Selon la réforme annoncée, le nombre d’arrondissements judiciaires va être ramené de 27 à 12. Ceux-ci correspondront aux dix provinces, à quoi il s’agira d’ajouter Bruxelles et Eupen, qui correspond au territoire de la région de langue allemande.
Les arrondissements seront donc étendus mais les lieux d’audience existants ont été maintenus, afin, dit-on au Gouvernement, de ne pas éloigner les citoyens des endroits où se rend la justice.
En diminuant le nombre d’arrondissements, Di Rupo Ier poursuit un objectif d’ordre budgétaire essentiellement, espérant réaliser des économies d’échelle et aboutir à un meilleur « management ». L’idée est aussi d’attribuer davantage d’autonomie au personnel, d’encourager la spécialisation, de résorber l’arriéré judiciaire par une rationalisation des moyens, etc. La réforme vise aussi la mobilité des magistrats et du personnel administratif.
Selon Mme Turtelboom, ministre Open VLD de la Justice, elle permettra de réagir plus efficacement aux besoins structurels ou occasionnels provoqués par la maladie d’un magistrat, le congé de maternité d’une juge, etc. Les magistrats continueront à être nommés au niveau du ressort de Cour d’appel (c’est-à-dire du territoire pour lequel chacune des cinq cours d’appel est compétente) mais ils cesseront d’être affectés à un arrondissement. L’accord gouvernemental prévoyait aussi la création d’une structure unique de gestion des tribunaux par arrondissement ou par ressort. La gestion des budgets et du personnel du pouvoir judiciaire devrait être décentralisée, ce qui impliquera une plus grande autonomie des chefs de corps. De cela, il sera question à l’occasion d’un futur conseil des ministres.
Un problème particulier se posait en Hainaut, province très vaste. Beaucoup plaidaient pour l’instauration de deux sous-arrondissements, histoire de réduire les déplacements mais aussi de ne pas faire correspondre l’arrondissement judiciaire avec le ressort de la cour d’appel. Le gouvernement a décidé de ne pas retenir la formule de deux sous-arrondissements. Mais, s’il n’y aura plus qu’un seul président de tribunal au niveau du siège, on comptera deux sièges administratifs au niveau du parquet, avec un procureur pour chacun d’eux. Les élus régionaux se disent satisfaits : ils estiment que la solution retenue permettra d’assurer à l’ensemble des Hennuyers un accès équitable à la justice.
Les projets vont être envoyés pour avis au Conseil d’Etat. Ils reviendront ensuite au Gouvernement pour une deuxième lecture avant d’être déposés au Parlement.
La réforme suscite en tout état de cause de nombreuses critiques.
En son temps, le président du Collège des procureurs généraux avait transmis à la Ministre de la Justice un avis globalement favorable mais qui n’en posait pas moins certaines questions. Il insistait notamment sur la nécessité de prévoir des moyens suffisants en vue du recrutement de personnel administratif et de magistrats de parquet.
De son côté, le Conseil consultatif de la magistrature s’est prononcé négativement à propos du projet de réforme. Il l’a toujours jugé flou, regrettant qu’aucune analyse des coûts et des bénéfices n’ait été effectuée et estimant qu’il n’est pas sûr que les élargissements d’échelle prévus permettent de réaliser des économies. Il considère encore que, pour être efficace, la mobilité des magistrats doit être volontaire. Attention aux déplacements assimilables à des sanctions disciplinaires déguisées, dit-il. La mobilité doit être compatible avec la situation personnelle, familiale et professionnelle du magistrat, poursuit le Conseil.
De son côté le Conseil supérieur de la Justice a rendu un avis assez critique lui aussi. Enfin, l’Association syndicale des magistrats (ASM) n’a pas mis de gants pour dire tout le mal qu’elle pensait du projet de réforme. Hervé Louveaux, son président, et Thierry Marchandise, son porte-parole, regrettent qu’il n’ait pas l’objet d’une concertation avec les acteurs du monde judiciaire.
Les deux dirigeants de l’ASM ne sont aucunement hostiles au principe d’une réforme et ils rappellent que l’ASM a fait des suggestions en ce sens à la Ministre de la Justice, Annemie Turtelboom. Suggestions qui n’ont pas été prises en compte, « comme si la ministre estimait, a priori, que nous ne sommes pas capables de formuler des propositions intelligentes », remarque Thierry Marchandise.
Au sujet de la mobilité des magistrats, le projet laisse beaucoup à désirer aux yeux des patrons de l’ASM. « Il est même dangereux », disent-ils. Ils reprochent au Gouvernement de n’avoir jamais évalué le système actuel. Et ils s’insurgent contre la possibilité offerte aux chefs de corps de déplacer un magistrat simplement parce que celui-ci le dérangerait. « Les déplacements vont être possibles hors le consentement des intéressés et sans aucune motivation. C’est extrêmement inquiétant pour l’indépendance des juges.
