Tribunal de la famille : le monstre du Loch Ness va-t-il enfin sortir de son antre ?

par Didier Pire - 19 décembre 2011

La Chambre des représentants a adopté en juillet dernier le « projet de loi portant création d’un tribunal de la famille et de la jeunesse ». Le Sénat vient d’entamer la discussion à propos de ce texte. Cette réforme est attendue depuis des décennies et devrait remédier à l’incroyable morcellement que connaît actuellement le contentieux familial.

Didier Pire, avocat au barreau de Liège, maître de conférence à l’université de Liège, membre du Conseil supérieur de la justice, nous en dit plus.

1. Enfin ! Les travaux relatifs à un tribunal de la famille se concrétisent sérieusement.

Voici, en quelques mots, d’où l’on vient et vers où l’on va.

D’où venons-nous ? La situation actuelle

2. Comme on le sait, la situation actuelle du contentieux familial en Belgique relève du surréalisme le plus total. Qu’on en juge :
 Lorsque des personnes mariées sont en litige mais ne veulent pas divorcer, c’est le juge de paix qui règle l’hébergement des enfants, les pensions alimentaires, le partage provisoire du mobilier, etc.
 Dès qu’une instance en divorce est introduite, c’est le président du tribunal de première instance siégeant en référé qui devient compétent.
 Pour le divorce proprement dit, c’est le tribunal civil.
 Dès que le divorce est terminé, le tribunal de la jeunesse peut être saisi en matière d’autorité parentale, le juge de paix pour les pensions alimentaires et le tribunal civil pour le partage du patrimoine !
 Pour les cohabitants légaux, le juge de paix peut intervenir mais les mesures qu’il prend ne peuvent durer plus d’un an et ensuite, comme pour les divorcés, c’est le tribunal de la jeunesse, le juge de paix, etc.
 Enfin, les personnes qui n’ont jamais été mariées ne s’y retrouveront pas davantage puisqu’elles devront recourir au tribunal de la jeunesse pour les enfants, au tribunal civil pour le partage de leurs biens, etc.

Vers où allons-nous ? Les grandes tendances du projet de loi à l’examen au Sénat

3. Cette situation est intolérable et est unanimement dénoncée depuis des décennies. Plusieurs propositions de loi avaient déjà été examinées mais celle-ci semble enfin tenir la route.

Il s’agit d’une proposition de loi d’origine parlementaire qui a été traitée de manière relativement rapide puisqu’elle a été déposée en novembre 2010 et votée à la Chambre en juillet 2011. Sachant que le texte modifie 105 articles du Code civil, 150 articles du Code judiciaire et pas mal de lois particulières, on mesure l’ampleur du travail accompli.

Le texte est à l’ordre du jour de la Commission de la justice du Sénat, qui vient d’entamer ses travaux.

L’espoir est renforcé à la lecture de la déclaration du tout nouveau Gouvernement (p. 147) : « Dans un souci d’efficacité, un tribunal de la famille sera créé pour mettre fin au morcellement des compétences en matière familiale entre le tribunal de 1ère instance, le juge de la jeunesse et le juge de paix ».

4. Examinons les grandes lignes de ce projet.

5. Tout d’abord, il sera institué dans chaque arrondissement judiciaire un « tribunal de la famille et de la jeunesse » qui sera composé de juges spécialisés (la spécialisation concerne également les membres du ministère public).

Ce tribunal se composera des chambres de la famille (qui constitueront « le tribunal de la famille »), des chambres de la jeunesse (qui constitueront « le tribunal de la jeunesse ») et des chambres de règlement à l’amiable.
Au niveau des cours d’appel, même schéma : chambres de la famille, chambres de la jeunesse et chambres de règlement à l’amiable.

Curiosité du système : les chambres de règlement à l’amiable seront facultatives puisque leur mise en place sera soumise à l’appréciation du chef de corps du tribunal. On peut s’interroger quant à la constitutionnalité de cette mesure au regard du principe d’égalité.

6. Le tribunal de la famille sera compétent pour tout le contentieux familial actuellement dispersé. Il traitera de la matière de l’état des personnes (divorce, filiation, etc.), des mesures relatives aux conséquences de la séparation (fixation des résidences séparées durant la procédure, autorité parentale, hébergement des enfants, pensions alimentaires, etc.) mais aussi des questions patrimoniales (successions, liquidations-partages, etc.)

