La déclaration de culpabilité dans l’affaire Jean Wauters : la sanction d’un procès anormalement long

par David Ribant - 26 juin 2011

Après plus de 15 ans de procédure, la Cour d’appel de Liège a jugé Jean Wauters, ancien président de l’a.s.b.l. « Village n°1 », et son épouse coupables des préventions de faux, détournements et association de malfaiteurs mises à leur charge. Malgré la gravité des faits commis, la juridiction a prononcé à leur égard une simple déclaration de culpabilité, et ce en raison du dépassement du délai raisonnable.

L’avocat David Ribant nous fait comprendre ci-après cet apparent paradoxe.

La décision liégeoise établit la faute des prévenus sans toutefois leur infliger une peine.

Souvent, de telles décisions sont perçues comme de véritables acquittements imputables aux comportements des prévenus ou de leur avocat, qui auraient usé de toutes les artifices aux fins de faire traîner la procédure.

Il n’en est rien. La constatation du délai raisonnable doit répondre à la réunion d’un certain nombre de conditions et s’inscrit dans le respect des droits de la défense.

1. Le délai raisonnable et ses critères

L’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, directement applicable dans notre système judiciaire, garantit à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable. Ce droit a principalement pour objectif d’éviter qu’une personne poursuivie ne vive trop longtemps dans l’incertitude quant à l’issue de la procédure pénale diligentée à son encontre. Il permet également de pallier le danger du dépérissement des preuves.

Le caractère raisonnable de la procédure s’apprécie, selon la Cour européenne des droits de l’homme, suivant la complexité de l’affaire, ainsi que le comportement du prévenu et des autorités compétentes.
Les juridictions doivent donc, au cas par cas, examiner ces critères. Il a ainsi été jugé que le délai raisonnable est dépassé lorsqu’aucun acte d’enquête n’a été posé pendant un an ou que la fixation de l’affaire intervient plus de trois ans après la fin de l’enquête.

Par contre, le délai raisonnable n’est pas dépassé dans l’hypothèse où le retard pris par la procédure est imputable au prévenu ayant adopté un comportement dilatoire, par exemple en posant des actes de nature à ralentir l’enquête ou en multipliant les demandes de remise du procès.

2. Sanctions du délai raisonnable

Les sanctions attachées au dépassement du délai raisonnable peuvent être de plusieurs ordres.

Tout d’abord, dans l’hypothèse où la durée anormale de la procédure ne permet plus au justiciable d’exercer les droits attachés à sa défense ou rend la contradiction de la preuve impossible, le juge est dans l’obligation de déclarer les poursuites irrecevables en raison d’une atteinte au droit à un procès équitable.

Le dépassement du délai raisonnable peut également engendrer une altération de la qualité des preuves, ce qui entraîne un manque ou un doute quant à celles-ci et conduit alors le juge à acquitter le prévenu.
Enfin, si les droits de la défense ont été respectés et la qualité des preuves préservée, le juge peut sanctionner le retard anormal de la procédure soit en prononçant une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi soit, comme dans l’affaire dite du « Village n°1 », par une simple déclaration de culpabilité.

3. Et la victime dans tout ça ?

La victime est une nouvelle fois spectatrice du jeu judiciaire lorsque la procédure se perd dans les méandres du temps. En effet, si des garanties ont été opportunément octroyées au prévenu pour se prémunir des errances de la justice, rien ou presque n’a été organisé pour permettre à la victime de défendre ses droits dans pareil cas.
En l’espèce, les juges de la Cour d’appel ont certes condamné Monsieur Wauters et son épouse à payer d’importants dommages et intérêts aux victimes. Cependant, ces mêmes victimes se seraient trouvées bien démunies si le dépassement du délai raisonnable avait empêché l’exercice des droits de la défense ou l’appréciation de la preuve. En effet, dans ces deux hypothèses, les poursuites auraient été déclarées irrecevables ou les prévenus auraient été acquittés et les juges auraient été dans l’obligation de se déclarer sans compétence pour juger l’action des victimes. Ces dernières auraient alors dû porter leur action civile devant les juridictions civiles devant lesquelles faire fi de la décision du juge pénal paraît illusoire.

Cette différence de traitement entre la personne poursuivie et la victime interpelle. En effet, cette dernière, après avoir attendu pendant des années une indemnisation, se voit dans ces hypothèses débouter en raison de l’inertie des autorités et aura toutes les difficultés à récupérer son dommage.

Il s’agit, là encore, d’une conséquence de l’arriéré judiciaire récurent auquel les justiciables belges sont confrontés. Ce type de situation perdure depuis de nombreuses années et peut aisément être qualifié d’injustice, ce qui est intolérable dans une société démocratique, sans pour autant, qu’aucune mesure concrète ne soit décidée…

Votre point de vue

  • skby
    skby Le 24 septembre 2015 à 13:18

    Votre texte est bien clair. La lenteur de la Justice provoque des injustices nombreuses
    et importantes dans certains cas.
    Normal car nos dirigeants n’attachent aucune importance à la Justice, et cela depuis
    de nombreuses années. LA JUSTICE = ENFANT PAUVRE DE TOUS LES GOUVERNEMENTS

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