Un tribunal allemand condamne un agent des services secrets syriens : un progrès contre l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité

par Éric David - 5 mai 2021

Le 24 février 2021, le Tribunal supérieur de Coblence, en Allemagne, a condamné un agent des services secrets syriens à une peine de quatre ans et demi de prison pour complicité de crimes contre l’humanité. Le tribunal a constaté que, depuis avril 2011, le gouvernement syrien réprimait par la violence des manifestations d’opposition au régime de Bachar el-Assad et que les manifestants arrêtés étaient systématiquement brutalisés et torturés.

Quelques mots d’explication par Éric David, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles et président du Centre de droit international de l’Université libre de Bruxelles.

1. L’accusé, un certain Eyad A., en tant que membre du service de renseignements syrien, avait participé au transfèrement de manifestants arrêtés en des lieux où ils étaient torturés et où 251 personnes avaient été assassinées.

Ces faits remplissaient le critère matériel (torture et mauvais traitements) et le critère contextuel (attaque prolongée ou systématique contre une population civile) du crime contre l’humanité tel que défini par le Völkerstrafgesetzbuch (VStGB) (code allemand des crimes de droit international) introduit dans le droit allemand en juin 2002 pour adapter celui-ci au Statut de la Cour pénale internationale.

De fait, la définition portée par le § 1 du VStGB est similaire à la définition du crime contre l’humanité figurant à l’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale.

2. Les faits en cause ont été commis à l’étranger (Syrie) par des étrangers contre des étrangers (Syriens). Il n’y avait donc aucun critère de rattachement de la situation jugée avec l’Allemagne.

En général, pour qu’un tribunal puisse exercer une compétence pénale, il faut pareil rattachement (principalement la circonstance que les faits se sont déroulés sur le territoire du pays dont dépend le tribunal, mais aussi, par exemple, la nationalité des suspects ou des victimes) pour que le tribunal d’un pays puisse s’estimer compétent. Certains États ont toutefois, pour les crimes les plus graves, prévu que leurs tribunaux pouvaient juger des personnes sans qu’il y ait le moindre de ces critères de rattachement, en dehors de la présence de l’auteur présumé de ces crimes sur le territoire de l’Etat poursuivant : c’est ce que l’on appelle la compétence universelle, qui a été mise en œuvre par le Tribunal de Coblence en l’espèce.

3. Aux yeux d’un Belge, l’exercice de la compétence universelle n’a rien d’extraordinaire puisque la Belgique avait déjà introduit cette compétence dans sa procédure pénale pour diverses infractions de droit international (lire à ce sujet É. David, Éléments de droit pénal international et européen, Bruxelles, Bruylant, 2018, §§ 3.3.17 et s.) avant de l’étendre d’abord aux crimes de guerre avec la loi du 16 juin 1993, puis au génocide et aux crimes contre l’humanité avec la loi du 10 février 1999, modifiée par celle du 5 août 2003 (même ouvrage, §§ 3.3.29 et s.).

4. Le jugement de Coblence n’en est pas moins intéressant, à divers égards :

 comme exemple de lutte contre l’impunité d’agents de l’État impliqués dans des faits imputables à cet État ;

 comme expression de la responsabilité d’un agent qui semble, d’après les faits rapportés dans le jugement, avoir agi non comme tortionnaire ou meurtrier mais comme complice d’homicides et de faits de torture commis par d’autres agents lorsque le prévenu leur remettait les personnes arrêtées en sachant qu’elles pouvaient être torturées ou tuées ;

 comme illustration de la formule « attaque contre une population civile » appliquée à la répression de manifestations d’opposition d’une population à un régime politique ; autrement dit, la notion d’« attaque » ne se limite pas à une action militaire classique mais s’étend à des faits de répression policière commis contre des manifestants civils, ce qui correspond aux « éléments des crimes » définis en annexe du Statut de la Cour pénale internationale (même ouvrage, §§ 16.6.12 et s.) ;

 comme avertissement aux fidèles du régime syrien qu’ils ont intérêt à éviter de venir faire les soldes des usines d’armement ou d’autres babioles dans les États européens qui ont intégré la compétence universelle dans leurs lois de procédure pénale…

Mots-clés associés à cet article : Torture, Compétence universelle, Crime contre l’humanité, Syrie,

Votre point de vue

  • Célestin M.
    Célestin M. Le 11 mai 2021 à 01:18

    Une très bonne chose pour lutter contre l’impunité qui règne dans certains pays certes, il n’en demeure pas moins que les principes du droit international doivent être respectés par tous pour éviter le droit impérialiste. Qu’un ressortissant syrien soit jugé par le Tribunal de Coblence (Koblenz) pour les faits commis sur les citoyens syriens, sur le territoire syrien par les syriens est une exception au principe de compétence des juridictions. Évidement, il faut rendre justice aux victimes, mais il faut aussi que cette justice soit distributive avec un impact dans le pays où les faits ont été commis. Aussi, il ne faut pas qu’on assiste à une justice qui s’applique uniquement aux Etats faibles. Il est plus que temps que sur base de la loi de compétence universelle, les Etats occidentaux arrêtent, jugent et condamnent aussi les chinois, les russes, les américains, les israéliens............ Pour rappel, la Belgique s’est fait taper sur les doigts en annonçant les poursuites contre Ariel Sharon ex premier ministre Israélien et un général américain.

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  • Amandine
    Amandine Le 10 mai 2021 à 17:32

    j’aurais voulu savoir de quelle manière le Tribunal de Coblence a été saisi de cette affaire. Et pourquoi ce n’est pas la Cour Pénale Internationale ou quelque autre Cour Internationale qui a été saisie.

    Je voudrais savoir aussi si l’on ne pourrait pas poursuivre les agents USA qui ont torturé des prisonniers dans les prisons d’Abou Graïb ? et les responsables USA qui détiennent depuis des années des prisonniers sans jugement aucun à Guantanamo ? Et ceux qui pratiquent des exécutions extra-judiciaires par drones ?
    Je crains que ces poursuites et condamnations par des tribunaux nationaux occidentaux sous invocation de la compétence universelle ne visent que des auteurs ressortissants d’états qui ne sont guère appréciés des Occidentaux et de leurs alliés.

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  • Skoby
    Skoby Le 6 mai 2021 à 16:13

    Cette compétence universelle me paraît une bonne chose, mais tout dépend du
    pays dans lequel cela se passe,car dans les dictatures la Justice est rarement
    indépendante et alors cette compétence universelle devient dangereuse.

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  • Skoby
    Skoby Le 6 mai 2021 à 16:11

    Cette compétence universelle me paraît à la fois une bonne mesure et une
    dangereuse, car tout dépend de la liberté judiciaire d’un pays par rapport à l’autre.
    En effet, il faut que les divers pays aient une justice tout-à-fait indépendante.
    Ce qui ne semble pas être le cas dans de dictatures, comme le Vénézuela, le Brésil,
    la Chine, l’URSS, etc....

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