En Belgique, il existe de longue date une pratique en vertu de laquelle des magistrats du parquet, et non fort heureusement des juges, sont détachés temporairement dans des cabinets ministériels et, plus précisément, dans celui du ministre de la Justice. Est-ce opportun ?

Les conclusions de l’enquête parlementaire sur une éventuelle violation de la séparation des pouvoirs dans l’affaire Fortis ne sont pas connues à l’heure où cet article est rédigé. Peut-être contiendront-elles des considérations utiles à la poursuite du débat. Mais à ce jour, deux thèses sont en présence et la seconde a nos faveurs depuis longtemps.

Pour défendre le système, on peut avancer deux arguments.

D’une part, la pratique actuelle permet à des magistrats de se sensibiliser à des aspects subtils de la délibération politique et à l’identification de ses enjeux. Les magistrats détachés apprennent le sens des médiations et des concertations dans de multiples domaines. C’est une bonne chose. Cela élargit leur vision du monde. Il serait regrettable que le parquet exerce sa mission dans l’ignorance de certaines difficultés : celle, par exemple, de définir l’intérêt général lorsque des revendications légitimes mais contradictoires se sont exprimées ; ou encore celle d’assumer un arbitrage politique dans des matières complexes ou des situations de crise.

D’autre part, la participation de magistrats du parquet, dit-on, permet d’informer le ministre sur les avantages ou les complications que des réformes amèneraient.
Pour soutenir la thèse inverse, six considérations.

1. L’expérience des magistrats du parquet concerne essentiellement la matière pénale, soit une part minoritaire du contentieux judiciaire. Au surplus, le magistrat détaché ne peut prétendre représenter son institution, et moins encore la magistrature tout entière. Et il existe désormais des formes de concertation plus utiles entre le politique et le judiciaire, via l’audition au Parlement de magistrats spécialisés dans certaines matières ou les prises de position d’assemblées, de conférences ou d’associations de magistrats.

2. L’étiquetage. C’est un fait, le recrutement dans les cabinets se fait en fonction d’une appartenance réelle ou supposée à un parti politique. Elle accompagnera le magistrat concerné tout au long de sa carrière. Si l’on pouvait encore plus ou moins s’en accommoder lorsque les nominations des magistrats se faisaient selon leur « couleur », elle est désormais en contradiction avec la dépolitisation acquise de haute lutte par les magistrats eux-mêmes, avec l’instauration du Conseil supérieur de la justice. On ne peut dès lors plus se satisfaire d’une coutume qui maintient en coulisse des allégeances dont on a fait admettre l’incongruité.

3. L’impartialité des poursuites. En règle, le parquet apprécie l’opportunité des poursuites. S’il doit motiver le classement d’un dossier, il n’est pas tenu d’entendre les parties. Un pouvoir discrétionnaire aussi considérable que celui de poursuivre ou de classer doit s’exercer dans un climat de confiance, sans jamais induire chez les citoyens la suspicion que des considérations partisanes ont dicté le renvoi devant un tribunal ou le classement d’une affaire. A fortiori dans des affaires politiquement sensibles.

4. La fragilisation des magistrats. N’est-il pas raisonnable de penser que, dans une affaire sensible, un magistrat du parquet sera moins facilement « approché » par un cabinet s’il n’a jamais lui-même dans le passé appartenu à un autre cabinet de la même tendance ?

5. L’appartenance à la « famille » judiciaire. Il existe une controverse qui peut être résumée sommairement comme suit. Au début de l’histoire de la Belgique, les procureurs généraux ont admis dans des textes célèbres leur appartenance au pouvoir exécutif. Au milieu du XXe siècle, leur discours s’est infléchi, puis radicalisé : le ministère public ferait partie du pouvoir judiciaire. Les constitutionnalistes sont généralement plus nuancés. Mais il est clair que la thèse d’une appartenance absolue du parquet au pouvoir judiciaire est en porte à faux avec la participation de certains de ses membres à des équipes ministérielles.

6. Dernière considération : la qualité des personnes qui ont fait l’expérience de la vie de cabinet n’est pas en cause. Elle serait même une raison supplémentaire de déplorer la pratique dénoncée puisque c’est souvent parmi les meilleurs des magistrats que les ministres ont la détestable habitude de choisir leurs collaborateurs !

Votre point de vue

  • Martin
    Martin Le 24 mars 2009 à 22:18

    Quant à la première considération, il faut tout de même signaler que même si l’expérience des magistrats de parquet concerne essentiellement le contentieux pénal, ceux-ci peuvent égalemement intervenir sur le plan civil dans les affaires dites "communicables" et plus particulièrement dans une partie du contentieux familial. Leur expérience est également appréciable au niveau du contentieux relevant du tribunal de commerce. Par contre je me m’interroge sur la participation de magistrats près l’auditorat du travail dans des cabinets. Il me semble que leur expérience est appréciable au sein du SPF sécurité sociale. Elle le serait à mon avis moins au sein du SPF Justice.

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