À quoi servent les avocats à la Cour de cassation ? Pourquoi ont-ils, sauf exceptions, un monopole devant la Cour de cassation ?

par Simone Nudelholc - 3 septembre 2015

Qui n’a jamais entendu parler de la Cour de cassation ? Elle peut être saisie de recours contre des jugements et des arrêts mais sans pouvoir tout rejuger.

Sauf dans certaines matières (notamment contre les décisions pénales), seuls les vingt avocats portant le titre d’« avocats à la Cour de cassation » peuvent introduire ces recours, appelés « pourvois ».

Tout cela mérite quelques mots d’explication, qui vont au-delà de ce que les fiches consacrées à cette Cour et à ces avocats par le lexique de Justice-en-ligne exposent déjà.

Simone Nudelholc, elle-même avocat à la Cour de cassation et professeur à l’Université libre de Bruxelles, nous précise tout cela.

1. La Constitution belge prévoit qu’il y a pour toute la Belgique une Cour de cassation et ajoute de manière un peu mystérieuse que celle-ci « ne connaît pas du fond des affaires ».

Cette formule signifie que les juges qui statuent en degré d’appel ont le dernier mot quand il s’agit de déterminer les circonstances concrètes qui sont à l’origine du procès. Le recours en cassation, habituellement nommé « pourvoi en cassation », ne peut pas remettre en question ce qui a été jugé par une cour d’appel quant à ces points de fait.

Des questions de fait sont par exemple les suivantes :

 dans les circonstances concrètes de l’accident, il était impossible au conducteur d’éviter l’obstacle surgi en travers de sa route ;
 au moment de la signature du contrat de vente, l’acheteur a été induit en erreur par les informations erronées reçues du vendeur ;
 avant l’opération, le chirurgien ou l’anesthésiste avaient été informés de l’intolérance du patient à tel produit.

La Cour de cassation n’a pas le pouvoir de juger à nouveau de telles questions.

2. La mission particulière de la Cour de cassation consiste principalement à réprimer les erreurs commises par les autres juges dans l’interprétation de la loi. Contrairement aux questions de fait mentionnées au paragraphe précédent, il s’agit de « questions de droit ».

Lorsqu’elle casse (cela veut dire « annule ») l’arrêt d’une cour d’appel pour violation de la loi, la Cour de cassation n’a pas seulement en vue la défense des intérêts particuliers de la partie qui a introduit le recours. Instituée dans l’intérêt général des citoyens, elle s’efforce d’assurer l’interprétation uniforme de la loi par toutes les juridictions du pays. L’égalité entre les citoyens suppose en effet que la loi soit interprétée et appliquée de la même manière par tous les juges.

3. La Cour de cassation ne pourrait remplir sa mission si elle était submergée par un flot de pourvois irréfléchis, n’invoquant aucun argument valable. Le législateur a dès lors organisé une procédure particulière de « filtrage » afin d’écarter les pourvois fantaisistes, abusifs ou manifestement dénués de fondement.

Le filtre choisi par le législateur belge consiste à confier à un barreau spécifique, composé d’un nombre limité d’avocats nommés à cette fonction par le Roi (sous la responsabilité du ministre de la Justice), le monopole de l’introduction des pourvois dans les matières civile et disciplinaire. Les membres de ce barreau, aujourd’hui au nombre de vingt, portent le titre d’avocats à la Cour de cassation.

4. Sauf en cas d’urgence, l’avocat à la Cour de cassation n’introduit pas de pourvoi sans avoir donné au préalable un avis écrit détaillé sur les chances de succès de ce recours. Il doit déconseiller avec fermeté les recours qui n’ont pas ou peu de chance d’aboutir. Si le client l’exige, l’avocat à la Cour de cassation doit néanmoins signer le pourvoi en indiquant qu’il agit « sur réquisition ». Les pourvois sur réquisitions sont fort rares et presque toujours rejetés par la Cour de cassation.

5. Ceux qui ne disposent pas des revenus nécessaires pour faire face aux frais de la procédure en cassation peuvent obtenir le bénéfice de l’assistance judiciaire, qui inclut l’intervention gratuite d’un avocat à la Cour de cassation.

6. Se fondant notamment sur la possibilité d’obtenir une telle assistance, la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation elle-même ont décidé que l’obligation de recourir à un avocat à la Cour de cassation pour introduire un pourvoi dans les matières civile et disciplinaire est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme et plus particulièrement au droit au procès équitable prévu par cette convention.

L’intervention obligatoire d’avocats spécialisés dans les procédures introduites devant les juridictions supérieures est expressément autorisée par une directive européenne.

