« Une Justice de qualité, à quel prix ? » : un colloque ce mardi 3 octobre à l’ULB

par Alexandre Piraux - 28 septembre 2017

L’avenir de la Justice dans un univers budgétaire de plus en plus restreint soulève de multiples questions et des inquiétudes.

Le Centre d’études et de recherches en administration publique (CERAP) de l’Université libre de Bruxelles et le Centre d’études des politiques et de l’administration publique (CEPAP) de la même université organisent sur ce thème un colloque intitulé « Une Justice de qualité à quel prix ? » le mardi 3 octobre 2017 à 13 heures à la salle Dupréel de l’ULB (avenue Jeanne, 44 -1050 – Bruxelles).

Alexandre Piraux, collaborateur scientifique à l’Université libre de Bruxelles et l’un des membres du comité scientifique du colloque, nous en présente les grandes lignes.

1. À un moment où la notion d’État de droit est remise en cause ou bafouée dans de nombreux États européens, dont la Pologne, la Hongrie ou la Turquie pour n’en citer que quelques-uns, ce colloque sur la modernisation de la Justice, qui veut faire le point et réfléchir sur les réformes de l’appareil judiciaire, arrive à un moment où la question de l’État de droit est également posée en Belgique.

En effet le fait que l’institution judiciaire Justice va être placée sous contrat de gestion comme une entreprise publique autonome (Bpost, SNCB, etc…) avec des objectifs de performance revient à la banaliser en l’alignant sur le régime de services publics à vocation commerciale. Selon les propos mêmes du Premier Président de la Cour de cassation Jean de Codt, il est ironique de constater qu’on est passé d’un régime d’indépendance à celui d’une autonomie concédée dans la gestion, en tous cas.

2. On a longtemps considéré que l’expression « la gestion de la justice » était un oxymore, une contradiction dans les termes, vu que les deux termes relevaient de mondes distincts.
Nous pouvons discerner plusieurs phases ou vagues de réforme de la Justice belge.

Entre 1998 et 2000, elles se sont focalisées sur la « managérialisation », à savoir sur les instruments de gestion et pratiques issues du secteur privé : management de la qualité intégrale dans les parquets, mandats des chefs de corps et profils de poste, évaluations, élaboration d’outils de mesure de la charge de travail, etc.

La première décennie du XXIème siècle est marquée par de vaines tentatives d’informatisation de la Justice (Phénix lancé en 2001, etc.). Les réformes de 2013-2014 vont intensifier « […] le processus de managérialisation par l’attention portée à la mesure des performances et de nouvelles règles de gestion du personnel ».

3. En Belgique, la réflexion stratégique moderne et les réformes de la Justice ont réellement commencé après 1996 dans la foulée de l’affaire Dutroux, qui va marquer un début de révolution judiciaire.

En voici les étapes plus significatives : le principe de l’évaluation des magistrats (loi dite Octopus 1998), la création du Conseil supérieur de la Justice (qui est un organe constitutionnel, 1998), les Maisons de justice (1998), la réforme de la procédure pénale dite le petit Franchimont (1998), la mise sous mandat et l’évaluation des Chefs de corps (1999), l’introduction de la procédure de comparution immédiate, le Snelrecht (2000), les modalités d’évaluation des magistrats (2000), le parquet fédéral (2002), le plan pluriannuel Thémis (Onkelinx) prévoyant une approche de gestion intégrée avec décentralisation et autonomie de gestion (2005), le projet Phénix d’informatisation complète de la procédure (2001-2006), qui allait connaître un échec. Puis la création d’un Institut de formation de l’Ordre judiciaire (2007) et la loi du 26 avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l’arriéré judiciaire, qui vise entre autres à donner un rôle actif au juge civil dans la mise en état des affaires, à simplifier les règles et à élargir les possibilités de demander des débats succincts.

4. Le gouvernement Di Rupo (6 décembre 2011 – 11 octobre 2014) a ensuite concrétisé des jalons décisifs, à savoir la diminution importante du nombre d’arrondissements judiciaires de 27 à 12, le renforcement de la mobilité des magistrats, alors que l’inamovibilité est inscrite à l’article 152, alinéa 3, de la Constitution, en créant des divisions au sein d’un tribunal (dans des villes différentes), l’introduction d’un système de gestion autonome avec la loi-cadre du 18 février 2014, qui dessine l’architecture d’une nouvelle organisation et institue les plans et contrats de gestion

sous la Ministre de la Justice Annemie Turtelboom (Open VLD) précédée du Ministre Stefaan De Clerck (CD&V

.

