Gouvernement des juges : désordre ou vertu ? Réflexions autour d’un colloque

par Alice Dejollier - Justin Vanderschuren - 3 avril 2020

Il est parfois reproché, surtout de la part de certains responsables politiques, que les juges s’arrogent trop de pouvoirs par rapport aux élus. On serait entré dans un régime de « gouvernement des juges ».

Un colloque a été consacré à ce thème le 10 octobre 2019 par l’Association syndicale des magistrats.

Ce sujet n’intéresse pas seulement les juristes et les magistrats : il concerne la démocratie et donc l’ensemble des citoyens.

Au-delà du programme de ce colloque (voir en annexe), qui donnera lieu à une publication, Alice Dejollier et Justin Vanderschuren, assistants à l’Université catholique de Louvain, nous livrent les réflexions que leur ont inspirées les échanges tenus au cours de cette journée.

1. Dans la saga du Brexit, la Cour suprême britannique a jugé en septembre dernier que la « suspension » du Parlement, décidée peu de temps auparavant par le Gouvernement, était illégale ; il est renvoyé à l’article de François van der Mensbrugghe sur cet arrêt, publié le 20 octobre 2019 sur Justice-en-ligne (« La Cour suprême du Royaume-Uni annule la décision de Boris Johnson de suspendre les travaux du Parlement à l’approche du Brexit ») .

Cette décision met le projecteur sur le principe de la séparation des pouvoirs et, singulièrement, sur le phénomène du gouvernement des juges. C’est à ce dernier que fut consacré, le jeudi 10 octobre dernier, le colloque que l’Association syndicale des magistrats organisait pour son quarantième anniversaire.

L’occasion est ici offerte de rouvrir le débat sur ce phénomène ô combien actuel, par lequel il arrive que le pouvoir judiciaire s’attribue la fonction de décideur de l’ordre social qui, en principe, échoit aux pouvoirs législatif et exécutif.

2. Les démocraties modernes sont caractérisées par le principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, le pouvoir de l’État est réparti entre le pouvoir législatif, exercé par le parlement, le pouvoir exécutif, mis en œuvre par le gouvernement, et le pouvoir judiciaire, confié aux juges. On comprend intuitivement que ce principe tend à éviter d’éventuels abus pouvant porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux qu’il défend.

Alors que le principe de la séparation des pouvoirs consacre, entre autres, l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux deux autres pouvoirs, notamment en le préservant de leurs incursions dans les procès en cours, le phénomène du gouvernement des juges repose sur l’idée selon laquelle les juges exerceraient des missions relevant de ces autres pouvoirs.

3. Le gouvernement des juges est souvent critiqué tant il est perçu négativement. On retiendra ainsi l’exemple du juge interprétant la loi dans un sens contraire à ce qui fut décidé et exprimé par le parlement pourtant élu par le peuple : la décision judiciaire qui en résulterait, alors de nature politique, manquerait de légitimité démocratique.

Toutefois, le phénomène peut s’avérer tout aussi séduisant qu’il est redouté. Il peut en effet permettre de gommer les éventuels excès des passions politiques secouant les autres pouvoirs, passions auxquelles les juges, forts de la sérénité que leur procure leur nomination à vie, ne devraient en principe pas être soumis.

Si le gouvernement des juges bouscule le principe de la séparation des pouvoirs, il a au moins le mérite de servir de garde-fou contre l’éventuelle frénésie, voire les possibles dérives, des autres pouvoirs.

Ainsi, l’on peut se poser la question de savoir si le phénomène procède du désordre ou de la vertu… telle fut la question posée et débattue – avec passion ! – lors de cet enthousiasmant colloque.

4. Un ouvrage est issu de ce colloque : Gouvernement des juges : une accusation, ne vertu et une analyse critique, Lima, Anthemis, 231 p. (http://www.anthemis.be/index.php/gouvernement-des-juges-une-accusation-une-vertu-et-une-analyse-critique.html).

Votre point de vue

  • Jacques Fierens
    Jacques Fierens Le 6 avril 2020 à 11:39

    Je suis un peu étonné de lire que le rôle de "décideur de l’ordre social (...), en principe, échoit aux pouvoirs législatif et exécutif". Les trois pouvoirs sont, dans leur sphère de compétence, décideurs de l’ordre social. Les tribunaux interprètent les lois, ce qui n’est pas rien en la matière. Comme si la jurisprudence n’avait aucun pouvoir de décision, ce qui est une contradiction dans les termes. Tout le monde sait à quel point elle a pu et peut véritablement choisir quel ordre elle prétend instaurer.

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  • Amandine
    Amandine Le 3 avril 2020 à 17:33

    C’est l’occasion d’écouter l’entretien dans "Ce qui fait débat", sur la RTBF Radio, de ce mercredi 2 avril, avec la présidente du syndicat de la magistrature, Mme Marie Messiaen
    https://www.rtbf.be/auvio/detail_cqfd-podcast?id=2620387
    (30 minutes).
    Il n’est pas exclu que le gouvernement profite de ses pleins pouvoirs pour tenter de gouverner les juges, au mépris de la séparation des pouvoirs.
    En modifiant les règles de procédure sans consulter les professionnels,
    et après avoir systématiquement sous-financé la justice depuis des années.

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  • skoby
    skoby Le 3 avril 2020 à 12:15

    Cette discussion entre les différents mouvements de pouvoir sont certainement utiles.

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