Droits et devoirs de l’avocat dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

par François Stévenart Meeûs - 1er novembre 2020

Dans un arrêt récent, prononcé le 24 septembre 2020 , la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de préciser l’étendue de l’obligation de déclaration de soupçons imposée aux avocats dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Dans l’exercice de cette profession libérale essentielle dans un État de droit, il y en effet lieu de tenir compte d’un devoir enseigné dès la première année de stage au barreau : le respect du secret professionnel consacré par une disposition du Code pénal.

François Stevenart Meeûs, conseiller à la Cour de cassation et maître de conférences à l’Université catholique de Louvain, nous commente cet arrêt assez technique où la Cour est invitée à porter un regard croisé sur la compatibilité de ces deux devoirs légaux, à savoir.

1. Le Parlement fédéral a adopté le 18 septembre 2017 une loi avec pour objet principal la transposition en droit belge de la directive européenne n° 2015/849 ‘relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces’ .

L’utilité de mettre en œuvre des mesures préventives pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme peut se comprendre facilement face à des organisations criminelles actives dans l’exercice d’activités illégales variées, génératrices de bénéfices occultes très importants, tels que ceux provenant de trafics en tous genres (drogues, armes, voitures volées, contrebande de tabacs, etc.), traite des êtres humains, etc. Ces activités illégales généraient – et continuent malheureusement de générer – des profits très importants en monnaie sonnante et trébuchante, incitant ainsi les dirigeants de ces organisations à les « recycler » en recourant à des opérations légales, par exemple d’acquisition de biens mobiliers ou immobiliers ou en réinjectant les capitaux dans le circuit d’activités économiques officielles, éventuellement avec l’aide d’intermédiaires peu scrupuleux.

Par cette loi, le législateur belge a voulu complètement mettre à jour le dispositif préventif belge en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme initié par une ancienne loi du 11 janvier 1993 de manière à le rendre conforme non seulement aux normes décidées au niveau de l’Union européenne, mais aussi aux recommandations internationales du Groupe d’action financière (en abrégé, le GAFI), qui est un organisme intergouvernemental créé en 1989 à Paris, en marge du G7, à l’initiative du Président François Mitterrand, ayant pour objet l’élaboration de normes, régulièrement mises à jour, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

2. À cet égard, une autorité administrative indépendante, active depuis 1993, mérite d’être citée : la Cellule de traitement des informations financières (en abrégé, la CTIF), qui est au cœur du dispositif belge de lutte contre le blanchiment d’argent d’origine criminelle et le financement du terrorisme.

La CTIF est une autorité administrative indépendante, ayant la personnalité juridique, et est placée sous le contrôle des ministres de la Justice et des Finances.
Présidée par un magistrat, elle est chargée de :
 traiter les faits et opérations financiers suspects liés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme qui sont signalés par les entreprises et personnes désignées par la loi ;
 transmettre des informations aux autorités judiciaires et aux autorités de contrôle en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
 assurer une coopération efficace et une concertation des diverses autorités nationales, directement ou indirectement concernées par la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

3. L’Ordre des barreaux francophones et germanophone et l’Ordre des barreaux flamands (« Orde van Vlaamse balies ») ont introduit devant la Cour constitutionnelle un recours en annulation partielle de la loi 18 septembre 2017.

En un mot, ils reprochent à certaines dispositions de la loi attaquée de violer le secret professionnel de l’avocat, qui relève de l’essence de cette profession. En règle, il ne peut être dérogé au secret professionnel que si cela peut se justifier par un motif impérieux d’intérêt général et si la levée du secret est strictement proportionnée.

4. Par son arrêt n° 114/2020 du 24 septembre 2020, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le fondement de ce recours.

Elle reconnaît que le secret professionnel de l’avocat est une composante essentielle du droit au respect de la vie privée et du droit à un procès équitable.

En effet, ce secret vise à protéger le droit fondamental à la vie privée de la personne qui se confie, parfois dans ce qu’elle a de plus intime.

En outre, pour assurer, l’effectivité des droits de la défense, il est indispensable qu’une relation de confiance puisse être établie entre le client et l’avocat qui le conseille et le défend, ce qui justifie son devoir de discrétion absolu.

5. Un premier grief fait à la loi attaquée concerne l’obligation de l’avocat de transmettre une déclaration de soupçons, y compris lorsque son client renonce à une opération suspecte à la suite de ses conseils (article 47, § 1er, 2°, seconde phrase, de la loi).

