La création du tribunal de la famille et de la jeunesse n’est pas coûteuse

par Alain-Charles Van Gysel - 2 mai 2012

Voici de très nombreuses années qu’il est question de la création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse en Belgique, qui grouperait les contentieux actuellement éparpillés entre plusieurs juridictions. Justice-en-ligne y a d’ailleurs consacré deux articles (cliquer ici et ici)

Mais, après l’adoption d’un projet de loi en ce sens par la Chambre des représentants, les travaux au Sénat n’avancent guère, malgré un consensus de fond sur l’opportunité de cette réforme.

Il semble que la ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, craigne une explosion des coûts que tout cela entraînerait.

Qu’en est-il ?

Voici le point de vue d’Alain-Charles Van Gysel, professeur à l’U.L.B. et directeur du Centre de droit privé de la même Université. Précisons que c’est l’Unité de droit familial de ce centre de recherche qui est à l’origine du texte actuellement en discussion au Parlement, le projet de loi ayant été mis au point conjointement par cette unité et l’Ordre des barreaux francophones et germanophones (O.B.F.G.).

1. Le projet de création du tribunal de la famille et de la jeunesse, voté à la Chambre et actuellement en discussion au Sénat, a essentiellement pour buts :

 de regrouper les compétences judiciaires en matière familiales, actuellement éclatées entre quatre juges principaux (juge de paix, tribunal de première instance, président de ce tribunal, juge de la jeunesse), afin notamment de limiter le nombre d’instances différentes sur des objets similaires ;

 d’uniformiser les règles de procédure en matière familiale, actuellement très diverses : ainsi, le mineur est obligatoirement entendu à partir de douze ans devant le juge de la jeunesse, mais pas devant les autres juridictions qui statuent sur son hébergement, le parquet est absent de la justice de paix alors qu’il protège les incapables dans les autres tribunaux, etc.

Un tel regroupement a été opéré depuis longtemps dans la plupart des pays européens (juge aux affaires familiales en France, Familiengericht en Allemagne, etc.) : il s’agit donc d’un vaste mouvement d’idées dans lequel la Belgique tarde à s’inscrire.

Des expériences de synergies sont certes déjà actuellement menées (notamment au tribunal de première instance de Bruxelles), visant à faire siéger le même magistrat dans plusieurs « rôles » de droit familial (tribunal, présidence, jeunesse).

Elles sont encourageantes, mais elles ne peuvent porter leur plein effet, les règles judiciaires légales actuelles formant obstacle.
La présente note tend à démontrer que la réforme en cours n’est pas coûteuse et permettra, au contraire, à l’Etat et aux citoyens de réaliser, à terme, des économies structurelles.

La réforme n’est pas couteuse

2. La raison fondamentale pour laquelle la réforme envisagée n’est pas coûteuse est qu’il s’agit essentiellement d’une réorganisation des services judiciaires existants, et non de la création de nouveaux organes qui s’ajouteraient aux services déjà mis en œuvre.

En effet, il est évident que les litiges familiaux existent déjà – il s’agit
d’ailleurs là d’une part importante, sans doute plus d’un tiers de toutes les affaires traitées par la justice belge et ils sont donc déjà traités par les tribunaux, qui y consacrent des moyens humains (juges, membres du parquet, greffiers) et matériels (salles d’audience, correspondance, etc.) considérables.

Seulement, ces moyens sont actuellement dispersés entre divers tribunaux (Juge de paix, Tribunal de première instance, Président de ce tribunal, Juge de la jeunesse), qui traitent parfois -notamment dans les petits ressorts- ces affaires parmi d’autres (ainsi, un Juge de paix peut traiter au cours d’une même audience des litiges familiaux et des problèmes de baux).

Il s’ensuit des déperditions de compétences on ne peut pas être spécialisé dans tous les domaines du droit ; or le juge de paix passe actuellement du bail aux conflits entre époux, en passant notamment par les crédits à la consommation et de moyens un même litige factuel qui concerne une même famille peut ainsi passer du juge de paix au président du tribunal, puis au juge de la jeunesse, avec chaque fois constitution d’un nouveau dossier, convocations, audition des enfants, audience, jugement, etc.).

