Parler de la place de la victime dans le procès pénal impose une réflexion préalable plus générale sur la justice elle-même. Attention : c’est un sujet qui fâche, car il existe un réel fossé entre les professionnels du droit et les citoyens. Pour ces derniers, la justice se confond souvent avec l’injustice : les procès sont longs et chers, le langage juridique est opaque et, surtout, la victime n’est pas suffisamment considérée dans son statut. Il est vrai qu’avant d’être un idéal, la justice est d’abord un métier, pratiqué par des professionnels qui ont accompli des études, des stages, subi des examens, et poursuivi leur expérience par des recyclages. C’est un métier complexe dont la difficulté et la rigueur s’exercent au détriment de la transparence.
En matière pénale, la justice a quatre fonctions successives.
La répression, d’abord. Il s’agit d’identifier les coupables d’un crime ou d’un délit, d’apprécier s’il y a lieu de le placer sous mandat d’arrêt, d’examiner toutes les circonstances qui entourent la commission des faits.
La sanction, ensuite. C’est la punition, la peine infligée, au regard de la gravité des faits et des circonstances atténuantes qui permettent de la moduler.
En même temps intervient la réparation : l’appréciation civile du dommage subi par la victime.
Enfin, la réinsertion. Permettre à celui qui a purgé sa peine ou une partie de celle-ci, dans des conditions établies par la loi, de sortir de prison en lui permettant de retrouver une existence qui ne le ferait pas basculer à nouveau dans la délinquance.
Depuis la violence de l’affaire Dutroux, des lois nouvelles ont été votées pour permettre à la victime de jouer un rôle dans la procédure, qui va au-delà de la simple demande de dommages et intérêts. Ainsi la partie civile est-elle en droit d’avoir accès au dossier et de solliciter des devoirs qu’elle estime importants pour la manifestation de la vérité. C’est une participation active dans la phase de la répression. D’autre part, l’immensité des « petits » dossiers pénaux est telle que le parquet se voit contraint de les classer sans suite. Par le passé, la victime était exclue de la procédure pénale. Aujourd’hui, elle sera invitée à participer à une médiation, qui n’exclut pas la réparation de son dommage, voire une rencontre avec son agresseur. En outre, suite à la commission de certains faits d’agressions physiques, les victimes bénéficieront, si elles le souhaitent, d’une aide psychologique et sociale destinée à les soutenir dans l’épreuve de leur rétablissement. Enfin, leur avis sera demandé devant le tribunal d’application des peines, quant à une libération anticipée de leur agresseur suivant des conditions présentées par sa défense à cette juridiction.
Et c’est là que le bât blesse.
La défense de Michèle Martin a introduit régulièrement une demande de libération anticipée. La décision y faisant droit a été fortement critiquée par les victimes et les réactions citoyennes.
Que faut-il en penser ?
La juste place de la victime dans le procès pénal est aujourd’hui assurée, sans critiques possibles. D’ailleurs, il ne saurait être question de remettre ces droits et prérogatives en question. Sauf peut-être à réfléchir sur la procédure devant le tribunal d’application des peines. Est-il raisonnable, souhaitable de donner la parole à la victime sur une requête spécifique qui ne concerne plus l’enquête, ni la réparation du dommage ? Comment l’avis de la victime ou de sa famille peut-il être un élément positif d’appréciation ? Après dix ans, le pardon ou le non pardon ne constituent pas des éléments objectifs d’appréciation. Le procès n’est pas le deuil de la victime (voir les déclarations du père d’Elisabeth Brichet, qui en parle comme d’une souffrance nouvelle, et non d’une libération). Mais rouvrir les anciennes plaies paraît s’ajouter aux épreuves antérieures, plutôt que de les apaiser.
Quant aux réactions citoyennes, ne doivent-elles pas être contenues ? L’empathie par rapport à la douleur des autres ne trouve-t-elle pas sa source dans des problèmes personnels projetés ? L’ennemi de la justice, c’est la vengeance. La société démocratique se doit tant de respecter le statut des victimes, que dans la difficile balance des sentiments, trouver le chemin de la réinsertion. A défaut, la violence risque de prendre le pas sur la paix sociale. Mais pour cela, il faut de la distance. Et se remettre soi-même en question.
Votre point de vue
Guy LAPORTE Le 16 juin 2011 à 12:14
Ancien magistrat moi-même, je partage totalement l’analyse de Monsieur Michel Claise qui montre bien l’erreur de perception du grand public quant au statut et au rôle de la partie civile dans le procès pénal. Je rencontre parfois ce problème dans la vie de tous les jours en discutant avec des personnes de mon entourage. Les notions de "civil" et de "pénal" sont rarement bien distinguées, et la sanction pénale est souvent analysée comme une satisfaction morale donnée à la victime, voire une sorte de vengeance celle-ci, vengeance dont l’appareil judiciaire serait l’instrument. On met ainsi le doigt sur un plus vaste problème, celui de l’information des citoyens quant au rôle, à la place et au fonctionnement des différentes institutions de nos systèmes démocratiques, parmi lesquelles le service public de la justice.
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HORATIO Le 9 janvier 2012 à 17:18
De quel droit, les "professionnels du droit" s’arrogent-ils, du haut de leur tour d’ivoire, le pouvoir de décider ce que le public peut ou ne peut pas ressentir ?
Cet ukase de "réinsertion" et de libération avant terme, conjugué à la faiblesse des peines au départ pour des faits graves et au délai pour appliquer éventuellement une peine sont la source de l’insécurité omniprésente. Les peine de prison, avant d’être une "punition", sont avant tout une protection de la société pour éviter la récidive.
L’adage "Il vaut mieux 10 coupables en liberté qu’un innocent en prison" est à remplacer par "Il vaut mieux un innocent en prison que dix nouvelles victimes de 10 coupables libérés à mauvais escient".
Les faits les plus graves (p. ex. meurtre crapuleux de sang froid) devraient conduire à une mise hors circuit définitive de l’auteur de ces faits.
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