7. Les avocats à la Cour de cassation n’ont pas de monopole pour l’introduction des pourvois en matière pénale. Afin de combattre l’engorgement des chambres pénales de la Cour de cassation, menacées de paralysie par un nombre excessif de recours mal fondés, les déclarations de pourvois et les mémoires en cassation en matière pénale devront, à dater du mois de février 2016, être signés soit par un avocat à la Cour de cassation, soit par un avocat ayant suivi une formation spécialisée.

Votre point de vue

  • FrankP
    FrankP Le 4 septembre 2015 à 12:15

    Il me semble anormal qu’un citoyen ne puisse lui-même aller en cassation et plaider sa cause... SANS passer par un avocat... Tous ceux qui ne correspondent pas aux critères de désignation d’un avocat "gratuit" n’ont pas nécessairement les moyens de débourses des milliers d’euros pour payer un avocat.. Là est LE problème actuel de la justice qui pénalise fortement la "classe moyenne" des citoyens !

    • Le 6 janvier 2016 à 21:21

      Et oui moi et mes parents avons été condamnés à payer une forte somme d’argent par erreur de justice et ne pouvons nous permettre de ce fait d’aller en cassation (coût 4000 € minimum) et donc voilà comment on vous faire vendre vos biens, le fonctionnement du système judiciaire de ce pays est un scandale !

    • Maxim
      Maxim Le 7 décembre 2017 à 12:15

      En effet c’est scandaleux qu’il y ait le "filtre" (monopole) des avocats de cassation (une vingtaine) et le coût d’un pourvoi soit si excessif (4000-6000 € ). De plus en lisant certains arrêt il semble que le "filtre" ne marche pas trop...

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 6 septembre 2015 à 15:39

    D’accord avec FranckP. La Justice actuelle est non seulement horriblement lente
    mais de plus elle est trop onéreuse, telle que la TVA de 21 % sur les honoraires
    d’avocats. Un comble quand on sait qu’une société pourra déduire cette TVA mais
    qu’un particulier en est incapable !
    Il n’y a plus beaucoup de Justice dans ce pays !

    • Gisèle Tordoir
      Gisèle Tordoir Le 7 septembre 2015 à 09:36

      Entendu lors d’une réplique dans un film "La justice, c’est comme le grand amour ; ça n’existe pas vraiment."(sic).

    • Chris
      Chris Le 11 juillet 2016 à 00:35

      100% d’accord, cette TVA est une vraie organisation de justice à 2 vitesses

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  • Georges-Pierre Tonnelier
    Georges-Pierre Tonnelier Le 7 septembre 2015 à 13:47

    En effet, la question de l’accessibilité de la Justice à chaque citoyen est cruciale de nos jours.

    L’aide juridique ne concerne qu’une portion infime de la population, en raison du caractère ridiculement bas des plafonds d’admissibilité.

    De ce fait, un grand nombre de personnes, dont les revenus se situent au-dessus de ce plafond ridicule, ne peuvent bénéficier de l’aide de l’État mais n’ont, néanmoins, pas suffisamment de revenus pour pouvoir payer les honoraires d’un avocat, que l’État vient d’augmenter de 21% (TVA) pour les justiciables non-assujettis à cette taxe (donc, le citoyen lamba, Monsieur et Madame tout-le-monde). Il s’agit de la "classe moyenne" dont vous parlez, FrankP.

    Un mouvement citoyen devrait vraiment voir le jour afin d’interpeller le monde politique.

    Georges-Pierre Tonnelier, Juriste

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 5 septembre 2015 à 13:06

    Lu en 3. "La Cour de cassation ne pourrait remplir sa mission si elle était submergée par un flot de pourvois irréfléchis, n’invoquant aucun argument valable. Le législateur a dès lors organisé une procédure particulière de « filtrage » afin d’écarter les pourvois fantaisistes, abusifs ou manifestement dénués de fondement." A quoi sert le droit de recours à la cassation si, après le "filtrage" effectué, malgré le fait que la demande soit reconnue recevable (donc pas "irréfléchie ni sans argument valable"), il n’est pas possible d’obtenir, pour des raisons évidentes de collusion, partialité, absence d’indépendance et d’équité, le dessaisissement de la cour d’un arrondissement au profit d’un autre arrondissement où l’on peut juste espérer qu’il n’y ait pas que des "copains" mais bien un, des juge(s) indépendant(s) et intègre(s) ? De plus, comme le soulève l’intervenant FrankP, pourquoi devoir passer par un avocat pour défendre ses intérêts et plaider sa cause ?

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