Informer en matière judiciaire : une liberté et une responsabilité

par André Linard - 26 mai 2011

Régulièrement, des dossiers judiciaires médiatisés amènent à se poser des questions récurrentes : ce que la presse doit évoquer ou pas, le respect de la vie privée et de la présomption d’innocence, etc. La récente médiatisation de l’arrestation et de l’inculpation de Dominique Strauss-Kahn et des jugements dans les affaires concernant l’avocat Victor Hissel et sa famille l’illustre.

En réalité, ces questions cachent un débat de fond : les tensions entre le droit du public à l’information, qui est un corollaire de la liberté d’expression et qui doit donc être considéré comme un droit fondamental, et les droits individuels des personnes concernées, qui revêtent la même importance. Et pourtant, il faut trancher.

Juriste de formation et journaliste d’expérience, André Linard, secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique, éclaire ce débat ci-après, sans aborder sur le fond les dossiers dont il est question ci-avant, qui ne sont donnés qu’à titre d’exemples.

Nul ne peut ignorer que les deux groupes concernés par le débat sur la place de l’information du public en matière judiciaire (le public et les journalistes d’une part, les personnes soumises à la Justice d’autre part) s’opposent souvent parce que leur logique de fonctionnement est différente Voici quelques balises, pas nécessairement exhaustives ni aussi argumentées qu’il le faudrait, vu l’espace limité dévolu à cet article. Ces balises sont déontologiques, c’est-à-dire constituées des normes qu’une profession se fixe à elle-même. Droit et déontologie se recoupent, mais ne sont pas identiques.

Pour les journalistes, le droit du public à l’information est le principe et les limites parfois légitimes qu’on lui fixe sont l’exception. Il peut donc arriver qu’au nom de ce principe, des atteintes aux droits individuels des personnes concernées se produisent. Cela ne signifie pas que ces droits individuels sont niés, mais qu’ils pèsent d’un poids relatif face au droit du public à être informé. Cela ne signifie pas non plus qu’au nom de la liberté, les journalistes peuvent faire n’importe quoi à n’importe quel propos. Lorsque des personnes sont mises en cause, le travail des médias doit être guidé par une grande prudence, une recherche attentive de la vérité, une grande honnêteté dans la sélection des faits, qui ne peut être unilatérale, partielle ou partiale a priori, le recoupement des sources, le droit de réplique aux personnes visées par des accusations graves, etc. Le tout, sous-tendu par un critère fondamental : l’intérêt public, au sens de l’importance pour connaître et comprendre la société.

Or il saute aux yeux qu’aucune définition objective d’un tel intérêt public n’est disponible. Le travail journalistique comportera donc toujours une zone grise faisant l’objet d’une appréciation par les journalistes. Et qui dit appréciation dit aussi possibilité d’une opinion différente, sans que la première soit pour autant erronée. Les journalistes sont amenés à faire des choix qui peuvent certes être discutés. L’important est qu’ils y appliquent un sens des responsabilités et ne confondent pas intérêt public avec curiosité publique.

La présomption d’innocence est un autre thème souvent débattu à propos de la couverture des affaires judiciaires. Elle est la garantie pour une personne qui doit être jugée au sens large de l’absence d’a priori, de pré-jugé, de culpabilité préétablie de la part de l’autorité, en particulier de celle qui doit prendre la décision : un juge, un jury d’assises voire… un conseil de déontologie. Les journalistes, qui ne décident pas, ne sont pas tenus par la présomption d’innocence. Ils doivent certes rappeler qu’elle existe, informer sans partialité, vérifier leurs sources et éviter le lynchage médiatique… Mais lorsqu’ils ont fait correctement leur travail d’investigation, les journalistes peuvent exprimer une vérité autre que la vérité judiciaire. Même après un jugement. Songeons par exemple aux acquittements pour raison de procédure alors que les faits sont connus, aux délits avérés mais couverts par la prescription, ou encore aux dossiers qui ne sont ouverts en justice qu’après des révélations résultant d’enquêtes journalistiques.

