L’avocat doit s’abstenir du port public de tout signe distinctif d’origine religieuse, philosophique, politique ou culturelle

par Lawrence Muller - 12 avril 2013

Une future étudiante en droit, de confession musulmane, qui envisage de devenir avocate ensuite, souhaite savoir si elle lui sera possible de travailler tout en portant le voile ; il ne s’agit pas du voile intégral.

Cette question a été tranchée par les autorités du barreau, en tout cas à Bruxelles, qui ont décidé que, dans l’exercice public de sa charge, l’avocat doit s’abstenir du port de tout signe distinctif d’origine religieuse, philosophique, politique ou culturelle.

Lawrence Muller, avocat au barreau de Bruxelles, nous explique le pourquoi de cette règle déontologique.

Le costume des avocats, à savoir la robe ou toge, est réglementé par la loi, plus particulièrement par l’article 441 du Code judiciaire et un arrêté royal du 30 septembre 1968.

Selon cet arrêté royal, « la toge que portent les avocats est de tissu de laine noire, fermée devant, à manches larges et à rabat blanc plissé. Elle est revêtue de l’épitoge, pièce de tissu de laine noire, froncée en son milieu, garnie aux extrémités d’un rang de fourrure blanche, qui se place sur l’épaule gauche et pend sur la poitrine et sur le dos ».

Il est de tradition – et le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles l’a rappelé en novembre 2002 – que la robe d’avocat se porte sans décoration ni signe distinctif apparent, ni bijou, notamment d’ordre religieux, philosophique ou politique (Lettre du barreau, année judiciaire 2002-2003, n° 3, p. 223). Ce sont les principes d’égalité et d’indépendance qui justifient que l’avocat, dans l’exercice public de sa charge, s’abstienne du port de tout signe distinctif d’origine religieuse, philosophique, politique ou culturelle.

Le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a précisé que l’exercice public de la charge d’avocat dont il est question ci-dessus s’entend notamment de la représentation de ses clients devant les cours et tribunaux, de l’exécution des mandats de justice, des relations avec le bureau d’aide juridique et des visites aux greffes et prisons (Recueil des règles professionnelles, n° 148).

Au nom du principe d’égalité et à propos de la kippa, la commission de déontologie de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a rappelé en janvier 2007 que les avocats ne peuvent porter aucun signe ostentatoire montrant une appartenance religieuse.

En septembre 2009, le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a déjà été saisi de la demande d’une jeune femme ayant obtenu un master en droit et souhaitant s’inscrire à la liste des avocats stagiaires, de porter le voile musulman dans l’exercice quotidien de sa future profession d’avocat et, notamment, lorsqu’elle plaiderait devant les cours et tribunaux (Recueil des règles professionnelles, n° 148).

Le conseil de l‘Ordre a estimé devoir rester à l’écart de toute considération religieuse, philosophique, politique ou culturelle sur le sens du voile musulman, et n’examiner la question que sous l’angle déontologique de la compatibilité de tout signe distinctif religieux ou philosophique avec l’exercice de la profession d’avocat.

Il est à noter qu’un Ordre d’avocats n’a pas compétence exclusive à répondre à la question posée, l’interprétation des dispositions légales et, en particulier, de l’article 441 du Code judiciaire et de son arrêté royal d’exécution du 30 septembre 1968, dont il est question plus haut, ainsi que la question de la compatibilité de l’interdiction du port de tout signe distinctif basée sur ces dispositions avec l’article 9, § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui, pour rappel, garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion, relevant de la compétence des cours et tribunaux.

Il en va de même de l’article 759 du Code judiciaire, selon lequel « celui qui assiste aux audiences se tient découvert ».

Pour en revenir à la demande de notre correspondante de pouvoir porter le voile musulman dans l’exercice de sa future profession d’avocat, le conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles a rappelé les principes d’égalité et d’indépendance dont il est question plus haut.

Le conseil a considéré que les avocats doivent être traités d’une manière égale dans l’exercice public de leur profession et que le port d’un signe distinctif dans la pratique de celle-ci est de nature à rompre cette égalité.

Le conseil de l’Ordre a considéré par ailleurs que l’avocat est un des acteurs d’une justice indépendante et que le principe d’indépendance impose que, notamment dans l’exercice de ses fonctions de représentation de ses clients, l’avocat ne fasse état ni n’exprime d’une manière ou d’une autre ses conceptions philosophiques, politiques, religieuses ou culturelles.

Le conseil a en outre rappelé que l’avocat bénéficie du monopole, consacré par l’article 440 du Code judiciaire, de la plaidoirie devant les juridictions, et il a considéré que ce monopole entraîne des obligations, dont celle de ne défendre ses clients qu’avec le verbe et l’écrit et sans recours à des signes distinctifs ou à des symboles d’appartenance à un groupe ou à une communauté déterminés.