5. Le Ministre Geens (CD&V) a défini en 2015 son Plan Justice comme « un triple saut ». Le premier vise à assurer la continuité du fonctionnement du système judiciaire tout en poursuivant la réforme. Le second saut contient la réforme des législations essentielles comme le Code civil, le Code pénal et le Code d’instruction criminelle. Le dernier saut est une réforme des professions juridiques, avocats, huissiers et notaires.

Ce plan Justice contient une série de mesures ponctuelles du droit de la procédure civile (loi dite « pot-pourri I » en vigueur progressivement à partir du 1er novembre 2015), du droit pénal et de la procédure pénale (loi dite « pot-pourri II » en vigueur depuis le 29 février 2016), de l’internement (loi dite « pot-pourri III »), du statut juridique des détenus et de la surveillance des prisons (loi dite « pot-pourri IV ») et du droit civil, de la procédure civile, du notariat, ainsi que de l’évaluation des Chefs de corps)

6. Cette manière de faire est spécifiquement belge, en ce qu’elle préfère de multiples modifications ponctuelles (du « pointillisme » judiciaire ?), ne formant pas en soi un système, du moins a priori.

7. Le colloque, à l’entrée libre, a lieu le mardi 3 octobre 2017 à 13 heures. Il sera introduit par le Ministre de la Justice et se tient autour de deux débats, le premier orienté vers la question du modèle de Justice à privilégier dans un État de droit démocratique et le second autour des notions d’indépendance fonctionnelle et politique de la magistrature.

On retrouvera sans doute dans les deux débats la thématique récurrente de la séparation (équilibre) des pouvoirs entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif ou judiciaire), ou de la répartition des pouvoirs au sein de l’institution judiciaire, où de nouveaux acteurs interviennent. On pense ici en particulier à la répartition des pouvoirs entre les Collèges des cours et tribunaux et du ministère public, les 69 comités de direction ou le Conseil supérieur de la Justice chargé du contrôle externe.

Cela est fondamental dans la mesure où, si l’indépendance juridictionnelle est garantie, il s’agit d’examiner dans quelle mesure la manière de travailler et notamment le calcul de la mesure du temps de travail selon des normes de temps national, risquent d’impacter le contenu ou la qualité des décisions.

Il est donc légitime de se demander si le principe d’excellence appliqué à l’art juridictionnel ne risque pas de se trouver progressivement altéré au profit de performances temporelles ou budgétaires plus visibles que les critères qualitatifs. C’est d’autant plus plausible quand on sait qu’une réduction minime de la qualité augmente grandement la productivité.

8. Le programme complet du colloque et les modalités d’inscription sont précisées dans le document ci-dessous.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 30 septembre 2017 à 16:19

    Quand je lis les commentaires des deux spécialistes ci-avant, je me souviens que
    dans mon jeune temps les jeunes avocats considéraient que les Juges étaient
    des avocats râtés. Un peu dur comme jugement mais il est un fait qu’un comité de contrôles supervisant les actes et décisions de certains juges pourraient peut-être
    améliorer la situation qui est assez troublante quand on entend le nombre de
    procédures judiciaires qui doivent être annulées en fonction d’erreurs commises
    par certaines juges.

    • Nadine Goossens
      Nadine Goossens Le 30 septembre 2017 à 19:56

      ".... le nombre de procédures judiciaires qui doivent être annulées en fonction d’erreurs commises par certaines".

      Par-delà un coût financier non négligeable, une perte de temps qui ne se rattrape jamais, comment ignorer les conséquences humainement tragiques pour les victimes et/ou leurs proches.

      "je me souviens que dans mon jeune temps les jeunes avocats considéraient que les Juges étaient des avocats râtés".

      Quand j’observe les "jeunes avocat(e)s-stagiaires" parader effrontément dans les salles d’audience des tribunaux, sinon remarquer que la profession s’est fortement féminisée, comment ne pas méditer sur les La Fontaine, Balzac, Zola, Hugo, Dumas, entre autres, lesquels ne se sont pas privés de dénoncer la tyrannie de l’institution.

      Je suis sidérée du nombre d’avocats qui ne connaissent même pas leurs dossiers et qui étalent sans aucune pudeur leur désinvolture devant leurs clients sinon devant la cour.

