La langue néerlandaise restera-t-elle exclusivement employée dans les relations sociales en Flandre ? La Cour de justice de l’Union européenne émet des réserves

par Frédéric Gosselin - 10 mai 2013

Le 14 août dernier, Frédéric Gosselin, avocat au barreau de Bruxelles et assistant chargé d’exercices à l’Université libre de Bruxelles, commentait pour Justice-en-ligne l’avis (les « conclusions ») de l’avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne sur la validité, au regard du droit européen, du décret dit « de septembre » de la Communauté flamande qui règle l’emploi des langues dans les relations sociales au sein des entreprises. Il s’agit d’un décret du 19 juillet 1973, publié en septembre de la même année, d’où son appellation courante.

La Cour de justice de l’Union européenne vient, par un arrêt du 16 avril 2013, de se prononcer dans cette affaire en déclarant le décret incompatible avec le principe de la liberté de circulation des travailleurs en Europe lorsque les intéressés ont fait usage de ce droit.

Frédéric Gosselin nous donne davantage d’explications

1. Le décret flamand du 19 juillet 1973, dit « décret de septembre », impose, dès qu’un employeur a son siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise, l’utilisation exclusive du néerlandais pour toutes les relations sociales, écrites ou orales, ce qui l’oblige, à peine de nullité, à rédiger en néerlandais tous les documents relatifs à la relation de travail (contrat de travail, règlement de travail, lettre de licenciement, etc.).

2. Sur la base d’un contrat de travail rédigé en anglais, un ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas a été engagé par une société internationale ayant son siège à Singapour, pour exercer des activités professionnelles principalement en Belgique, en région de langue néerlandaise. Il est licencié au moyen d’une lettre en anglais et touche des indemnités subséquentes. Peu de temps après, son avocat interpelle toutefois l’employeur au motif que tant le contrat de travail libellé en anglais que la lettre de licenciement libellée dans la même langue, sont irréguliers pour violation du décret précité qui imposait que ces actes soient rédigés exclusivement en néerlandais.

Il invoque donc la nullité absolue du contrat de travail rédigé en anglais ainsi que celle de la lettre de licenciement pour revendiquer des sommes considérablement plus élevées que celles obtenues.

3. Pa un arrêt du 16 avril 2013, la Cour de justice de l’Union européenne vient de se prononcer quant à la régularité de cette législation au regard de la libre circulation des travailleurs (C.J.U.E, 16 avril 2013, Aff. Las/PSA Antwerpen, n° C-202/11).

Devant la Cour, le Gouvernement belge avait tenté de justifier ce décret par un triple motif de protection des travailleurs, d’efficacité des contrôles administratifs et judiciaires, et de défense de la langue officielle. La Cour répond que ces objectifs rencontrent un intérêt légitime et constituent des motifs impérieux d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le Traité, et sont donc admissibles.

C’est en revanche sur le plan de la proportionnalité des mesures mises en œuvre pour atteindre ces objectifs que la Cour censure le décret litigieux.
Elle constate en effet que la sanction instituée par le décret consiste en la nullité du contrat de travail, qui doit être constatée d’office par le juge, mais relève que « les parties à un contrat de travail à caractère transfrontalier ne maîtrisent pas nécessairement la langue officielle de l’État membre concerné.

Dans une telle situation, la formation d’un consentement libre et éclairé entre les parties requiert que celles-ci puissent établir leur contrat dans une langue autre que la langue officielle de cet État membre ».

Or, poursuit la Cour, une réglementation d’un État membre (il s’agit ici d’une région d’un Etat membre) qui imposerait certes l’utilisation de la langue officielle pour les contrats de travail à caractère transfrontalier, mais qui permettrait en outre d’établir une traduction dans une langue connue de toutes les parties concernées, serait moins attentatoire à la liberté de circulation des travailleurs que le décret litigieux, tout en étant propre à rencontrer le triple objectif avancé par le Gouvernement belge.

4. Il importe d’insister sur l’élément transfrontalier qui constitue le motif déterminant de cet arrêt. Ce dernier ne semble donc pas, a priori et à ce stade, pouvoir être transposé aux situations purement internes.

On restera néanmoins attentif à l’évolution récente de la jurisprudence européenne qui, sur ce point, semble amorcer un revirement tendant à admettre que le droit européen puisse être invoqué même dans des situations purement internes (C.J.U.E., arrêt du 5 mai 2011, en cause Mc Carthy, n° C-434/09, § 46 ; arrêt du 8 mars 2011, C-3409, Ruiz Zambrano, § 42).
En effet, depuis l’arrêt du 8 mars 2011, Zambrano, la Cour de Justice a opéré un « spectaculaire revirement de jurisprudence » en acceptant, pour la première fois, que les articles 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne puissent être invoqués par des citoyens européens « sédentaires ».

L’avocat général près la Cour de Justice a encore tout récemment confirmé cette tendance :
« Le gouvernement flamand attire l’attention sur le fait que les litiges devant la juridiction de renvoi concernent une situation purement interne, étant donné que tous les requérants dans les affaires au principal sont soit établis, soit domiciliés en Belgique.

À cet égard, il convient de reconnaître que les litiges au principal ne contiennent pas d’éléments transfrontaliers. Toutefois, il ne faut pas oublier que les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre de la procédure spécifique devant la juridiction de renvoi. Il s’agit d’une procédure en annulation de l’acte législatif du droit national qui s’applique tant aux ressortissants belges qu’aux ressortissants des autres États membres. Il est évident que la décision de la juridiction de renvoi dans le cadre d’une telle procédure aura des effets erga omnes, y compris sur les ressortissants d’autres États membres.

Les requérants au principal se prévalent du droit de l’Union et la Cour n’est pas en mesure d’apprécier si la juridiction de renvoi, dans le cadre d’une procédure en annulation, peut contrôler l’acte législatif du droit national en question non seulement par rapport au droit national mais également par rapport au droit de l’Union. Dans les présentes affaires, la Cour devrait, à notre avis, faire confiance à la juridiction de renvoi en ce sens que la décision préjudicielle est nécessaire pour que cette dernière soit en mesure de rendre son jugement et, par conséquent, donner l’interprétation demandée des dispositions du traité relatives aux libertés fondamentales du marché intérieur » (C.J.U.E., en cause Libert et csrts c. Gouvernement flamand, aff. jointes C-197/11 et C-203/11, conclusions de l’avocat général Jàn Mazák présentées le 4 octobre 2012).

L’avenir nous dira quelles seront les suites de l’arrêt ici commenté quant à l’ampleur de la modification que pourrait sbir le « décret de septembre » : sera-t-il entièrement ou partiellement revu, les modifications seront-elles limitées aux situations transfrontalières, etc. ? Justice-en-ligne tiendra ses visiteurs informé.

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Frédéric Gosselin


Auteur

Conseiller d’État
Maître de Conférences à l’Université libre de Bruxelles

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