Il est donc plus vrai que jamais que l’avocat, dans l’exercice public de sa charge, doit s’abstenir du port de tout signe distinctif d’ordre religieux. En revanche, en dehors de cet exercice public, par exemple dans son cabinet, l’avocat peut en principe arborer les signes convictionnels de son choix.

Votre point de vue

  • jfreeman
    jfreeman Le 18 janvier 2015 à 10:43

    Le naturisme, c’est pourtant le respect de l’autre, en particulier dans sa différence. De plus, visiblement, la loi ne bannit pas le port du voile dans l’enseignement supérieur. D’ailleurs, elle ne bannit pas non plus officiellement la nudité bien que certains magistrats aient tendance à utiliser cette "tarte à la crème" liberticide qu’est l’article 222-32 du code pénal.

    Aussi, si ces informations sont correctement rapportées, je regrette que ce professeur n’est pas su garder son "sang froid" en se prétendant, en plus, naturiste. Personnellement, je rêve d’un monde où je puisse être accueilli nu dans une église, une synagogue ou une mosquée et où un religieux enturbanné puisse déambuler, sans réactions hostiles, dans un centre naturiste.

    Jacques de l’APNEL

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 14 avril 2013 à 14:45

    Ma première réaction fut de ne pas réagir tellement cela me paraît évident comme décision du barreau...Puis à la lecture et la re-lecture plus réfléchie tant de l’article proposé que des commentaires, je tiens à marquer mon total accord avec messieurs Louant (qui excelle dans cet écrit) et Skoby (dont je rejoins régulièrement les avis). Si, comme le suggère monsieur Kaninda, cette future étudiante en droit s’inquiète et s’interroge, de façon plus ou moins spontanée, sur la permission du port du voile, même si pas intégral, si longtemps avant d’être amenée "à prester son serment d’avocate" et donc bien avant de défendre les intérêts de clients, m’amène à m’interroger mais surtout à douter par rapport à la réelle volonté de cette jeune femme à s’intégrer réellement dans notre société laïque. J’approuve complètement le point de vue du barreau et ne peux que m’en réjouir : cette question clairement posée a, à tout le moins, l’avantage d’avoir entraîné une réponse clairement donnée. Il est vrai qu’avec les musulmans, à cause de l’aspect religieux qu’ils mêlent à tout, il faut impérativement être clair et prévoir tous les cas de figure car, à défaut, l’absence de règles fermes et contractuelles les encouragent et les amènent forcément à trouver la brêche, à s’y installer et à l’utiliser à leur(s) avantage(s). Bravo pour cette décision. Visiblement, cette question revient épisodiquement : il faut donc rester vigilant et ne rien céder. Il ne faut pas que nous soyions dupés à l’usure. Seules nos règles doivent primer et exister : aux autres de s’y faire et de s’adapter, pas le contraire. Quand on a la chance d’étudier, de travailler et donc de s’épanouir chez nous, il faut respecter nos règles et ne pas chercher à les contourner, ne pas sans cesse tenter de les retourner : c’est cela aussi le vivre ensemble. La vie en société c’est tout autant avoir des devoirs que jouir des droits.

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  • Docteur LOUANT
    Docteur LOUANT Le 13 avril 2013 à 12:01

    que dirait cette Dame si en Arabie Saoudite ou au Yemen un Avocat venait plaider en soutane et col romain ou en bure de franciscain ?
    La toge d’avocat fait de ce dernier « la voix »éclairée du comparant, évitant à la Cour de devoir subir l’échevaud mal démêlé des tenants et aboutissants de l’affaire tel qu’il ne peut être utilement exposé si on n’est pas compétent pour se référer aux Codes et Lois.
    La toge est l’uniforme de cette voix qui exprime et expose les choses en référence aux Codes et Lois de façon à ce que la Cour puisse suivre le raisonnement ou le réfuter en référence à ces Codes et Lois. Ces Codes et Lois devant être les mêmes pour tous les citoyens du Pays La neutralité totale doit être visible et perçue Rien n’empèche cette Dame de porter le voile dans son Cabinet privé.
    L’exposé de Madame Lawrence Muller est édifiant et devrait être lu par beaucoup

    • Dr KANINDA
      Dr KANINDA Le 13 avril 2013 à 18:00

      Confrère LOUANT,
      J’ai lu et relu l’éclairage de Maître MULLER. Du texte même de cette spécialiste du Droit qui a très bien résumé l’état de la question, il ressort très clairement que l’AR réglementant les caractéristiques de la robe noire de la profession n’interdit nullement d’y adjoindre des signes relevant de l’élégance, la coqueterie ou indiquant son mérite ou son adhésion à une cause... lors de son port

      Une main jaune (Touche pas à mon pote), sa décoration de la Légion d’honneur ou Commandeur de l’Ordre de Léopold, une broche, un diamant serti ou le logo de "Ni pute ni soumise" ... etc...etc... ce n’est pas interdit.

