Comme en attestent certains messages reçus en réaction aux précédents articles et interviews déjà consacrés à la question, la « jurisprudence Salduz » et ses conséquences pour le droit belge suscitent pas mal d’incompréhension voire d’indignation auprès d’une partie de nos lecteurs.

Petite mise au point (complémentaire à tout ce qui a déjà été dit ou écrit sur le sujet) en réponse à ces réactions.

1. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’approuve ou pas, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme s’impose à nous. Or elle précise, en toutes lettres, que des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat ne peuvent être utilisées pour fonder une condamnation, sauf à porter une atteinte irrémédiable aux droits de la défense. Dès lors, confrontée à un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles qui se fondait très explicitement sur de tels aveux faits en l’absence d’un avocat puis ultérieurement rétractés par l’intéressé, la Cour de cassation ne pouvait faire autrement que de casser la condamnation. C’est que qui s’est passé dans l’affaire Borremans, dont il est question dans d’autres articles déjà publiés sur www.justice-en-ligne.be (Damien Holzapfel, « Les suites de l’arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme : nouvelle loi et nouvelles pratiques » ; Laurent Kennes, « Les conséquences de l’arrêt Salduz sur les affaires belges en cours » ). Et, si la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi, l’intéressé aurait très certainement pu obtenir une condamnation de la Belgique à Strasbourg.

2. Au-delà de l’argument d’autorité (« la Cour européenne a décidé, donc on doit s’aligner »), il n’est évidemment pas interdit de s’interroger sur l’opportunité ou le bienfondé de la position arrêtée par les juges de Strasbourg. Et c’est là que les avis divergeront sans doute.
Nous sommes de ceux qui pensent que la présence de l’avocat est une valeur ajoutée, en ce qu’elle permet non seulement d’éviter que des suspects ne soient soumis à contrainte pendant leur audition, mais aussi de garantir que, s’ils font des déclarations, ils le fassent en pleine connaissance de cause des conséquences que celles-ci pourront avoir.
Une justice qui profite de l’ignorance des suspects, en tentant de recueillir leurs aveux avant qu’ils ne soient pleinement informés des conséquences de ceux-ci, peut sans doute apparaître plus efficace. Encore qu’il ne faille pas exagérer cet argument : nombre de systèmes juridiques étrangers admettent, de longue date, la présence de l’avocat au côté du suspect interrogé sans que cela ne paraisse mettre en péril l’efficacité de leur justice pénale. Mais, plus fondamentalement, la dignité d’un Etat démocratique n’est-elle pas précisément de ne pas jouer de la sorte sur la surprise ou la méconnaissance du droit, et de traiter les personnes y compris celles qui sont accusées de faits ignobles en individus responsables qui doivent pouvoir poser des choix de défense de façon éclairée ? N’oublions pas qu’au nombre de ces suspects, il en est parfois aussi qui sont innocents des faits dont on les accuse et que les garanties de la procédure pénale sont, à ce titre, aussi destinées à protéger les « honnêtes gens »…

Votre point de vue

  • Patrick H.
    Patrick H. Le 26 juillet 2011 à 09:36

    Si la présence de l’avocat durant la phase préliminaire est inévitable au point de la faire passer du statut de phase inquisitoire à celle d’accusatoire, il convient de remettre en cause non pas leur présence mais celle du juge d’instruction.

    En effet, la présence de l’avocat vide de son sens en grande partie l’utilité du juge d’instruction. A comparer sur un plan d’égalité, l’avocat n’est autre que la partie qui travaille à décharge, tandis que le procureur du Roi poursuit le suspect (il travaille à charge sous le respect de la présomption d’innocence bien évidemment). Or, dans les cas les plus graves (crime), c’est le juge d’instruction qui sera saisi. Il y a quelques années déjà on a retiré à ce juge d’instruction la qualité d’OPJ, et on l’a soustrait du pilier du ministère publique pour lui garantir un travail indépendant. Une garantie d’indépendance par un travail à charge et à décharge du suspect. Le juge d’instruction à l’obligation de travailler également pour l’accusé et donc prend en quelque sorte le rôle de la défense comme le ferait un avocat pour son client.

    Conclusion, si l’avocat est obligatoire durant toutes les phases du procès-pénal, nous devons remettre en cause la légitimité des pouvoirs du juge d’instruction. Le procureur du Roi pourrait s’attribuer les pouvoirs du juge d’instruction tandis que ce dernier ne fera plus qu’office de juge de forme pour le maintien ou non en détention préventive sur réquisition du procureur et plaidoirie de l’avocat.

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  • Patrick H.
    Patrick H. Le 2 juillet 2011 à 14:23

    Indépendamment de toute prise de position ou de considération, il semble qu’il faille appliquer le régime selon lequel l’avocat (que ce soit devant la police ou le juge d’instruction) puisse prendre connaissance du contenu du dossier.

    Si dans une grande partie cela ne devrait pas trop poser de problème quant à l’écoulement du délais de privation de liberté (éventuellement prorogé de 24h ou interrompu le temps de l’arrivée de l’avocat) quid de la consultation du dossier par l’avocat ?

    En effet, dans certaines enquêtes très complexes (par ex. escroquerie financière) d’innombrables procès-verbaux sont rédigés à l’issue desquels, parfois au bout de 1 an d’enquête, des arrestations ont lieu ou des mandats d’arrêt sont décernés. Il semble logique que dans ce cas de figure, l’avocat n’ait pas le temps nécessaire en 1/4 d’heure ou même 2h avant le début de l’audition de prendre connaissance de l’ensemble du dossier. Qu’en est-il de ces cas de figure ?

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  • Martin
    Martin Le 14 mars 2011 à 15:04

    Les bureaucrates strasbourgeois ont beau jeu de dire que telle ou telle procédure ne respecte les droits de l’Homme et en particulier l’article 6 CEDH tel qu’il est interprété par eux mais que proposent-ils sur le terrain ? Rien, strictement rien.

    Dès que ces bonzes ont pris leur décision, ce sont les Etats qui doivent ce débrouiller pour faire leur faire plaisir. Cette juridiction tend à l’américanisation des différents droits de la procédure inhérents aux Etats membres du Conseil de l’Europe sans se soucier des éventuelles répercution internes.

    Pourtant, si on analyse les garanties présentes en droit belge, il est à mon avis incontestable qu’elles étaient suffisamment présentes pour garantir le droit au procès équitable.

    (Un ancien étudiant de votre cours de questions approfondies de procédure pénale)

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  • greg
    greg Le 11 mars 2011 à 14:56

    Pas convaincu que la grandeur des droits de l’homme nous permettra de continuer à poursuivre efficacement la criminalité.
    C’est bien beau la philo du droit, mais en pratique, c’est peanut.

    Et entre nous, cessons de nous préoccuper constamment des délinquants et de leurs droits, et centrons-nous un peu plus sur les victimes !

    Je lisais encore avec effroi un article sur le délai raisonnable, et le fait que c’est la partie civile qui, dans le système tel qu’il existe actuellement, devrait supporter l’indemnité de procédure si elle a initié l’action publique !!!!

    Au delà du fait que "le juge pourra accorder le minimum", et que "elle pourra se retourner contre l’Etat", quelle gifle, une fois de plus !!!

    C’est Habran, Taxquet et les autres qui doivent se frotter les mains qu’on soigne les intérêts des accusés avec autant de minutie.

    Les autres n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. Scandaleux.

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