3. De plus, pour le citoyen-justiciable, le coût financier (frais d’avocat et de justice) et humain (attente, stress, exaspérations des conflits entre personnes, déperdition du lien parental) de cette dispersion est très important.

Pour les personnes à faibles revenus, la multiplication des procédures coûte encore indirectement à l’Etat, puisque les avocats « pro deo » sont rémunérés par lui via le bureau d’aide juridique.

4. En regroupant les compétences familiales au sein d’un tribunal de la famille (et en compensant le transfert de compétence des Juges de paix par un relèvement à 3.000 € de leur compétence générale pour les litiges non-familiaux), on ne crée pas plus d’affaires familiales qu’il y en a déjà, bien au contraire (voir ci-dessous, les points 8 à 14, dans la seconde partie de la présente note).

Il ne faut donc pas plus de juges, substituts, greffiers, etc., pour les juger, et il ne faut donc pas non plus construire de nouveaux bâtiments pour les abriter.

Bien entendu, il n’en faut du moins dans un premier temps pas moins non plus et il y aura donc lieu d’affecter au tribunal de la famille un nombre de magistrats et fonctionnaires qui soit, au sein de chaque tribunal de première instance, en rapport avec le nombre d’affaires familiales jugées par ledit tribunal.

Les magistrats du tribunal de la famille devront, il est vrai, être spécialement formés, mais, outre que la spécialisation des juges augmente naturellement leur compétence dans le secteur qui leur est dévolu, le SPF Justice assure déjà la formation continue des magistrats, via l’Institut de formation judiciaire (IGO-IFJ).

5. Il n’y a donc pas là non plus une source de dépense nouvelle.
On ne déplace même pas géographiquement les personnes qui vont composer le nouveau tribunal, puisqu’ils siègent déjà pour ces affaires familiales dans le chef-lieu du ressort où ils ont été nommés.
Simplement, ces juges, autres magistrats et greffiers, qui aujourd’hui exercent leurs fonctions dans des entités différentes au sein d’un même arrondissement judiciaire, seront regroupés dans une même structure, le tribunal de la famille.

6. Sans doute, des déménagements internes au sein des bâtiments judiciaires devront-ils intervenir, ainsi que la création de documents (lettres-types de convocation, d’information sur le règlement amiable des litiges, sur les recours, etc.) et de fichiers informatiques (rôle d’audience du tribunal de la famille), mais c’est réellement le seul coût de la réforme.
Il est très mince, on le voit, et il est incomparable aux avantages que l’Etat et les justiciables tireront de la réforme, en termes d’administration d’une bonne justice, c’est-à-dire d’abord une justice cohérente.

7. En mettant els choses au pire, en termes économiques, la réforme proposée sera une opération blanche, neutre au regard du coût général de la Justice.

La reforme permettra des économies structurelles

8. En réalité, la création d’un Tribunal de la Famille va permettre, à moyen terme, d’opérer des économies structurelles sur le coût de la Justice en Belgique.

9. En effet, dans la situation actuelle, un même litige la séparation d’un couple marié avec enfants peut entrainer la séquence suivante :
 juge de paix (mesures provisoires basées sur l’article 223 du Code civil) ;
 appel de ces mesures devant le tribunal de première instance ;
 introduction du divorce devant le tribunal de première instance, et demande d’autres mesures provisoires (sur les mêmes questions, et entre les mêmes personnes) devant le président du même tribunal ;
 éventuellement, appel de ces mesures provisoires devant la Cour d’appel
 une fois le divorce prononcé, possibilité de demander la liquidation-partage de la communauté au tribunal de première instance, une pension après divorce au juge de paix, la modification de l’hébergement au juge de la jeunesse, avec les recours éventuels contre ces décisions.

10. Le tout, avec constitution d’un dossier nouveau à chaque fois par le greffe et par conséquent nouvelle convocation par le greffe, audition nouvelle des enfants ou nouvelles expertises, élaboration de conclusions et plaidoiries par les avocats, audience mobilisant juge, greffier et parfois substitut du parquet, ainsi que les parties en personne (et perte pour eux et pour l’employeur d’une demi-journée de travail), jugement ensuite notifié par le greffe, éventuellement signifié puis exécuté par voie d’huissier, etc.

