L’affaire du Prestige ou les limites des règles de la responsabilité civile en matière d’indemnisation du dommage écologique

par Bérénice Fosséprez - 15 janvier 2014

Le 13 novembre 2013, le verdict tombait dans l’affaire du Prestige, du nom de ce pétrolier qui, victime d’une déchirure de la coque à la suite d’une tempête, avait fait naufrage, onze ans plus tôt, au large de la Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne. Le capitaine, le chef machiniste de ce navire et le directeur général de la marine marchande de l’Espagne ont été acquittés des principales accusations pesant contre eux, portant sur leur responsabilité d’avoir causé la terrible marée noire ayant suivi ce naufrage.

Ce jugement a suscité l’incompréhension de l’opinion publique.

Sur la seule base des échos reçus dans la presse et donc sous les réserves qu’appelle le fait que le texte du jugement n’a pu être lu par l’auteur, Bérénice Fosséprez, avocate au barreau de Bruxelles, assistante aux Facultés universitaires Notre Dame de la paix de Namur, revient sur cette affaire et rappelle que, même dans ce type de dossier, le juge doit respecter les règles de droit, spécialement celles qui, en droit pénal ou en droit de la responsabilité, ne permettent une condamnation que si les actes ou abstentions reprochés peuvent être imputés à la personne poursuivie. Mais elle se demande si, dans ce type de matière, ce ne devrait pas être une responsabilité sans faute qui devrait être instaurée.

1. Rappelons les faits. Le Prestige, victime d’une déchirure de la coque à la suite d’une tempête, a fait naufrage en 2002 au large de la Galice ; au cours des opérations de remorquage ordonnées par les autorités espagnoles afin d’éloigner le navire Prestige des côtes de Galice, en Espagne, la brèche de la coque s’est aggravée lors d’une tempête et le navire s’est brisé en deux, provoquant une importante marée noire qui a souillé les côtes espagnoles, françaises et portugaises.

2. Après dix années d’une instruction longue et complexe, le procès s’est ouvert le 16 octobre 2012 devant le Tribunal supérieur de la Galice avec, au rang des prévenus, le capitaine du Prestige, le chef mécanicien et le directeur général de la marine marchande de l’Espagne de l’époque tandis qu’un quatrième prévenu, l’officier en second, est en fuite.

Le Tribunal a acquitté les prévenus des préventions d’atteintes aux ressources naturelles et à l’environnement au motif qu’il n’existait aucune certitude sur les causes de l’avarie, ni sur le fait qu’éloigner le navire des côtes ait été une décision imprudente.

En effet, les experts ont identifié, parmi les causes possibles du naufrage, la collision avec un objet flottant entre deux eaux, une vague scélérate ou encore la corrosion des ballasts. Ils étaient également divisés sur le bien-fondé de la décision prise par le directeur de la marine marchande espagnole d’éloigner le bateau des côtes plutôt que de l’amener dans un port pour y contenir la fuite.

Dans sa sentence, le président du Tribunal considère que la cause de la catastrophe est l’état de déficience et de mauvaise maintenance du navire, un cargo à simple coque vieux de 26 ans. Il n’est pas prouvé, dit le juge, que le capitaine et le chef machiniste étaient conscients de la dangerosité du bateau. Les inspections de contrôle de celui-ci ont été insuffisantes, dit aussi le juge, qui s’en prend notamment à la société qui a délivré le certificat de navigabilité, acte motivé par des buts de lucre. Par ailleurs, la décision du directeur de la marine marchande espagnole d’éloigner le navire de la côte plutôt que de l’amener au plus tôt dans un port et réduire ainsi la fuite peut certes se discuter mais le juge relève que même les experts sont divisés sur ce point. Le capitaine est condamné à neuf mois de prison pour un délit mineur, un refus de remorquage à un moment donné de la crise mais qui n’a pas influencé son issue fatale.

Au total, les trois accusés sont dons acquittés d’avoir provoqué la marée noire, cette atteinte catastrophique à l’environnement. Le jugement déclare que c’est l’assureur qui devra prendre en charge l’indemnisation des dommages causés par le naufrage du Prestige.

3. Cette décision pose la question des limites de la responsabilité civile comme outil d’indemnisation des atteintes à l’environnement. En effet, la reconnaissance d’une responsabilité engendrant une obligation de réparation du dommage nécessite la démonstration d’une faute, laquelle peut résulter soit de la violation d’une norme prédéterminée, soit de la violation du devoir général de prudence.

En l’absence d’infractions constitutives d’atteintes à l’environnement, le Tribunal n’a pas accordé d’indemnisation pour les dégâts causés à l’environnement alors les États espagnols et français réclamaient près de quatre milliards d’euros.

Le caractère délicat du débat qui entoure la reconnaissance d’une faute en l’absence, comme en l’espèce, de certitudes quant à la cause du naufrage permet de se demander si la reconnaissance, en ce domaine, d’une responsabilité objective ou sans faute ne représenterait pas un progrès.

Dans la mesure où elle permettrait de faire l’économie d’un tel débat, pareille responsabilité devrait permettre d’assurer une protection efficace de l’environnement.

Au vu de l’importance du dommage et de la nécessité de trouver un responsable pour en assurer la réparation, les conventions internationales assurant l’indemnisation des dommages de pollution marine étant plafonnées, les États français et espagnol ont décidé de se pourvoir en cassation à l’encontre du jugement d’acquittement prononcé par le Tribunal supérieur de la Galice.

4. L’affaire du Prestige a également suscité des questions en lien avec les droits fondamentaux. En effet, dans le cadre des poursuites pénales diligentées à son encontre, le capitaine avait été placé en détention provisoire avec possibilité de libération sous condition de versement d’une caution de trois millions d’euros. Appelée à se prononcer sur ce montant – jugé disproportionné par l’intéressé au regard de sa situation personnelle –, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans un arrêt Mangouras c. Espagne du 28 septembre 2010, estimé qu’il n’y avait pas de violation du droit à la liberté et à la sûreté inscrit à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a, de la sorte, reconnu la nécessité de s’adapter à la particularité des délits de pollution maritime.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 10 janvier 2014 à 09:25

    Je trouve qu’il faut dissocier 2 choses : d’une part la responsabilité éventuelle
    d’un ou de plusieurs membres de l’équipage qui auraient pris de mauvaises décisions ayant entraînés des dommages écologiques, pour lesquels les gouvernements concernés réclament l’indemnisation des dommages.
    S’il y a faute, il est normal que le ou les coupables de négligences ou de fautes, puissent être sanctionnés.
    Par contre, l’indemnisation des dommages doit être à charge des compagnies d’assurance. En efffet, si l’indemnisation des dommmages causés par exemple par
    une violente tempête, devaient être payés par les marins, je pense que les bateaux ne navigueront plus, par manque d’équipage !!!

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