La publicité judiciaire : raison d’être et limites

par Emmanuel Slautsky - 17 octobre 2010

L’un de nos internautes se pose la question de savoir comment assister à un procès qui défraie actuellement l’actualité. En principe, il n’y a rien de plus simple : la Justice est en effet publique, sauf exceptions liées à la protection de valeurs plus importantes, comme par exemple la protection des mineurs ou le droit au respect de la vie privée.

L’avocat Emmanuel Slautsky nous rappelle ci-après la raison d’être de cette règle fondamentale de la publicité et sa portée.

1. La publicité des audiences des cours et tribunaux, ainsi que celle du prononcé des jugements, est garantie par les articles 148 et 149 de notre Constitution.

Elle vise à protéger le justiciable de l’arbitraire du juge, en soumettant ce dernier au contrôle des parties et du public, et à renforcer la confiance du public dans le système judiciaire. Une justice secrète, dans laquelle les jugements seraient prononcés sans témoins, dans laquelle les audiences se dérouleraient derrière des portes closes (« à huis clos »), ne manquerait en effet pas d’entretenir autour d’elle la méfiance et le soupçon.

Chacun, dès lors, peut pousser les portes du Palais de Justice pour voir, et écouter, ce qu’il s’y passe et les décisions qui y sont prononcées.

Tout juge est donc susceptible de voir sa conduite de l’audience et ses décisions exposés aux yeux du plus grand nombre, de telle sorte que, soumis à un tel contrôle direct du public, le juge ne pourrait en principe sombrer dans l’arbitraire. Les juges, en effet, sont « plus circonspects dans leurs décisions si elles sont exposées à la censure du public », selon les mots de J. Raikem, l’un des membres du Congrès national qui, en 1831, adopta la Constitution belge.

2. Pour les mêmes motifs, en vue de protéger le caractère équitable des procès, la Convention européenne des droits de l’homme, en son article 6, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en son article 14, garantissent également la publicité des débats judiciaires et le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue publiquement.

3. La publicité des audiences n’est néanmoins pas absolue.

D’une part, elle n’implique par exemple pas, à ce jour, le droit pour la presse de filmer ou d’enregistrer ce qui se déroule à l’intérieur des prétoires. Chaque magistrat est en outre tenu d’effectuer ce que l’on appelle « la police de l’audience ».

D’autre part, comme souvent en matière de droits fondamentaux, le droit de chacun à avoir sa cause entendue publiquement peut entrer en concurrence avec d’autres droits constitutionnellement garantis et d’autres valeurs dignes de protection. Il suffit de penser au droit à la vie privée ou la protection des mineurs d’âge.

4. Pour illustrer ce dernier point, prenons l’un ou l’autre exemple.
En matière familiale (divorce, adoption, incapacités, etc.), il peut arriver que le caractère public d’une audience, voire même le prononcé public du jugement, porte atteinte à la vie privée ou à la dignité des parties en cause, en particulier lorsque celles-ci sont mineures. Il est, en effet, des sujets que chacun devrait ne pas avoir à exposer aux regards du public.
Parfois également, dans ces matières sensibles, le caractère public d’une audience et des débats judiciaires peut empêcher le bon déroulement du procès lui-même, en empêchant, par exemple, que le témoignage d’un enfant se fasse dans des conditions qui ne soient pas trop intimidantes.

En matière pénale, également, la publicité des audiences peut aussi, au lieu de protéger la personne poursuivie, entraîner son déclassement social définitif, en exposant aux yeux de tous les faits qui lui sont reprochés. De même, en matière de faits de mœurs, une victime pourrait souhaiter témoigner, parfois même contre le souhait de la personne poursuivie, à huis clos de ce qui lui est arrivé. Ou, à l’inverse, la personne poursuivie pourrait souhaiter comparaître à huis clos, tandis que la victime préférerait que les portes de l’audience restent ouvertes.

5. C’est en raison de cette nécessité d’assurer un équilibre entre la publicité des débats judiciaires et d’autres impératifs et droits fondamentaux qu’en droit belge, la Constitution (tout comme, dans des mesures différentes, la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques) autorise certaines exceptions et certaines limitations au caractère public des audiences. Diverses lois mettent également en œuvre ces exceptions et doivent, ce faisant, procéder à des équilibres délicats entre les différentes valeurs mises en jeu.

La Constitution n’autorise par contre, en principe, pas de dérogations au prononcé public des jugements.

Votre point de vue

  • Georges-Pierre TONNELIER
    Georges-Pierre TONNELIER Le 17 avril 2013 à 15:12

    « En matière pénale, également, la publicité des audiences peut aussi, au lieu de protéger la personne poursuivie, entraîner son déclassement social définitif, en exposant aux yeux de tous les faits qui lui sont reprochés. »

    Je tiens à réagir à ce passage de l’article car j’en approuve tout à fait le contenu.

    N’oublions pas que la publicité des audiences, que prescrit notre Constitution, a été voulue à une époque où les médias, dont Internet, n’offraient pas au grand public une mémoire illimitée dans le temps (faites une recherche Google sur le nom d’une personne et vous saurez tout ce qui a été écrit à son sujet, même des années auparavant) des affaires judiciaires qui se sont déroulées en audience publique et qui ont été couvertes par un journaliste.

    Par conséquent, le risque de déclassement PERMANENT lié à la mémoire de l’Internet est autrement plus grand que du temps où la Constitution a été rédigée, où seule la presse papier existait. A l’époque, pour se renseigner au sujet du passé judiciaire d’une personne, il fallait entreprendre des démarches de recherche dans des archives de journaux.

    Aujourd’hui, Google offre un véritable casier judiciaire en ligne pour qui a vu son procès couvert par la presse !

    Je pense donc que l’évolution des technologies impliquerait d’inverser le principe : les audiences devraient se tenir à huis-clos si l’une des parties le demande.

    Georges-Pierre TONNELIER
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://www.linkedin.com/in/georgesp...

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