Le vieillissement des magistrats : problème d’effectifs en vue dans la magistrature ?

par Nadia De Vroede - 22 octobre 2010

La population belge vieillit. Ce n’est pas une information, c’est une constatation. Dans les toutes prochaines années, de plus en plus de gens vont se trouver en situation de prendre leur pension. Ce qui est vrai pour la population belge l’est vrai aussi pour la magistrature.

Comment gérer cette situation ? Nul mieux que Nadia De Vroede, Présidente du Conseil supérieur de la Justice, ne pouvait éclairer cette question.

Le constat : la Justice devra faire face bientôt au vieillissement de ses cadres.

En principe, les magistrats belges, au sein de l’Ordre judiciaire, terminent leur carrière à 67 ans, sauf les magistrats de la Cour de cassation qui terminent leur carrière à 70 ans. S’ils le souhaitent, les magistrats peuvent cependant demander leur mise à la retraite, de manière anticipée, dès 60 ans. Ils sont de plus en plus nombreux à le faire. L’âge moyen du départ à la retraite est actuellement de 62 ans et 8 mois pour les magistrats. En soi, ce n’est pas un problème : c’est plutôt mieux que l’âge moyen de départ à la retraite en Belgique puisque l’âge moyen de sortie du marché du travail en Belgique est de 61,9 ans pour les femmes et de 61,2 ans pour les hommes (« A quel âge, la retraite ? Cela varie en fonction du pays », La Nouvelle Gazette, 24 juin 2010). Le problème, c’est que le groupe des magistrats âgés de plus de 50 ans représente 51 % de l’effectif de la magistrature. Les plus de 60 ans représentent, à eux seuls, un peu plus de 23 % des magistrats. Il faut donc s’attendre, dans les années à venir à un renouvellement accéléré des magistrats. On estime généralement que la question se posera principalement au cours des années 2014 à 2018.

Le renouvellement prochain d’un grand nombre de magistrats n’est pas en soi une mauvaise chose. C’est notamment l’occasion de repenser le fonctionnement de la justice. C’est en tout cas un événement dont la gestion ne s’improvise pas. Un magistrat qui part et qui n’est pas remplacé, ce sont des audiences qui ne sont pas tenues ; ce sont des retards qui s’accumulent dans les dossiers ; ce sont, parfois des départs qui entraînent des mutations en cascade et des perturbations dans le fonctionnement de plusieurs juridictions. Sommes-nous préparés à faire face à un tel bouleversement ?

Neuf mois sont nécessaires pour nommer un magistrat

La durée de la procédure menant au remplacement d’un magistrat admis à la pension est longue. Il faut tout d’abord publier la vacance de la place. Dans certains cas, c’est simple : les services du SPF Justice peuvent déterminer, à l’avance, qui atteindra prochainement l’âge légal de départ. Dans d’autres cas, la loi impose au magistrat un préavis, ce qui met le ministère en mesure d’anticiper le départ. Dans les autres situations, ce n’est pas obligatoire, même si, le plus souvent, c’est le cas.

Comment le ministère met-il le délai à profit ? Le SPF Justice ne procède pas immédiatement à la publication de la vacance prochaine d’une place. En règle générale, il attend trois ou quatre mois avant la date prévue du départ pour procéder à la publication.

Les faits révèlent que ce délai est relativement respecté lorsqu’un magistrat atteint l’âge légal de la pension ; il est moins bien respecté lorsqu’un magistrat demande à pouvoir bénéficier d’une mise à la retraite anticipée.
Le problème de la publication se complique, lorsque des mesures d’ordre notamment budgétaire viennent perturber le déroulement de la procédure de publication. Par la simple voie d’une circulaire administrative, le ministre de la Justice avait décidé, par exemple, de ne plus procéder que de deux mois en deux mois à des publications de places vacantes. Par voie de conséquence, la durée du vide entre ledit départ et la nomination d’un nouveau magistrat s’en trouvait prolongée, avec des conséquences graves sur le bon fonctionnement des juridictions concernées. Tant le Conseil supérieur de la Justice que l’ensemble du monde judiciaire ont réagi avec vigueur à cette circulaire. Par lettre du 5 août 2010, le ministre de la Justice a informé cependant le Conseil supérieur de la justice qu’il suspendait momentanément les effets de sa circulaire : les places sont publiées mensuellement depuis septembre 2010.

Ce n’est pas tout de veiller à la publication de la vacance d’une place. Celle-ci assurée, il s’écoule encore un délai compris entre huit et neuf mois, pour qu’un magistrat soit nommé et entre en fonction. Le délai peut paraître long. Il est une simple conséquence de la procédure organisée par le Code judiciaire en vue d’objectiver les nominations.