Il fait savoir que la loi du 18 septembre 2017 impose des obligations déclaratives à charge de certaines personnes physiques ou morales, qualifiées par la loi d’« entités assujetties agissant dans l’exercice de leur activité professionnelle ».

Parmi celles-ci, sont visés les avocats, lorsqu’ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation d’opérations concernant l’achat ou la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales, la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs appartenant au client, l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou de portefeuille, l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés, la constitution, la gestion ou la direction de sociétés, de fiducies ou de trusts, de sociétés, de fondations ou de structures similaires, ou bien lorsqu’ils agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute opération financière ou immobilière.

6. L’article 47 de la loi attaquée fait obligation, pour les entités assujetties, de transmettre à la CTIF une déclaration de soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, sur la base de laquelle des poursuites pénales pourront éventuellement être engagées.

Cette disposition prévoit notamment que les avocats doivent déclarer à la CTIF les opérations ou tentatives d’opérations et les faits dont ils savent, soupçonnent ou ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

L’article 47, § 1er, 2°, qui porte sur les « opérations ou tentatives d’opérations » à déclarer, précise, en sa seconde phrase, que « cette obligation de déclaration s’applique y compris lorsque le client décide de ne pas exécuter l’opération envisagée ».

7. Il ressort de plusieurs articles de la loi attaquée que seules les informations connues de l’avocat dans certaines matières échappent à l’obligation de secret professionnel.

Il s’agit notamment d’informations dont l’avocat a connaissance lorsqu’il assiste ses clients dans la préparation ou la réalisation d’opérations concernant l’achat ou la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales, la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs appartenant au client, etc.

Elles peuvent alors être portées à la connaissance de la Cellule de traitement des informations financières par l’intermédiaire du bâtonnier.

En revanche, toutes les informations connues de l’avocat dans le cadre de l’exercice des activités essentielles de sa profession, à savoir l’assistance et la défense en justice du client, ainsi que le conseil juridique, même en dehors de toute procédure judiciaire, demeurent couvertes par le secret professionnel – sauf dans trois cas énumérés à l’article 53, in fine, de la loi, à savoir si les avocats ont pris part à des activités de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, ont fourni un conseil juridique à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme ou savent que le client a sollicité un conseil juridique à de telles fins.

8. La Cour estime les informations dont l’avocat a connaissance au sujet d’une opération ou d’une tentative d’opération suspecte que son client, sur ses conseils, renonce à exécuter font partie de la seconde catégorie, c’est-à-dire celles qui sont connues de l’avocat dans le cadre de l’exercice de son activité de conseil juridique.
Partant, ces informations sont couvertes par le secret professionnel et échappent à l’obligation de déclaration de soupçons visée à l’article 47.

Il s’ensuit que l’obligation de communication prévue par l’article 47, § 1er, 2°, seconde phrase, de la loi du 18 septembre 2017 est dénuée de justification raisonnable et est par conséquent annulée en ce qu’elle concerne les avocats.

9. Les parties requérantes critiquent ensuite la possibilité pour une personne tierce à la relation de confiance entre l’avocat et son client, tel un employé de l’avocat ou un autre avocat du même cabinet, de communiquer directement et personnellement à la CTIF des informations couvertes par le secret professionnel (article 49 de la loi attaquée).

La Cour juge que rien ne justifie qu’un tiers à la relation entre l’avocat et son client, fût-il lui-même avocat, puisse transmettre des informations relatives à ce client et annule par conséquent l’article 49, alinéa 2, de la loi attaquée, en ce qu’elle impose cette obligation aux avocats considérés comme « entités assujetties ».

Votre point de vue

  • Skoby
    Skoby Le 4 novembre 2020 à 15:54

    Je trouve cette loi un peu hypocrite ! En effet, on y mélange 2 choses.
    D’abord le blanchiment d’argent, que beaucoup de gens riches font pour éviter
    des payer des impôts supplémentaires. Bien entendu cela n’est pas légal et
    doit être poursuivi pour les services fiscaux. Mais même si cela est interdit
    et même si cela peut-être considéré comme malhonnête, cela n’a rien à voir avec
    le financement du terrorisme, que je trouve beaucoup plus grave.
    J’estime d’ailleurs que là la Justice n’est pas assez sévère.
    Regardez la tuerie à Vienne, réalisée par un musulman, en liberté conditionnelle,
    condamné dans un cadre de terrorisme. Pourquoi une liberté conditionnelle pour
    des assassins ? Et on compare cela à la fraude fiscale ???

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