La Cour de justice de l’Union européenne condamne en référé la Pologne pour ne pas avoir respecté ses obligations procédurales au sujet de l’extraction de charbon près de la frontière tchèque

par Nicolas de Sadeleer - 15 juillet 2021

La série d’articles que Justice-en-ligne consacre aux décisions judiciaires portant sur les problèmes environnementaux n’est pas sur le point de se terminer.

En voici un nouvel élément avec une ordonnance du 21 mai 2021 (C 121/21 R) de la
Cour de justice de l’Union européenne
rendue sur un litige entre la République tchèque et la Pologne autour des effets sur l’environnement d’une usine d’exploitation du charbon.

Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire à l’Université Saint-Louis à Bruxelles (Chaire Jean Monnet), nous présente cet arrêt.

1. Comme les États ne sauraient se faire justice à eux-mêmes, il leur appartient, en vertu de l’article 259, alinéa 1er, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en cas de manquement imputé à un autre État membre d’intenter un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne. Cette disposition subordonne la compétence de la Cour à connaître l’existence d’un manquement d’un État membre « à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités ».

Si, en pratique les États membres ont recouru à cette procédure que de manière exceptionnelle, on a pu observer que, ces dernières années, plusieurs États d’Europe centrale ont porté leurs différends devant la Cour de justice de l’Union européenne, laquelle peut constater un manquement au droit communautaire.

L’État requérant peut solliciter en référé des mesures provisoires à l’appui de son recours au fond. La finalité de cette procédure est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union.

2. Les autorités tchèques ont introduit, en même temps qu’un recours en manquement, une demande de mesures provisoires pour obtenir la cessation immédiate de l’extraction de lignite dans une mine transfrontière située en Pologne.

Elles estiment que ce pays avait violé le droit de l’Union européenne en décidant de prolonger la concession minière pour une durée de six ans sans pour autant la soumettre à une étude impact. Or, un des terrains d’élection du principe de prévention est celui du domaine de la procédure d’évaluation préalable des incidences environnementales de certains projets ou de certaines activités (directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, ci-après : la « directive EIE »). Pièce maîtresse de la législation communautaire de l’environnement, cette directive tend à éviter que certains projets publics ou privés ne puissent être autorisés sans que leurs incidences sur l’environnement n’aient été préalablement évaluées.

3. La mesure provisoire ne peut être accordée par le juge européen des référés que s’il est établi que son octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’elle est urgente en ce sens qu’elle est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, et produise ses effets dès avant la décision au fond. Enfin, le juge des référés procède à la mise en balance des intérêts en présence.

4. S’agissant de la condition relative à l’existence d’un fumus boni juris, la Vice-Présidente de la Cour, saisie de cette affaire, vérifie si la prolongation de l’exploitation minière est susceptible de tomber sous le coup de la directive EIE.

La notion de « projet » ne se limite pas seulement à des constructions d’ouvrages ou d’infrastructures car elle couvre aussi toutes les « interventions dans le milieu naturel ou le paysage ». La directive EIE identifie les projets soumis à évaluation préalable des incidences environnementales (« EIE ») au moyen de deux annexes distinctes qui renvoient à des critères et des seuils techniques. Parce que ces projets énumérés à l’annexe I sont présumés avoir un impact significatif sur le milieu, les autorités nationales sont tenues d’évaluer leurs incidences. C’est notamment le cas des exploitations minières à ciel ouvert dont la surface dépasse 25 ha. L’annexe II énumère, quant à elle, des catégories de projets susceptibles d’être soumis à une évaluation préalable des incidences environnementales, lorsque les États membres considèrent que leurs caractéristiques l’exigent. On retrouve à cette annexe les exploitations minières à ciel ouvert autres que celles visées à l’annexe I.
Vu le champ d’application de la directive, la Vice-Présidente de la Cour estime que la législation polonaise permettant une telle activité sans pour autant la soumettre à une évaluation des incidences pourrait violer la directive EIE.

5. Quant à la condition relative à l’urgence, les mesures provisoires doivent s’avérer nécessaires pour prévenir un risque de préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite. La Vice-Présidente exclut les préjudices purement pécuniaires liés à la survenance de dommages à des immeubles provoqués par les affaissement de terrain (§ 64) dès lors qu’il peuvent faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Cependant, dans la mesure où ils sont irréversibles, les préjudices causés à l’environnement et à la santé en raison de l’agrandissement d’une mine de charbon ne sont pas nécessairement compensables (§ 65). En effet, la détérioration du niveau des eaux souterraines ainsi que l’absence d’approvisionnement en eau potable des populations tchèques ne pourraient être réparées ultérieurement, même dans l’hypothèse où le recours en manquement au fond serait accueilli par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle rappelle à cet égard le principe de précaution, qui fait pencher la balance en faveur de la protection de la santé et de l’environnement en cas d’incertitude.

6. Enfin, le sursis à l’exécution n’est accordé que sous réserve de la mise en balance des intérêts.

La mise en balance penche ici en faveur de l’octroi des mesures provisoires sollicitées. La vice-présidente estime que la Pologne n’étaye pas ses affirmations par rapport à l’arrêt irréversible d’une centrale électrique qui serait provoquée par la cessation de l’exploitation minière. Par ailleurs, le préjudice socio-économique allégué par la Pologne, résultant de la suppression des emplois de la mine et de la centrale électrique constitue principalement un préjudice d’ordre pécuniaire. Ce préjudice ne saurait être considéré comme irréparable.

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Nicolas de Sadeleer


Auteur

professeur ordinaire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Chaire Jean Monnet)

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