Il n’y aura donc plus de juge différent selon que les parties sont mariées, en instance de divorce, cohabitantes légales, séparées ou divorcées.
Après de longues discussions, la Chambre a décidé de ne pas donner de compétence particulière pour les litiges entre concubins car le statut de ceux-ci n’est, en réalité, pas réglé par la loi. En revanche, les litiges entre ex-concubins relatifs à leurs enfants relèveront, comme les autres, de la compétence du tribunal de la famille.

7. Pour rééquilibrer la charge de travail, les juges de paix (qui se voient retirer tout le contentieux familial), verront leur compétence générale majorée à 3.000 € (actuellement 1.860 €). Ils reçoivent également tout ce qui concerne la problématique des incapables (minorité prolongée, etc.) ainsi que toute une série de compétences administratives (funérailles et sépulture, séquestre, etc.).

8. Le tribunal de la famille qui devra être saisi sera celui de l’arrondissement du domicile de l’enfant (avec des règles spéciales lorsqu’il n’y a pas d’enfant).

9. La procédure est également modifiée. Il est institué pour chaque famille un « dossier familial », qui suivra le contentieux à long terme (« Une famille, un dossier »). De manière répétée, la médiation et la conciliation sont favorisées notamment en permettant de renvoyer, à tous les étages, le dossier à la chambre de règlement amiable (si elle est instituée).

10. Le projet prévoit que toutes les mesures qui concernent concrètement les rapports entre les parties et/ou leurs enfants seront réglées selon une procédure d’urgence (formes du référé). Il s’agit de la fixation des résidences séparées, de l’autorité parentale, de l’hébergement des enfants, des obligations alimentaires et des enlèvements internationaux d’enfants. Pour ces mesures, l’urgence est présumée de sorte qu’on appliquera la procédure rapide (référé) sans devoir prouver qu’il y a urgence (et dans les autres cas, si l’on invoque l’urgence et que le juge considère finalement que tel n’est pas le cas, il renverra la cause à une audience ultérieure, alors qu’aujourd’hui, sauf exception, lorsque le juge des référés constate qu’il n’y a pas urgence, il rejette la demande).

11. Le nouveau tribunal disposera des mêmes pouvoirs que ceux dont disposent actuellement les juridictions chargées du contentieux familial. Il pourra prendre des mesures de contraintes (contraintes en matière financière, en matière d’hébergement d’enfant,…) ou d’investigation (enquête sociale ou de police, etc.).

12. La procédure de l’audition des mineurs est également réformée. Actuellement, les règles ne sont pas les mêmes selon que l’on plaide devant un juge ou devant un autre ! Le système sera uniformisé. Dès qu’un enfant a 12 ans il sera obligatoirement convoqué (et recevra un document d’informations qui lui indiquera notamment qu’il peut consulter un avocat). Si l’enfant a moins de 12 ans, le juge pourra l’entendre à la demande de l’enfant lui-même ou d’une des parties.

Dans le cadre de l’aide juridique fournie par le barreau, des « avocats de mineur » seront désignés et ils recevront une formation particulière.

13. Enfin, un certain nombre de règles de fond sont projetées notamment pour rencontrer des difficultés actuelles qui découlaient du morcellement des compétences. Par exemple, dans l’état actuel des choses, les exigences pour le droit à une pension alimentaire entre personnes mariées varient selon qu’on est devant le juge de paix (avant le divorce) ou le juge des référés (pendant le divorce), alors que l’état civil des personnes est toujours le même ! Dans le premier cas, la partie qui sollicite la pension alimentaire doit prouver une faute dans le chef du débiteur mais pas dans le second… Le texte du projet supprime la référence à la faute dans tous les cas.

14. On clarifie également les règles pour ce qui concerne la durée des mesures qui sont prises (actuellement c’est un peu le chaos puisqu’on peut plaider à plusieurs reprises le même dossier devant des magistrats différents sans que ceux-ci ne s’inquiètent de ce que leurs collègues avaient décidé précédemment…).

On ne peut donc qu’approuver les grandes lignes de ce projet de loi qui, on l’a souligné, est attendu par tous depuis très longtemps.
Un certain nombre d’amendements devront nécessairement être adoptés par le Sénat car il comporte, et c’est normal pour un ouvrage de cette ampleur, des lacunes techniques.

