Les sanctions administratives communales : vers où va-t-on ? Qu’en sera-t-il pour les mineurs de quatorze ans et plus ?

par Emmanuel Slautsky - 23 octobre 2012

Le 5 octobre 2012, le Conseil des ministres a approuvé la réforme de la législation applicable aux sanctions administratives communales (cliquez ici). Cette réforme, qui doit encore être adoptée par le Parlement, étend notamment la liste des infractions pour lesquelles une sanction administrative peut être imposée, ainsi que la liste des sanctions administratives existantes (amendes, prestations citoyennes, interdictions de lieu, etc.).

Cette réforme vise, dans la lignée de l’accord du gouvernement du 1er décembre 2011, à lutter de façon plus efficace contre les incivilités. Le Gouvernement entend également, à cette fin, abaisser à 14 ans l’âge à partir duquel une sanction administrative pourrait être imposée par une commune. Le projet gouvernemental a suscité de nombreuses critiques, notamment de la part d’associations de protection des droits de l’homme et de la jeunesse (voy. not. ici).

Emmanuel Slautsky, aspirant auprès du Fonds national de la recherche scientifique (Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles), nous livre quelques éléments d‘explication sur les enjeux juridiques de ce débat.

1. En règle, dans un Etat de droit, il revient au pouvoir judiciaire de réprimer, par l’application du droit pénal, les infractions commises. Le système pénal doit, en outre, être organisé de telle sorte que les droits de la défense et la présomption d’innocence des personnes poursuivies sont respectés.

2. A la fin des années ’90, le législateur a toutefois estimé que le système judiciaire pénal, surchargé par le nombre d’affaires à traiter, n’était plus en mesure de donner une réponse efficace aux infractions légères et aux incivilités. Celles-ci restaient, partant, le plus souvent impunies.

Sur la base de ce constat, le législateur a décidé de permettre aux communes de sanctionner elles-mêmes, par la voie administrative (c’est-à-dire sans devoir attendre que le système judiciaire pénal se saisisse du cas), les infractions à leurs règlements communaux et certaines infractions pénales limitativement énumérées commises sur leur territoire, pour autant, dans ce dernier cas, que celles-ci ne fassent pas l’objet de poursuites judiciaires.

L’objectif du législateur était, ce faisant, de mettre fin à une certaine impunité en déchargeant le système judiciaire, au profit des communes, d’une partie de la répression des infractions les moins graves.

Il existait déjà un système de sanctions administratives organisé au niveau des ministères, par exemple celles prévues par la loi du 30 juin 1971 ‘relative aux amendes administratives applicables en cas d’infraction à certaines lois sociales’, aujourd’hui intégrées dans le Code pénal social, faisant l’objet de la loi du 6 juin 2010.

3. Dès l’origine, les sanctions administratives ont suscité la crainte que, pour certains faits, soit mis en place un droit pénal au rabais, offrant moins de garanties que le droit pénal classique. Répondant à cette préoccupation, tant les juridictions belges que la Cour européenne des droits de l’homme ont balisé les limites de ce qui était acceptable du point de vue de la répression administrative.

La Cour constitutionnelle a ainsi, d’abord, rappelé à de nombreuses reprises que les principes d’égalité et de non-discrimination faisaient obstacle à ce que le régime juridique applicable à l’infliction d’une sanction administrative soit trop différent, sans raison objective, de celui applicable en matière pénale.

Lorsqu’un fait peut à la fois être sanctionné pénalement et administrativement, il ne serait en effet, par exemple, guère justifiable que le justiciable bénéficie de garanties substantiellement inférieures en se voyant imposer une sanction administrative par rapport à celles dont il aurait bénéficié s’il s’était agi d’une sanction pénale.

De la même manière, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle fréquemment que la Convention européenne des droits de l’homme impose aux Etats parties de garantir le principe de non-cumul des sanctions et de non-rétroactivité des délits et des peines, le droit d’accès à un juge et le caractère équitable des procès dès lors qu’il est question d’une sanction pénale au sens de la Convention et ce, quelle que soit la qualification de cette sanction au regard du droit interne, c’est-à-dire quelle que soit la manière dont cette sanction est appelée dans la terminologie utilisée par la loi à appliquer.