Il est vrai cependant que des médias peuvent « monter » l’opinion publique contre une personne et influencer les décideurs. Faut-il, pour l’éviter, ne pas informer ?

Quant à la protection de la vie privée, elle entre aussi régulièrement en tension avec le droit à l’information. Toute personne a droit au respect de sa sphère privée. Mais où en fixer la limite lorsqu’un aspect de cette sphère concerne aussi la vie en société ? Pour des anonymes, seuls les faits qui sont pertinents pour comprendre un enjeu de société doivent être donnés, avec prudence, en mettant aussi en balance le dommage que leur révélation peut causer. Mais, dans le cas de personnalités publiques, la sphère de la vie privée est plus réduite, sans pour autant disparaître. Un fait d’ordre privé peut être révélé s’il a un lien avec la raison pour laquelle la personnalité est connue ou s’il a une influence sur la manière dont elle exerce son rôle public. Un enfant illégitime d’un mandataire élu relève du privé, sauf si la personne fait de la défense du mariage un cheval de bataille politique, si elle utilise des fonds publics pour entretenir cet enfant… De multiples exemples limites permettent de nombreux débats.

Retenons donc que le droit à l’information est le principe de base, que toute information qui dérange n’est pas pour autant illégitime et que les journalistes doivent mettre en œuvre un sens des responsabilités proportionnel à la liberté qu’ils revendiquent à juste titre.

Votre point de vue

  • D. Van Eyck
    D. Van Eyck Le 17 juillet 2011 à 23:38

    Je suis tout à fait d’accord avec la réaction de S.L. Bien sûr les médias sont des entreprises commerciales qui connaissent très bien les ficelles qu’il faut tirer pour exciter l’appétit de sensationnel de leur lectorat. N’est-il pas temps également de se poser des questions sur les sources des informations policières ou judiciaires ? Souvent le point de vue défendu dans les articles concernant crimes ou délits est celui des policiers ou du procureur (les fameuses "sources proches de l’enquête"), qui ne font l’objet d’aucune vérification. Par exemple : "un dealer chez qui a été trouvé du matériel de toxicomane a été arrêté", après simple vérification le seul matériel de toxicomane découvert chez le prévenu était un rouleau de papier aluminium (dès lors, combien de ménagères emploient-elles du matériel de toxicomane à leur insu ?!). Personne ne sait qui du policier ou du journaliste a monté cette supercherie, mais il est évident que la relation journaliste/enquêteur se décline souvent sur le mode du "renvoi d’ascenseur". Tu mets en évidence mon excellent travail policier et, en retour, je te transmets quelques informations croustillantes (normalement couvertes par le secret de l’instruction) sur une affaire en cours. Il est d’ailleurs quasi impossible au prévenu de rectifier ces errements par une interview ou un droit de réponse, malgré le mal fait à la réputation de sa personne.

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  • S L
    S L Le 31 mai 2011 à 19:10

    L’article, et spécialement sa conclusion, me laissent sur ma faim.
    Les poncifs énoncés taisent la problématique fondamentale : les média sont des entreprises commerciales dont l’objectif prioritaire est le profit.
    Les journalistes diffusent allègrement l’identité de personnes judiciairement mis en cause dès qu’elles sont soupçonnées et même si cette diffusion va parfois terrasser la vie des concernés et celle de leur famille.
    Ce qui importe, c’est d’être lu et de faire de l’audience.
    Si ultérieurement les soupçons sont démentis, les journalistes n’accordent jamais la même importance à cette info et le mal est fait.
    La présomption d’innocence et le respect de la vie privée me paraissent bafoués, non pas en raison du sacro-saint devoir d’informer (rien n’interdit d’anonymiser l’info comme pour les affaires concernant des mineurs) mais en raison de l’appât du gain et de la notoriété qui aboutit souvent à aiguiser les instincts les plus bas.

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