On peut évidemment craindre que le Gouvernement qui vient d’être installé alimente le Parlement d’un nombre considérable de projets dans les prochains mois. Espérons néanmoins que celui-ci ne soit pas négligé pour autant…

Votre point de vue

  • Marem
    Marem Le 6 janvier 2014 à 20:21

    Bonjour,

    Je voulais savoir si ce texte de loi a été adopté avec bicaméralisme STRICT ou OPTIONNEL ?

    Merci d’avance !

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  • virginie
    virginie Le 1er novembre 2012 à 15:49

    bonjour je suis étudiante et nous devons faire un débat sur le tribunal de la famille et je l’avoue nous avons beaucoup de mal a trouver des arguments négatifs... :( pourriez vous m’aider ?
    merci d’avance

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  • BLAUDE M.Denise
    BLAUDE M.Denise Le 26 décembre 2011 à 18:38

    On ne peut qu’évidemment souhaiter que soient enfin créés (à l’instar du JAF français ?) ces “tribunaux de la famille” en Belgique si ainsi ne seraient désormais plus possibles que “tombent à plat” de Référés pour mesures urgentes et provisoires avant divorce parce que la partie la plus “malicieuse” aura obtenu, à force de reports, que le Jugement divorce survienne devant une autre Chambre AVANT ce Référé !

    Et si dès lors plus de possibilité non plus pour cette partie "malicieuse" de faire valoir devant le Juge de Paix une « occupation gratuite de l’immeuble conjugal par la demanderesse » pour voir “tempérer” le montant réclamé par celle-ci en pension alimentaire après divorce

    Et plus d’utilisation par la suite -toujours par la même partie “malicieuse”- de toutes sortes de manœuvres dilatoires dans le cadre de la liquidation après divorce pour bloquer ainsi toute demande de révision et fixation de cette pension ...

    Et de pouvoir se réjouir pendant cette même décennie de voir « gonfler » le prix de l’immobilier au même titre que...le montant des indemnités y réclamées alors pour cette occupation de l’ancien immeuble conjugal !

    Plus de notaires liquidateurs “sourds” à des demandes répétées par l’autre partie de “vider” cette question ainsi que celle de l’attribution préférentielle réclamée à diverses reprises, etc…..

    Et ainsi, plus de “nouveau” Juge de Paix qui recevrait défavorablement une demande de révision de pension alimentaire parce que bien “tardive” etc..

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  • Michel WILLEKENS
    Michel WILLEKENS Le 27 décembre 2011 à 11:32

    Lorsqu’ils divorcent les parents ne sont pas des délinquants ! Et leurs enfants ne sont pas des usufruits ! Ils n’ont donc rien à faire… ou très rarement… dans les affres de la prétendue justice prétendue familiale ! La justice est incapable de gérer quoi que ce soit dans les conflits de couples ! Il y a plus de 60 % des divorces qui sont conflictuels, et il y a +- 2,5 fois plus de séparations d’unions libres ! Les divorces sont devenus des commerces indécents, où des avocats n’hésitent pas à mentir pour tromper les juges ! Bref, ces Juges familiaux font « du n’importe quoi » et cette « Justice familialiste » est un véritable « Bric-à-brac » où les juges sont aussi en dehors des sujets de sociétés, en dehors du monde… Les experts « psy » n’ont pas de normes uniformes

    Plusieurs pays s’inquiètent de la sécurité et de la paix des ménages et ont mis sur pieds des mesures efficaces. On peut citer le Modèle de Cochem, du Juge Rudolph Jürgen, qui est bien encadré dans un cadre législatif et qui permet… surtout… d’éviter l’installation de l’aliénation parentale… les enfants ont besoin de leurs 2 parents pour assurer leur bien-être ! C’est ce que les juges oublient avant tout…
    (...)

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  • Michel WILLEKENS
    Michel WILLEKENS Le 27 décembre 2011 à 11:34

    Il est étonnant que l’on ne s’en inquiète pas depuis plus de 35 ans ! Car cela permettrait de faire épargner à la Belgique, chaque année, entre 330 millions et 1 milliard d’€.

