Les demandeurs d’asile ont aussi droit au logement

par Nicolas Bernard - 21 mai 2009

Le 30 avril dernier, la Présidente du Tribunal du travail de Bruxelles condamnait FEDASIL (l’agence fédérale chargée de l’accueil des demandeurs d’asile en Belgique et à leur fournir l’aide matérielle à cet effet) à trouver un hébergement pour des demandeurs d’asile, séance tenante, et sous peine d’astreinte (laquelle consiste en une somme d’argent à verser par jour de retard mis à s’exécuter).

Cette décision est intéressante à plus d’un titre.

1. Le juge fonde sa décision sur du droit international, la Convention européenne des droits de l’homme en l’occurrence. Voilà l’occasion de rappeler qu’il n’y a pas que des lois internes mises à la disposition des magistrats pour trancher les litiges qui leur sont soumis ; les règles supranationales peuvent également être mobilisées, pourvu qu’elles soient "directement applicables" (ce qui est le cas de la Convention européenne).

2. L’article de la Convention invoqué par le juge (l’article 3) est celui qui condamne tout "traitement inhumain et dégradant". Il est particulièrement instructif, dès lors, de constater que le fait de devoir vivre à la rue, ne serait-ce qu’une nuit, est officiellement assimilé ici à un tel traitement inhumain et dégradant. L’audace est d’autant plus grande que la Cour européenne des droits de l’homme, gardienne de la Convention, a elle-même jugé que la souffrance endurée pendant un séjour à la rue d’un sans-abri consécutivement à son expulsion d’une chambre d’hôtel n’atteint pas, là, le degré de gravité minimal pour valoir méconnaissance de l’article 3 (décision O’Rourke c. Royaume-Uni du 26 juin 2001).

3. Le juge appuie sa décision sur le droit de chacun de "pouvoir mener une vie conforme à la dignité humaine", ce qui renvoie directement à la loi organique des CPAS : était en cause le refus du CPAS de Bruxelles-Ville d’intervenir pour héberger ces demandeurs d’asile. Cette formulation réfère également à l’alinéa premier de l’article 23 de la Constitution, lequel consacre entre autres le droit à un logement décent. Si, de manière générale, les observateurs s’accordent à refuser à ce droit constitutionnel au logement toute applicabilité directe devant les tribunaux, c’est-à-dire toute possibilité d’être appliqué dans les procès sans qu’une loi l’ait concrétisé (à l’inverse, par exemple, du droit opposable au logement en France), il est permis de reconnaître pareil effet direct à ce texte, tant celui-ci semble univoque et dépourvu de contestation :"Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine". La présente décision tend à conforter cette thèse. Le juge permet donc de rendre effectif un engagement conçu jusque là comme assez vague dans la Constitution.

4. Sur le plan des politiques publiques, enfin, il y a lieu de regretter qu’on en soit arrivé à une telle extrémité, à savoir une décision de justice condamnant FEDASIL à héberger des demandeurs d’asile. C’est que la loi du 2 janvier 2001 (art. 74) et l’arrêté royal du 11 décembre 2001 ont précisément conféré au "Ministre ayant l’Intégration sociale dans ses attributions" le pouvoir de "réquisitionner tout immeuble abandonné, afin de le mettre à disposition pour l’accueil de candidats-réfugiés". Malheureusement, cette réglementation est restée lettre morte. Par ailleurs, une loi du 12 janvier 1993 (art. 27) et son arrêté royal du 6 décembre 1993 permettent au bourgmestre, sur requête du président du conseil de l’aide sociale (CPAS) justement, de pareillement réquisitionner des habitations vides en vue de les mettre en location à des sans-abri, sans davantage de succès malheureusement. Il est temps, dès lors, que les autorités fassent emploi des mécanismes qui ont été ont aménagés à leur expresse attention.

5. Encore un mot de procédure : rendue, pour des raisons d’absolue nécessité, sur requête unilatérale (sans possibilité donc laissée à FEDASIL de se défendre ni même d’être informée à l’avance de l’imminence d’une décision à son encontre), l’ordonnance est susceptible d’être frappée d’opposition (art. 1033 du Code judiciaire), qui est une voie de recours permettant à la partie absente de rouvrir le procès, avec cette fois toutes les parties concernées, devant le même juge, lequel se prononcera peut-être alors différemment. A suivre…

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Nicolas Bernard


Auteur

Professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles

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