11. Sans compter le temps perdu pour les acteurs du monde judiciaire et les citoyens dans ces instances multipliées, ou encore les pertes de temps et de frais lorsque, une des parties s’étant fourvoyées dans le dédale actuel des compétences familiales, le dossier doit être renvoyé d’un tribunal à un autre...

12. Dans l’avenir, il n’y aura plus qu’un dossier par famille, et, par conséquent, cette démultiplication des instances judiciaires sera réduite à une seule instruction de la cause, avec les mesures d’investigation appropriées, et un seul recours (sauf, bien entendu, la possibilité d’une révision en cas d’éléments nouveaux, mais il faudra alors en prouver la « nouveauté » au juge qui sera déjà bien au courant des éléments « anciens »).

13. De plus, on peut espérer que la création de chambres de règlement à l’amiable au sein du tribunal de la famille réduira aussi le nombre d’affaires qui devront réellement être plaidée (a fortiori, il n’y aura pas recours contre ces décisions).

14. Cette réduction des instances économisera un coût considérable de fonctionnement de la Justice, tant à l’Etat qu’aux citoyens.
Certes, cette économie ne sera pas instantanée, ni évidente, puisqu’elle consistera en l’absence d’instances.

Elle n’en sera pas moins réelle, et l’on ne peut la négliger dans une perspective à moyen terme, qui doit être celle de tout gestionnaire des organes et des deniers publics.

Votre point de vue

  • aïeuta Padré
    aïeuta Padré Le 26 mai 2013 à 19:52

    Les associations de pères, qui ont revendiqué un tribunal de la famille depuis 1988, n’ont pas participés aux débats. Le secrétaire d’Etat Melchior Wathelet a pris la peine d’éliminer la parole de ces associations et de rayer les états majors de réflexion sur la famille. C’est une manière politicienne de porter de porter son propre projet et de dérouter la revendication de son sens...

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  • Collectif LVDP
    Collectif LVDP Le 22 mai 2013 à 10:12

    Comment le ’’Tribunal de la Famille’’ pourra-t-il éviter d’expulser un père de famille... de son foyer... sans s’inquiéter du bien-fondé des accusations de l’épouse ?... ni du désarroi des jeunes enfants privés d’un père attentionné ? En 2007, dans nos Sociétés occidentales, y compris le Canada, nous avions dénombré plus de 2 millions de Sites et de Blogues... rien que de papas... broyés par cette justice familialiste... et rien ne s’améliore ! Pourtant nous avons des propositions concrètes, efficaces,... mais les élus politiques ne veulent pas nous écouter...
    Des millions d’enfants sont privés de pères, sans repères... et 80 % des adolescents délinquants sont privés de pères ! Ils souffrent sans le dire... C’est aussi une violence intolérable !

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  • Collectif LVDP
    Collectif LVDP Le 22 mai 2013 à 10:10

    Que fera de mieux un ’’Tribunal de la Famille’’ en Belgique, alors qu’ailleurs, existant depuis plusieurs années, il y a tant de papas qui se suicident, tous les jours, en sortant des Cours des Palais de justice... tant ils sont violés de leurs droits fondamentaux et spoliés de leurs enfants et de leurs patrimoines !?!
    Comment allez-vous réagir, trancher, appliquer vos lois... quand on sait que des moyens pervers sont utilisés tels que ces fausses accusations de violence conjugales et d’abus sur les enfants... pour pouvoir gagner leurs divorces... ou leurs séparations... en trompant les juges avec la complicité de leurs avocats menteurs !

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 6 mai 2012 à 15:35

    Je pense que le regroupement des compétences est préférable à sa dispersion. La simplification, à condition de prendre réellement en compte tous les aspects humains, devrait permettre le bon fonctionnement de ce tribunal de la famille et de la jeunesse et ce sans coût démesuré supplémentaire. Comme toujours, il faut mettre "la bonne personne à la bonne place au bon moment". La famille et la jeunesse restent des piliers de notre société. De la bonne justice rendue dépend la vie du citoyen-justiciable. J’ai eu la chance de connaître le juge de la jeunesse, Me J. Kennes. J’ai gardé et je garde encore l’excellent souvenir de discussions, d’échanges mais surtout de conseils judicieux de la part de "mon juge".

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