      Ces gens sont à l’humanisme et au sociétal ce que l’oeuf est au fipronil, des intrus. Ils (elles) déshonorent la profession et l’institution.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 29 septembre 2017 à 10:01

    Entre autres articles lus dans les journaux - 14/05/2017 - La Libre.be "...le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) a pour sa part plaidé cette semaine en faveur d’un incitant fiscal pour les citoyens qui contractent une assurance protection juridique,..."(sic) - L’Avenir.net - 14/05/2017 - "Le gouvernement compte aussi instaurer en 2018 un stimulant fiscal à l’assurance protection juridique, pour les personnes qui n’ont pas accès à l’aide juridique de deuxième ligne." (sic) Qu’en est-il des travaux menés en collaboration avec le CSJ pour l’accès pour toutes et tous à la justice ? Dans un article précédent paru sur Justice en ligne "Peter Gyselbrecht attaque l’État belge en raison d’une détention préventive inopérante : rappel des règles applicables". par Pierre Vandernoot, le 10 septembre 2017, la réaction d’une intervenante me faisait réagir le 21/09/2017 "Votre propos très pertinent concernant "le statut "irresponsable" des fonctionnaires d’état les dispensant de devoir assumer pénalement leurs erreurs commises dans un cadre strictement professionnel."(sic) m’interpelle à tel point que je compte proposer au ministre de la justice, Koen Geens et au CSJ de changer cet état des choses et d’imposer la responsabilisation et donc la pénalisation des acteurs judiciaires lors d’erreurs judiciaires et lors de dysfonctionnements au sein d’arrondissements judiciaires. Le CSJ annonce, début 2017, par son plan Crocus, des projets apportant un changement significatif dans la relation citoyen-justice, dans l’organisation judiciaire. L’attitude actuelle est, en effet, devenue inacceptable. C’est plus qu’agaçant, c’est absolument insupportable. Je tente le débat et/ou le processus proactif. Utopiste, peut-être mais "Qui ne tente rien, n’a rien." (sic) - J’ai parcouru, également, le guide des magistrats -des CSJ et CCM - paru en juin 2012 - Tant de valeurs et qualités réunies sur papier dans ce "guide" pour une réalité si éloignée dans les faits. A quoi sert-il vraiment ? A se donner bonne conscience ? Quel recours en cas de dysfonctionnements évidents et répétitifs ? Je partage entièrement les propos de l’intervenante "Si l’erreur est humaine, il faut reconnaître que l’incompétence, l’arrogance et le mépris affichés par de trop nombreux acteurs évoluant dans cette sphère décrédibilise une Institution qui n’entend jamais remettre des pratiques sinon inconcevables, sûrement intolérables en cause."(sic) Le fossé "citoyen-monde judiciaire" n’est pas près à être comblé, la confiance en la justice n’est pas près d’être rétablie. Je suis impatiente de connaître les résultats du baromètre justice-citoyen" (en 2018 ?). Pourquoi ne pas laisser la justice prédictive faire ses preuves ? A quand les algorithmes face au "bon sens des magistrats" ?

    • Nadine Goossens
      Nadine Goossens Le 30 septembre 2017 à 13:18

      Coucou Gisèle

      Pour l’avoir approché et pratiqué, je peux attesté que CSJ est un miroir aux alouettes pour les justiciables que nous sommes et je ne me suis pas privée de le faire savoir à plusieurs reprises sur ce site. Des pratiques honteuses, intolérables mais courantes.
      Quand le sadisme ou le cynisme s’exprime, peu importe qu’il soit l’oeuvre d’une femme ou d’un homme, la violence est la même.

      Quant aux relations entre cabinets ministériels et justiciables ...

      Via le site TRANSPARENCIA.be, j’ai contacté il y a plusieurs mois le cabinet du Ministre Guy Vanhengel, chargé des Finances, du Budget et des Relations extérieures. Sinon l’acrobatie habituelle capitonnée de généralités stériles auxquelles je me suis empressée de donner suite et que nous sommes nombreux à avoir déjà dénoncées ici, ni le ministre ni ses collaborateurs ne prennent la peine de répondre à la "reconsidération de ma demande" cependant prévue dans la chronologie des échanges épistolaires entre les parties.

      S’il y a des brutes en blanc, il y a aussi des brutes en noir, en rouge et autres.

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  • Nadine Goossens
    Nadine Goossens Le 30 septembre 2017 à 13:14

    "Tant de valeurs et qualités réunies sur papier dans ce "guide" pour une réalité si éloignée dans les faits"

    Là où ça devient vraiment vomitif, c’est quand on se souvient des thèses défendues par ces gens telles les peines plancher pour les récidivistes de vol de yaourts, la nécessaire exemplarité des peines, les zones de non droit et autres territoires perdus par l’Etat, la stigmatisation des pauvres et de leurs misérables fraudes à deux sous, alors que parallèlement des notables ravis restent envasés à coups de centaines de milliers d’euros voire millions d’euros dans des détournements d’argent public.

    "Je suis impatiente de connaître les résultats du baromètre justice-citoyen" (en 2018 ?)"

    Bloqué au beau fixe assurément Gisèle.

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