Or, bien souvent, les sanctions administratives belges revêtent un tel caractère pénal au sens de la Convention, même sans être des sanctions pénales au regard du droit belge. Le législateur belge ne pourrait, dès lors, pas priver les justiciables, par le recours à un système de répression administrative, des garanties qui leur sont offertes par la Convention. Au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, un justiciable sanctionné devra par exemple ainsi toujours pouvoir demander à un juge de se prononcer sur le bien-fondé de la sanction administrative qui lui aurait été imposée.

4. La réforme envisagée actuellement par le Gouvernement s’inscrit dans la tendance qui consiste à étendre, pour des motifs d’efficacité, la répression administrative à des faits toujours plus nombreux.

Un des points les plus contentieux de cette réforme tient à l’abaissement à 14 ans de l’âge à partir duquel une sanction administrative pourrait être imposée par une commune. La question se pose, à cet égard, de savoir s’il peut être justifié qu’un mineur puisse, dès 14 ans, se voir imposer une sanction par l’administration communale au terme d’une procédure administrative, sans intervention préalable d’un juge, alors que, sur le plan pénal, ce même mineur serait exclusivement justiciable du tribunal de la jeunesse, ne pourrait se voir imposer que des mesures de protection et bénéficierait de règles procédurales particulières.

La réponse à cette question n’est pas encore tranchée. On peut toutefois relever que la Cour constitutionnelle a, par le passé, déjà admis que mineurs de plus de 14 ans puissent être sanctionnés administrativement, moyennant certaines garanties procédurales spécifiques inspirées de celles existantes dans le droit pénal de la jeunesse (présence d’un avocat, médiation préalable, possibilité de recours devant le tribunal de la jeunesse, etc.). Tel fut le cas par exemple pour les sanctions administratives prévues par la loi du 12 décembre 1998 ‘relative à la sécurité lors des matches de football’.

Dans son projet de réforme, s’inspirant vraisemblablement de cette jurisprudence, le Gouvernement a annoncé avoir prévu certaines garanties particulières en même temps que serait abaissé à 14 ans l’âge à partir duquel une sanction peut être imposée. Reste à savoir si celles-ci seront suffisantes pour permettre à la réforme à venir de passer le cap d’un éventuel recours qui serait introduit devant la Cour constitutionnelle.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 25 octobre 2012 à 07:56

    Il est clair qu’il faut responsabiliser les mineurs mais aussi et surtout les parents. Pour ce qui est des sanctions administratives au niveau communal, l’expérience que j’ai vécue me fait encore bondir aujourd’hui. Nos voisins immédiats, faisant fi du règlement communal en promenant et/ou laissant circuler leur chienne sans laisse sur la voie publique, nous ont occasionné des nuisances diverses : agressions sur notre chienne, aboiements intempestifs de la part de la leur, incommodité de passage en longeant la propriété, e.a. Nous avons fait appel au 101 (comme recommandé par nos autorités locales), déposé plaintes (5 fois), rencontré notre bourgmestre, le commissaire de police et l’agent sanctionnateur (secrétaire communale), échangé pas mal de courriels, nous sommes portés "personnes lésées", avons poursuivi en justice et nous nous sommes retrouvés condamnés pour procédure téméraire et vexatoire. Visiblement, la "parole" de nos voisins (magistrats) a davantage de poids que la nôtre. Malgré le fait qu’une amende administrative de 250,00 Eur par infraction est prévue au règlement communal, rien hormis l’un ou l’autre (hypothétique ?) rappel ne leur fut adressé. Alors, l’impunité nous savons ce que c’est...Et cela nous révolte. Peut-être que face à des mineurs, non magistrats, la "justice" mettra plus d’ardeur à sanctionner ???Quant au tribunal de police, laissez-moi rire...J’ai vu de quoi il n’est pas capable...Dans l’absolu, beaucoup de moyens existent pour rendre une vraie justice mais cette "justice" est rendue par des humains trop souvent incapables de rester neutres et équitables, non partisans et simplement justes.

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 24 octobre 2012 à 14:53

    A mon sens, il faut ABSOLUMENT qu’on puisse trouver une solution acceptable en droit (Belge et Européen) pour pouvoir appliquer des sanctions adminsitratives,
    aux coupables de délits dès l’âge de 14 ans. MAIS il faut imposer le genre de sanctions possibles et mettre des limites à respecter par toutes les communes du territoire. De plus, il faut absolument éviter le passage par la Justice (trop lente).
    Par exemple via un Tribunal de Police,qui doit décider et agir vite, avec éventuellement une possibilité d’appel aux frais du déliquant, si sa condamnation est confirmée.

    Répondre à ce message

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous