L’ombudsman et le Conseil d’Etat se marient !

par David Renders - 28 avril 2014

Justice-en-ligne a consacré plusieurs articles à la réforme du Conseil d’Etat mais il est peut-être un aspect qui mérite d’être mis en lumière : c’est la meilleure articulation assurée dorénavant entre la médiation et un éventuel recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État.

David Renders, professeur à l’Université catholique de Louvain et avocat au barreau de Bruxelles, nous l’explique.

1. Les années nonante consacrent la glasnost de l’action administrative en Belgique.

C’est le temps du droit à la motivation formelle des actes administratifs unilatéraux de portée individuelle, qui impose désormais que la justification de telles décisions soit exposée, de façon adéquate, en leur corps.
C’est la naissance de l’accès aux documents administratifs, au bénéfice duquel chacun peut obtenir toute information détenue par l’administration, mais aussi toute explication utile pour en comprendre le contenu, voire — si le document s’y prête — d’en recevoir une copie.

C’est encore — à la faveur d’un souffle scandinave long de deux siècles — l’émergence d’ombudsmans aux quatre coins du pays, qui offrent d’être saisis par tout qui viendrait à se plaindre d’un acte ou d’un comportement de l’administration et qui, mezza voce, cherchent à faire corriger la « mal-administration » dénoncée aux moyens d’une diplomatie institutionnelle à l’image d’un « monsieur bons offices ».

2. Il faut louer l’existence des médiateurs institutionnels en Belgique.
Leur saisine est d’une particulière simplicité et la gratuité est de mise sur toute la ligne, y compris téléphonique, grâce au numéro vert offert par l’expert en conciliation.

L’objet de la plainte est, par ailleurs, de nature à s’inscrire dans ce qui peut s’apparenter à une véritable toundra administrative : il est permis d’adresser une réclamation qui ne concerne pas nécessairement un règlement ou une décision, mais qui peut aller jusqu’à mettre en cause le comportement d’un service ou du fonctionnaire qui l’incarne.

L’angle d’approche qui peut être retenu n’est, enfin, pas exclusivement juridique : les plaintes aiguisées en termes d’opportunité, voire en termes d’équité, peuvent aussi être examinées, ce qui n’est pas un mince avantage.
Il est vrai que l’intervention de l’ombudsman n’est pas en mesure de contraindre, au sens fort du terme, l’administration. Mais qui l’ignore ? La diplomatie factuelle est, dans bien des cas, plus efficace que les processions juridictionnelles.

3. Une tache, d’un noir prononcé, marquait à le salir le paysage radieux dans lequel l’ombudsman avait été généreusement installé.

Le saisir ne suspendait pas le délai de recours au Conseil d’Etat. Dès lors, par ailleurs, que celui-ci est serré — soixante jours —, le citoyen qui s’estimait être préjudicié par un règlement ou une décision de l’administration pouvait craindre que l’instruction de sa réclamation par le médiateur n’aboutirait pas avant l’expiration du court délai ouvert pour saisir la juridiction.

Le problème posé ne faisait que s’amplifier à l’aune d’une autre règle qui voulait — et qui, sauf saisine du médiateur fédéral, veut toujours — que, lorsque la justice est saisie, le médiateur cesse d’instruire le dossier qu’on lui a confié.

Le résultat des courses n’était pas des plus heureux : ou le citoyen misait sur l’œuvre médiatrice, mais, dans les faits, il se détournait presque irrémédiablement du Conseil d’Etat ; ou le citoyen pariait sur l’œuvre juridictionnelle, mais il s’éloignait alors — au moins jusqu’à l’issue de la procédure — de l’institution d’ascendance scandinave.

4. 2014 est l’année d’une heureuse conciliation : celle qui permet au citoyen qui dépose une réclamation dans les mains du médiateur d’obtenir une meilleure chance d’aboutir dans cette voie, sans pour autant devoir, dans les faits, renoncer au recours qui lui est, par ailleurs, ouvert devant le Conseil d’Etat et qui se présente, dans certains cas, comme le seul outil de protection approprié.
Une sorte de « sursis » — de quatre mois — lui est proposé en échange d’une tentative de règlement extra-juridictionnel du litige. Quatre mois, cela peut sembler court : c’est ce qui, bien souvent, manquait à l’ombudsman pour aboutir dans la voie qu’il cherchait à frayer entre le citoyen et l’administration.

5. Comment l’articulation des deux moyens de protection citoyenne en cause se présente-t-elle désormais ?
Très simplement, j’introduis auprès de l’ombudsman une réclamation à l’encontre d’un règlement ou d’une décision de l’administration qui — c’est le ressenti que j’éprouve — me cause grief.
Je dispose, en principe, de soixante jours pour saisir le Conseil d’Etat.
Si j’introduis une réclamation auprès du médiateur, le délai de soixante jours est suspendu pour l’auteur de la réclamation que je suis — et pour lui seul —. Ce délai ne recommence à courir que lorsque je suis informé de la décision du médiateur de ne pas traiter ou de rejeter ma réclamation, ou à l’expiration d’un délai de quatre mois qui prend cours à compter de l’introduction de ma réclamation, si, d’aventure, la décision du médiateur devait ne pas être intervenue plus tôt.

6. Une précision : en droit, la suspension d’un délai ne se confond pas avec son interruption. Si j’introduis ma réclamation le dixième jour du délai de soixante, il en restera cinquante à l’issue de l’intervention du médiateur ou, en cas d’instruction inachevée, des quatre mois précités. Si j’introduis ma réclamation le cinquante-neuvième jour, … il n’en restera qu’un seul.
Autre précision : dans la Belgique fédérale d’aujourd’hui, il existe plusieurs ombudsmans et la compétence de chacun d’eux est précise. Au cas où l’ombudsman saisi n’est pas celui auquel il convenait de s’adresser, ses services sont censés le faire savoir rapidement au plaignant. Pour autant, celui-ci ne saurait, par là, s’offrir une suspension de quatre mois renouvelée autant de fois qu’il saisit, d’un même litige, un ombudsman différent. Si la voie médiatrice peut désormais être empruntée sans sacrifier un recours à la juridiction administrative, gare, en clair, aux macramés institutionnels amplis de nœuds torsadés.

7. Tout n’est sans doute pas parfait.
Mais, si la perfection n’est pas de ce monde, le mariage de l’ombudsman avec le Conseil d’Etat sonne assurément comme une fête pour la justice administrative.

Vive les mariés !

Mots-clés associés à cet article : Conseil d’Etat, Médiation, Médiation institutionnelle, Ombudsman,

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David Renders


Auteur

Professeur à l’Université catholique de Louvain
Avocat au barreau de Bruxelles

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