011, la Cour de cassation s’est conformée à l’arrêt de la juridiction européenne et a cassé les arrêts prononcés en 2004 et en 2007, permettant la réouverture d’un procès fixé en ce début d’année 2017.

Dès l’ouverture des débats, les avocats ont déposé des conclusions postulant l’irrecevabilité des poursuites. La Cour d’assises de la province de Namur les a suivis sur les trois points suivants, détaillés ci-après : le dépassement du délai raisonnable, l’absence de possibilité d’interroger plusieurs témoins à charge et la non-assistance d’un avocat lors des premières auditions.

Le dépassement du délai raisonnable

2. Le premier point a trait à l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit pour toute personne de voir examiner sa cause dans un délai raisonnable.

Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant la complexité de l’affaire, le comportement du prévenu et des autorités compétentes.

La Cour a jugé, à juste titre, que les délais de quatorze et de quinze ans séparant les arrêts de renvoi à la Cour d’assises et l’ouverture de la session de janvier ne sont manifestement pas raisonnables.

La sanction du dépassement du délai raisonnable entraîne l’irrecevabilité des poursuites à la condition que celui-ci ne permet plus à l’accusé d’exercer les droits attachés à sa défense ou la rend la contradiction de la preuve impossible, ce que la Cour a constaté en l’espèce dans les deux points suivants.

L’absence de possibilité d’interroger plusieurs témoins à charge

3. L’article 6, § 3, d), de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit à tout accusé d’interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions.

Or, en raison de l’écoulement du temps et du caractère anormalement long de la procédure, la Cour d’assises de la province de Namur a constaté que pas moins de vingt-trois témoins sont décédés, dont certains déterminants.

La non-assistance d’un avocat lors des premières auditions

4. Après avoir rappelé qu’à l’époque des auditions des accusés, la loi belge ne prévoyait pas la possibilité pour la personne privée de liberté d’être assisté d’un avocat lors de l’interrogatoire mené par la police et lors de l’audition par le juge d’instruction, la Cour d’assises a précisé qu’il n’est pas démontré, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce qu’il existait des raisons de restreindre, pour les accusés , le droit à l’assistance d’un avocat.

La juridiction a constaté que les accusés n’avaient pas été informés de leurs droit au silence, de ne pas contribuer à sa propre incrimination et d’être assisté d’un avocat. Elle a remarqué également que les accusés, lors de ses interrogatoires, ont réalisé des déclarations auto-incriminantes qui ont initié plusieurs devoirs d’enquête à charge.

En posant ce raisonnement, la Cour d’assises fait application de la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme datant de 2008 et de la loi de 2011 qui y a fait suite.

Au vu de ces éléments, la Cour d’assises a considéré que le dépassement du délai raisonnable compromettait de façon décisive l’exercice des droits de la défense. Ce délai déraisonnable rendait impossible l’administration contradictoire de la preuve dès lors que les accusés n’ont plus la possibilité de faire valoir des moyens de défense et de présenter toutes demandes utiles au jugement de la cause et plus spécialement des éléments de preuve à décharge à propos d’une enquête clôturée depuis plus de dix-sept ans.

5. Cette décision apparaît conforme au principe de sécurité juridique, indispensable à l’application du droit pénal dans une société démocratique.
Cependant, la lenteur de la justice laisse perplexe sur la réponse judiciaire apportée à des faits d’une telle gravité. Cette lenteur a pour conséquence de voir écartée la culpabilité de deux personnes, pourtant incarcérées pendant de nombreuses années, et la famille de la victime laissée sans réponse.

Votre point de vue

  • David Ribant
    David Ribant Le 19 mai 2017 à 10:27

    La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation du Ministère public de sorte que l’arrêt de la Cour d’assises est aujourd’hui définitif

    Répondre à ce message

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 30 mars 2017 à 17:06

    Constat, une fois de plus, du fonctionnement anormalement lent de la justice. Mais cette lenteur n’est-elle pas tout simplement voulue, organisée ???Quoi qu’il en soit, la conclusion en point 5 rend les termes "société démocratique" plus que galvaudés, dépréciés, bafoués. Comment avoir encore confiance en l’institution judiciaire alors que des faits d’une telle extrême gravité ne sont toujours pas définitivement jugés ?

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 30 mars 2017 à 15:11

    Est-ce encore supportable cette Justice d’une lenteur effroyable.
    Par contre il est clair que la Justice n’est pas seule responsable de
    ces lenteurs. Manque de moyens, manque de personnel, manque de Juges.
    Nos différents gouvernements ont toujours fait en sorte que la Justice soit
    l’enfant pauvre dans notre pays

    Répondre à ce message

  • David Ribant
    David Ribant Le 28 mars 2017 à 13:49

    En effet, c’est allé un peu trop vite en besogne mais les éléments avancés dans l’arrêt de la Cour d’assises me paraissent difficilement contestables.

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  • Martin
    Martin Le 27 mars 2017 à 20:58

    "Clôturé définitivement". C’est aller un peu vite en besogne. C’est oublier qu’un pourvoi en cassation a été introduit par le parquet général. Affaire à suivre donc...

    Répondre à ce message

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