La compétence universelle, le droit pénal international et les immunités des chefs d’Etat

par Anne Lagerwall - 28 mars 2011

« Est-il possible de juger certains dictateurs chefs d’Etat en Belgique en se fondant sur la compétence universelle ? ». Voilà, en substance, la question que l’un de nos internautes nous a posée.

Anne Lagerwall, professeure-assistante à l’Université libre de Bruxelles, nous éclaire.

En principe, le juge belge s’intéresse aux faits qui ont lieu sur le territoire du Royaume et aux faits qui ont lieu à l’étranger lorsqu’ils concernent des ressortissants belges au titre de sa « compétence personnelle active ou passive » ou l’Etat belge au titre de sa « compétence réelle ».

Depuis 1993 cependant, le juge peut en outre connaître de crimes commis à l’étranger même si ces derniers n’impliquent aucun belge, ni comme auteur, ni comme victime. Cette « compétence universelle » lui permet de poursuivre les responsables de crimes particulièrement graves commis à l’étranger tels que le génocide, les crimes contre l’humanité ou encore les crimes de guerre. Compte tenu de la répression violente qu’ont connu certaines populations dans le pourtour méditerranéen et dans la péninsule arabique dernièrement, on comprend qu’un internaute se demande s’il est possible de juger en Belgique certains chefs d’Etat étrangers.

La réponse à cette question est négative. Même lorsque les faits sont suffisamment graves pour relever de sa compétence universelle, le juge belge ne peut pas poursuivre les personnes qui en sont responsables si ces personnes remplissent une fonction officielle au sein de l’Etat étranger et bénéficient pour cette raison d’une immunité en vertu du droit international. On reconnaît depuis longtemps que le chef d’Etat étranger s’expose, de par sa fonction, à des intimidations dont on doit le protéger en lui garantissant une immunité contre toute arrestation et toute poursuite de la part d’autorités nationales étrangères. En droit international, tous les Etats sont formellement égaux. Dès lors, les magistrats d’un Etat ne sauraient s’arroger le pouvoir de juger les dirigeants d’un autre Etat au risque de rompre cette égalité.

Cette limite figure dans le Code de procédure pénale. Le législateur l’y a inscrit en 2003 après que la Cour internationale de justice ait condamné l’Etat belge pour avoir violé le droit international en poursuivant le ministre congolais Yerodia alors qu’il bénéficiait d’une immunité. A l’époque, les poursuites menées en Belgique contre Ariel Sharon et Georges Bush senior avaient suscité des difficultés diplomatiques qui expliquent sans doute aussi l’initiative du législateur.

Peut-on pour autant affirmer que l’immunité d’un chef d’Etat étranger lui permet de commettre des crimes en toute impunité ? Il faut rappeler d’abord que l’immunité d’un chef d’Etat n’est valide que pendant la période durant laquelle il occupe ce poste et disparaît dès que son mandat prend fin. L’ancien chef d’Etat peut alors être jugé devant un tribunal national pour les faits punissables qu’il a commis. C’est ainsi que Pinochet a pu être inquiété par des procédures judiciaires belge et espagnole en 1998 alors qu’il n’était plus le président du Chili. En outre, l’immunité d’un chef d’Etat étranger en exercice exclut uniquement qu’il soit poursuivi devant des tribunaux nationaux. Elle n’empêche aucunement qu’il soit jugé par une juridiction pénale internationale compétente. On peut citer, entre autres, le procès de Milosevic devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie ou la procédure ouverte par la Cour pénale internationale à l’encontre du président soudanais Al Bashir. Cette Cour est également saisie de la situation dont la Libye est le théâtre depuis février 2011 et pourrait être amenée à juger Kadhafi dans ce cadre. Il est renvoyé sur ce point à l’article d’Eric David publié par Justice-en-ligne.

On peut déplorer que le juge belge ne puisse pas juger les dictateurs en vertu de sa compétence universelle. Mais dispose-t-il réellement des moyens nécessaires pour enquêter, recueillir des preuves et récolter des témoignages relatifs à des faits souvent commis à des milliers de kilomètres du Royaume ? Plus fondamentalement, de quelle légitimité peut-il se prévaloir pour examiner des faits commis dans un contexte politique, social et culturel dont il ignore souvent les subtilités ? Ne vaut-il pas mieux laisser à la justice de l’Etat concerné la responsabilité de juger ses dictateurs, lorsqu’elle en aura l’occasion, à l’endroit précis où la lutte contre l’impunité prend tout son sens ?

Votre point de vue

  • Ewa
    Ewa Le 4 janvier 2017 à 22:44

    Ufti -c’est une Loi égale à une coquille vidé des essentielles - ploufffff pour la Démocratie .
    Pauvre Royaume des Belges soumises aux démérité et détraqués. En peux pas tombés plus bas.

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