      Le Législateur dans sa très grande sagesse a prescrit l’essentiel pour notre vivre-ensemble sans verser dans le détail tâtillon, sinon débile et quasi fascisant du contrôle par le "socialement correct" ou "politiquement correct" qu’il a pris soin de laisser au libre-arbitre et au bon sesn de chacun/chacune dans le contexte de son époque.

      Un autre exemple : le Législateur permet au Ministère Public (ou Parquet en termes courants) de réprimer les troubles portés à l’ordre public et de maintenir l’ordre public par tous moyens qu’il jugera nécessaires.

      Pour autant depuis 1830 jusqu’à ce jour du 13 avril 2013, le Législateur n’a pas entendu et n’a jamais défini par extension, par le menu détail, de manière exhaustive toutes les situations pouvant/devant être considérées comme des troubles portés à l’ordre public.

      Une loi règle ce qui est général pas ce qui est particulier comme certaines personnes tentent d’incruster subrepticement leur confession dans nos sociétés laïques par petites touches progressives ou pire en "polluant" notre vie publique en Belgique de certaines questions cruciales parfois vitales importées du Moyen-Orient sous couvert de religion.

      Il me faut conclure : cette future étudiante (pas encore étudiante et donc pas encore future stagiaire ou future avocate) s’angoisse donc avant même d’avoir passé son premier examen de 1ère année de Droit de ce que "sa" communauté va penser d’elle 5 ans plus tard lorsqu’elle aura prêté son serment d’avocate !

      Soyons sérieux, dans le contexte actuel, cela me paraît relever d’un coup de sonde suggéré sinon téléguidé soit par sa famille, soit par un un imam ou encore par une institution (personne morale) qui s’angoisse comme la future étudiante de cette question qui n’est pas métaphysique ni existentielle mais à leurs yeux capitale pour leur "self-estim", estime de soi en français.

      Cette question du port du voile s’était déjà posée durant l’année 1990 jusqu’en Belgique. J’étais en 3ème année de spécialisation en gynécologie-obstétrique à l’Hôpital Universitaire BRUGMANN (service d’obstétrique et GHR du professeur Alain VOKAER) : chacun/chacune des assistant(e)s candidat(e)s spécialistes devait donner son opinion à la question de savoir si une jeune iranienne qui était en 5ème année de médecine pouvait porter le voile durant son stage de 4 semaines ou 8 semaines dans le service (la guerre Iran-Irak était encore dans nos esprits).

      Ma réponse fût la suivante : "si cette stagiaire portait un sari indien en soie et couverte jusqu’à la tête comme Madame Indira GANDHI, nous n’y prêterions pas attention. Nous trouverions même sa tenue sympathique. Par ailleurs, bien que je sois diplômé de l’UCL, je suis à l’ULB depuis 4 ans sur concours et je suis surpris de voir que cette question culturelle et de liberté personnelle est traitée avec une intolérance qui n’est pas digne ni de la laïcité, ni du libre examen ni de l’ULB. Ce d’autant plus que cette stagiaire fait correctement son travail et ne trouble en rien l’ordre public ni les bonnes meurs."

      Le professeur Marc L’HERMITE (chef de service) qui avait posé la question se rallia à mon point de vue qui et cette jeune femme continua et termina son stage.

      Revenons au cas abondamment documenté par Madame MULLER : le barreau de Bruxelles n’est pas le Parlement belge et ne peut légiférer ni prétendre imposer à ses membres (en règle de cotisation) une prétendue "tradition" ou "coutume".

      Si les avocats et avocates du Barreau de Bruxelles ne sont pas assez adultes et libres ce qui suppose qu’ils/elles sont responsables d’éventuels écarts au regard de la loi (trouble à l’ordre public) et non à l’égard de la déontologie qui n’est nullement contraignante dans les lieux publics mais facultative... alors il y a lieu de s’inquiéter de leur comportement "panurgique" sinon "crypto-hitlérien".

      Les avocats/avocates aident les spéculateurs, les candidats à l’évasion fiscale, les créateurs de richesses et autres fraudeurs comme le Dr CAHUZAC à violer la loi sans que leur barreau respectif s’en mêle. Pourquoi en serait-il autrement pour le port du voile qui est une question de liberté personnelle.

      En un mot comme en mille, ce qui n’est pas interdit est permis. Je ne peux pas être plus clair. Tout le reste dans l’excellent texte (très éclairant) de Maître MULLER relève de l’argument d’autorité. Donc irrecevable car non juridique donc illégal ou inconstitutionnel.

      Une dernière digression qui n’a rien à voir prima facies avec la question du voile : dans le Quotidien du Médecin (électronique) à la date du 09 avril courant, j’ai refusé de hurler avec les loups qui envisagent la radiation de notre confrère le Docteur CAHUZAC du Conseil National de l’Ordre des Médecins de France avant tout jugement et avant toute condamnation légale.

      Docteur Jean-Marie KANINDA, obstétricien-gynécologue

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  • skoby
    skoby Le 13 avril 2013 à 13:11

    Tout-à-fait daccord avec le Docteur LOUANT (voir ci-dessus)
    Rien à ajouter

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