À partir de la date de publication de la place, les candidats intéressés disposent d’un délai d’un mois pour postuler. Ensuite, le ministre de la Justice doit recueillir les avis des chefs de corps (président du tribunal concerné, procureur du Roi, etc.) et du bâtonnier sur les candidats. Ceux-ci ont alors la possibilité de faire valoir leurs observations sur les avis les concernant. Ce n’est qu’après ces premières étapes que les dossiers sont adressés à la Commission de nomination et de désignation du Conseil supérieur de la Justice. Sur la base des dossiers transmis et après un entretien avec les candidats, cette commission prendra la décision de présenter un candidat à la nomination et le communiquer son choix au ministre de la Justice. Celui-ci dispose alors d’un délai de deux mois pour procéder à la nomination : un arrêté est soumis à la signature royale ; l’arrêté fait l’objet d’une publication au Moniteur belge et le magistrat nouvellement nommé peut enfin prêter serment et commencer à travailler...

Anticiper !

Dans le meilleur des cas, lorsque la publication anticipe le départ prochain d’un magistrat, il s’écoule facilement plusieurs mois entre le départ effectif d’un magistrat et son remplacement. Il en résulte que la plupart des cours et tribunaux sont confrontés en permanence à des places vacantes, plus ou moins nombreuses. Il faut réaliser que l’absence, ne serait-ce même que d’un seul magistrat dans une juridiction, a d’énormes incidences sur le fonctionnement de celle-ci. Elle peut entraîner un retard dans le traitement des dossiers et même créer ce qui deviendra de l’arriéré judiciaire.

Le problème, déjà important aujourd’hui, se posera de manière croissante et même cruciale dans les années à venir. Si aucune mesure n’est prise, on peut dresser, par avance, un tableau apocalyptique du fonctionnement de la Justice. Imaginons simplement ce que le départ d’un grand nombre de magistrats provoquera dans les juridictions déjà confrontées à des problèmes d’arriéré important. Imaginons le désordre qu’entraînera, dans l’ensemble des juridictions, le simple effet des mouvements de magistrats en raison des promotions d’un poste vers un autre.

On ne peut se contenter d’attendre passivement que la catastrophe se produise. Il est urgent d’anticiper celle-ci et de prendre dès aujourd’hui des mesures propres à garantir le bon fonctionnement de la justice dans les années à venir. Différentes mesures pourraient probablement être envisagées, à l’image de ce qui se fait dans l’ensemble de la population, pour encourager les magistrats à retarder le moment de leur mise à la retraite : ce n’est pas l’objet du présent article. Une mesure simple suffirait en tout cas à atténuer les conséquences du départ à la retraite. Il suffirait d’anticiper celui-ci, en procédant à la publication de la vacance dès que celle-ci est connue. La mesure permettrait aux autorités de procéder, en toute sérénité, au choix d’un remplaçant, tout en réduisant à peu de chose le délai entre le départ du magistrat et son remplacement. Un tel type de démarche a été mis en œuvre en 2007, lorsqu’il s’est agi de pourvoir au remplacement d‘un grand nombre de chefs de corps. Il a permis d’assurer, dans la plupart des juridictions, une succession sans heurt entre les anciens et nouveaux chefs de corps. Pourquoi ne pas généraliser la solution ?

Mots-clés associés à cet article : Conseil supérieur de la justice, Magistrat, Magistrature,

Votre point de vue

  • Guy LAPORTE
    Guy LAPORTE Le 26 octobre 2010 à 00:03

    Bonjour,
    Après avoir lu cet article, deux choses m’interpellent.
    1°) Le délai très long (9 mois) de remplacement d’un magistrat admis à la pension de retraite : n’y a-t-il par un souci inavoué d’économies budgétaires momentanées dès lors qu’il serait techniquement possible de faire en sorte qu’il n’y ait pas de "vide" entre le départ et l’arrivée du successeur ?
    2°)Comment justifier que le Bâtonnier soit consulté sur la nomination du successeur ? N’y a-t-il pas un risque au niveau de l’indépendance du magistrat successeur ?

    Guy Laporte
    Président honoraire
    de Tribunal administratif (France)

    Répondre à ce message

  • Martin
    Martin Le 22 octobre 2010 à 17:46

    J’aimerais réagir, à la suite de cet article, à la situation de manque criant de personnels au sein de nos cours et tribunaux. Le manque de magistrats (tant du siège que du parquet) n’est pas un problème très nouveaux. Pour pallier ce manque (dû en partie à une crise des vocations, car oui, la magistrature est une vocation),les fonctions de référendaires et de juristes de parquet ont été crées et afin d’être nommé à ces fonctions en tant que statutaire, il faut être lauréat d’une sélection comparative. Un engagement contractuel est également possible à défaut de candidat statutaire. Je ne pense pas me tromper en affirmant que la dernière sélection comparative a été organisée en 2007. Il y a donc 3 ans !

    Depuis lors, des référendaires et des juristes de parquet ont quitté leurs fonctions, notamment à la suite d’une réussite au concours d’admission au stage judiciaire. A-t-on remplacé ces personnes ? Dans certains cas, oui, dans bien d’autres, non. La raison souvent invoquée est le manque d’argent alors que certaines juridictions pleurent pour en avoir car ces personnes constituent une aide devenue indispensable.

    Quand va-t-on réorganiser une sélection comparative pour nos jeunes et moins jeunes attirés par ces fonctions qui peuvent être un tremplin vers la magistature ? Décidément le SPF Justice est bien le parent pauvre de notre Etat et la situation frise le scandale !

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