    Dans l’attente d’un cadre législatif qui imposerait la méthode aux autres tribunaux, il est intéressant de noter que les données neurobiologiques récentes démontrent la gravité de lésions cérébrales (et cardiaques…) durables chez des enfants (et adultes) pris au piège de longues procédures et donc de conflits persistants et entretenus !

    En résumé, une séparation est un désastre pour les enfants et pour les parents qui n’ont pas demandé la séparation ou le divorce, car on détruit plus que ce que l’on construit !

    Merci de diffuser tout azimut… sans oublier vos élus politiques.

    Répondre à ce message

  • BLAUDE M.Denise
    BLAUDE M.Denise Le 30 décembre 2011 à 03:46

    Dans la “prolongation” du sujet actuel mais certainement de même que des centaines de milliers d’autres justiciables lambdas et de réelles “personnes de terrain”, je pense rejoindre le souhait de Mr WILLEKENS d’être “entendus” au même titre que les “techniciens de haut vol” dont s’entourent nos responsables politiques pour l’élaboration des lois !

    Ainsi, sauf erreur, en avril 2012, c’est la liquidation partage qui sera “officiellement révisée”…. : Si un point positif en ressort (des délais seront enfin imposés à ces “auxiliaires de justice” que sont les notaires en cette matière !), cependant que ceux-ci étaient déjà désignés comme “premiers juges” en matière de difficultés, que penser du dorénavant “seul notaire à bord” tel que prévu mais qui ferait dès lors d’autant plus fi de ces “devoirs du notaire commis “ lesquels ne relèvent que trop souvent de voeux pieux au même titre que certaines “synthèses de colloques” et autres chartes de déontologie….?

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  • Michel WILLEKENS
    Michel WILLEKENS Le 1er janvier 2012 à 16:33

    Chère Madame BLAUDE M.Denise, j’ignore quelle est votre formation et votre profession, mais je peux vous certifier qu’en 18 ans, c’est bien la première fois que je lis une telle « formulation » aussi intelligente : « je pense rejoindre le souhait de Mr WILLEKENS d’être “entendus” au même titre que les “techniciens de haut vol” dont s’entourent nos responsables politiques pour l’élaboration des lois ! ». En effet, les « techniciens de haut vol » n’y connaissent RIEN, ou TROP PEU, par rapport aux « Expert d’expériences » !
    Bien sûr que l’« On » fait des lois en contradiction totale du bon sens… et où il faut attendre 1 génération ou 2 pour voir aboutir un projet de loi.
    Et en plus, « On » préfère détruire des familles que de les aider. En ce qui concerne les Notaires, chargés par la Justice, de « liquider la succession » je peux dire que j’ai été complètement spolié en raison de la perversité de mon « Ex ». Je peux en témoigner. Et si l’on m’a fait ça, c’est parce que c’est leurs manières de procéder, sans aucune contrainte légale… La liquidation partage, par Notaire, c’est du bric-à-brac, ni plus ni moins, parce qu’il n’existe pas de « Service après vente » de la « Prétendue Justice familiale ».
    Je peux vous donner de plus amples informations à ce sujet. (Porte parole de plus de 10.000 pères victimes des conflits après rupture willekens.michel@hotmail.com ) - Bien cordialement

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  • BLAUDE M.Denise
    BLAUDE M.Denise Le 3 janvier 2012 à 15:54

    Bonjour Monsieur WILLEKENS
    Avant tout, je vous dirai que le seul métier que j’ai jamais exercé a été celui d’une simple employée de bureau et que mes formulations sont vraisemblablement (et malheureusement) dues aussi au fait de recherches personnelles "tous azimuts" pendant près de 10 ans à propos de mon "propre" vécu (d’où mes deux commentaires). Cela dit, si mes enfants ne sont pas non plus sortis indemnes du divorce de leurs parents, au moins ils étaient de grands adolescents mais vous prêchez une convaincue ! : on ne voit que trop de bambins "tiraillés", manipulés et, oui, même utilisés tels des objets de chantage ! Bien souvent, ils n’ont même plus non plus de "havres de paix" comme les domiciles de grand-parents NEUTRES (!) pour "souffler un peu". Ainsi, pour revenir en même temps (et quand même !)au sujet initial, souhaitons que ces Tribunaux de Familles projetés veillent à être composés de "Sages" au sens le plus noble du terme. Cordialement,

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