La portée de l’arrêt Taxquet (affaire Cools) de la Cour européenne des droits de l’homme

par Franklin Kuty - 29 janvier 2009

1. La Cour européenne des droits de l’homme vient de prononcer, ce 13 janvier 2009, un arrêt de condamnation de la Belgique en raison notamment de l’absence de toute motivation de la culpabilité des accusés par la Cour d’assises (voir en ligne).

De quoi s’agit-il ?

2. Le 7 janvier 2004, la Cour d’assises de Liège condamna notamment Richard Taxquet à une peine d’emprisonnement de vingt ans dans l’affaire Cools. Richard Taxquet a considéré que son droit à un procès équitable n’avait pas été respecté, à défaut pour l’arrêt de la Cour d’indiquer les motifs qui ont emporté la conviction du jury. Il s’est adressé en conséquence à la Cour européenne des droits de l’homme, avec le résultat que l’on sait.

En vertu de la loi belge, le jury, lorsqu’il se retire pour délibérer, se limite à répondre par oui ou par non à des questions que lui aura posé le président de la Cour, comme par exemple « L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel meurtre, tel vol, ou tel autre crime ? » ou « L’accusé a-t-il commis le crime avec telle ou telle circonstance ? ». Les jurés, pour répondre, se fondent sur leur seule « intime conviction » et ne doivent pas motiver autrement leur réponse.

La Cour de cassation de Belgique a considéré que cette manière de faire ne violait pas le droit à un procès équitable puisque l’arrêt contient « la référence à la déclaration du jury, la qualification du fait déclaré établi et l’énoncé des articles du Code pénal dont il est fait application ».

3. Jusqu’à présent, les organes chargés de la bonne application de la Convention européenne des droits de l’homme ont montré de la compréhension à l’égard de cette jurisprudence. Ainsi, en 1992 et 1994 encore, la Commission européenne des droits de l’homme (aujourd’hui disparue et qui, dans le passé, vérifiait la recevabilité des requêtes introduites à Strasbourg) a jugé que le système belge de motivation des arrêts des cours d’assises était conforme au droit au procès équitable dans la mesure où les questions posées par le président, auxquelles il est répondu par oui ou non, « forment une trame sur laquelle se fonde la décision du jury. […] La précision de ces questions permet de compenser adéquatement les réponses laconiques du jury [et] la cour d’assises doit motiver le refus de déférer une question de l’accusation ou de la défense au jury ». La Cour européenne des droits de l’homme elle-même a confirmé cette jurisprudence dans l’affaire Maurice Papon contre France. Dans ces décisions et cet arrêt, les organes de Strasbourg ont toutefois eu égard à plusieurs circonstances rendant le système admissible, tirées pour l’essentiel de la précision et le détail des questions.

4. La Cour européenne des droits de l’homme a décidé de rompre avec sa jurisprudence.

Dans l’arrêt Taxquet, elle rappelle l’importance de la motivation des décisions de justice, même si cela ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument et que l’exigence de motivation doit aussi s’accommoder de particularités de la procédure. Mais elle écrit surtout que l’évolution des conceptions en matière de droits de la défense nécessitait une exigence accrue en matière de motivation : elle montre son souci d’expliquer le verdict à l’accusé mais aussi à l’opinion publique, au « peuple » au nom duquel la décision est rendue, de mettre en avant les considérations qui ont convaincu le jury de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé et d’indiquer les raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions. Dans ces conditions, relève la Cour, la Cour de cassation n’est pas davantage en mesure d’exercer efficacement son contrôle et de déceler, par exemple, une insuffisance ou une contradiction des motifs. Elle conclut dans cette affaire qu’« en l’espèce, la formulation des questions posées au jury était telle que le requérant était fondé à se plaindre qu’il ignorait les motifs pour lesquels il avait été répondu positivement à chacune de celles-ci, alors qu’il niait toute implication personnelle dans les faits reprochés ».

5. Que retenir de tout ceci ?
Des réponses laconiques à des questions formulées de manière vague et générale peuvent donner l’impression d’une justice arbitraire et peu transparente. La Cour asseoit son revirement de jurisprudence sur la nécessité pour tout un chacun de comprendre, et donc d’accepter, la décision de la juridiction.
Le verdict doit dès lors être motivé concrètement, c’est-à-dire sur la base des faits de la cause tels qu’ils ont été rapportés durant les débats.

6. Cet arrêt n’est pas encore définitif. L’Etat belge peut encore solliciter le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, composée de 17 juges. Le Ministre de la Justice Declercq a laissé entendre qu’une telle demande pourrait être formulée.
La solution à cette problématique doit être l’oeuvre du Parlement. La question du maintien de la Cour d’assises a récemment intéressé le Gouvernement qui a institué une Commission de réforme de la Cour d’assises. Cette Commission a remis au ministre de la Justice un rapport définitif le 23 décembre 2005 (consultable sur le site du centre de philosophie du droit de l’ULB : http://www.philodroit.be) dans lequel elle relevait l’importance de la motivation du verdict de la Cour d’assises (p. 60).
Des parlemenatires se sont inspirés de ses travaux pour déposer au Sénat des propositions de loi les 26 juillet 2007 (Sénat, n° 4-106/1), 10 août 2007 (Sénat, n° 4-147/1) et 25 septembre 2008 (Sénat, n° 4-924/1).

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Franklin Kuty


Auteur

Maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles

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