Voudrait-on créer une magistrature à la soviétique, une magistrature aux ordres du pouvoir qu’on ne s’y prendrait pas autrement… », scandent MM. Louveaux et Marchandise, qui ajoutent : « Nos membres sont écœurés. Ils craignent une insécurisation grandissante. La crainte est que l’on transforme les magistrats en juges serviles ». « L’ASM avait pourtant des idées en la matière », explique Hervé Louveaux. « Notamment la création d’une équipe de magistrats remplaçants, des juges ‘volants’ volontaires qui auraient mis leurs compétences au service des juridictions en fonction des besoins de celles-ci. Mais la mobilité que la réforme encourage est d’une tout autre nature. Elle ne permettra même plus aux chefs de corps de savoir quels effectifs ils auront à leur disposition. Ce sera déstabilisant pour les magistrats et contre-productif pour le justiciable ». En tout cas, la refonte du paysage judiciaire n’a pas réglé d’autres questions épineuses comme celle de l’informatisation de la justice, celle de la création d’un tribunal de la famille ou celle d’un meilleur contrôle des frais de justice.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 6 avril 2013 à 15:48
Créer ou plutôt rétablir une magistrature au service et sous contrôle véritable des citoyens, que voilà un objectif indispensable. La "justice" est devenue "un état dans l’état" et cela il faut impérativement l’arrêter et l’empêcher plus avant. Si la magistrature était exemplaire, irréprochable, nous n’aurions pas tant de griefs à son égard mais depuis trop longtemps et surtout trop souvent son image est mise à mal de par ses acteurs eux-mêmes. Si le système judiciaire fonctionnait tellement bien, il n’y aurait pas lieu de le revoir de façon approfondie. Il suffirait de l’aménager, de l’améliorer mais il est grand temps voir urgent de le réparer voire de le reconstruire (cfr. dans le texte "la refonte du paysage judiciaire"). Au même titre que pour n’importe quel(le) travailleur(-se), la mobilité et ses inconvénients font désormais partie du contrat. Ce qui me "choque", pour autant que cela soit vrai, c’est l’absence de concertation invoquée mais une fois de plus, c’est le lot de milliers de travailleurs : c’est le patron, le financier, le banquier, les actionnaires qui décident. Me considérant comme actionnaire de la fonction publique, j’estime avoir un droit de regard, de décision et d’expression au même titre que nos dirigeants. Les fonctionnaires, quels qu’ils soient, doivent rester à notre service et cela dans les meilleurs conditions pour nous, les citoyens. A eux de s’adapter aux nouvelles règles.
Martin Le 7 avril 2013 à 10:12
Miais vous avez un droit de regard et d’expression. Il s’exprime tous les 4 ans pour le fédéral et à une autre périodicité pour les autres niveaux de pouvoir. C’est le principe de la démocratie représentative. Tant pis si cela ne vous plait pas !
Les magistrats sont des êtres humains et comme dans n’importe quel groupement humain, il y en des très bons, des bons et des moins bons. Vous ne pouvez pas mettre tous les oeufs dans le même panier dès lors que vous avez vécu personnellement une mauvaise expérience, à juste titre ou non, avec le pouvoir judiciaire.
Quant à la réforme, elle est inique. On veut faire croire au brave citoyen qu’il y aura des économies d’échelle parce qu’on va supprimer toute une série de fonctions dirigeantes et permettre la mobilité des magistrats (attendons l’avis du conseil d’Etat sur ce dernier point eu égard au principe d’inamovibilité) mais c’est une tromperie. Beaucoup de magistrats vont donc passer du temps dans leur voiture (avec déduction des Km à la clé via les contributions. Bonjour les économies...) et cela n’arrangera certainement l’arriéré existant dans certaines juridictions.
Gisèle Tordoir Le 7 avril 2013 à 16:27
Avoir le droit de regard et/ou de m’exprimer, limité aux périodicités que vous mentionnez, ne correspond en rien au principe de démocratie auquel je suis attachée. C’est bien trop peu, bien trop restrictif. Contrairement à ce que vous semblez comprendre, ce n’est hélas pas uniquement la regrettable expérience que j’ai connue personnellement qui me fait réagir. De façon régulière (trop souvent), je suis consternée par des jugements intervenus et des décisions prises (e.a. emprisonnement pour des faits qui a mon sens ne le requièrent pas, condamnation de la victime aux frais de justice comme dans le sujet faisant l’objet du précédent débat, acceptation du port du voile pour motif "égalité des chances" (sujet "Héma", etc...). Je l’ai écrit, dans mon intervention (qui a visiblement disparu) au sujet précédent," Les victimes de viol doivent-elles craindre d’être condamnées aux frais de justice ? La Justice fait prévaloir l’équité sur la lettre de la loi
par Maryse Alié, le 2 avril 2013 " : ..."Je suis persuadée qu’il existe encore des magistrats, des juges, des avocats, des policiers, des enquêteurs, des fonctionnaires pour qui rendre la meilleure justice reste le cheval de bataille." Toujours pour vous répondre : d’une part, je n’ai pas pour habitude de mettre tous les oeufs dans le même panier mais bien d’appeler un chat, un chat. D’autre part, je ne manque aucune occasion pour exprimer mes choix, les élections en font partie mais soyons réalistes, elles ne sont nullement la garantie "de la démocratie représentative" (pour reprendre vos termes) du fait des alliances pré- ou post-organisées. La refonte du système judiciaire fait partie, à mon sens, d’une prise de conscience collective de toutes les choses qui ne fonctionnent pas idéalement alors qu’elles sont d’une importance capitale.
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skoby Le 6 avril 2013 à 14:41
Je dois avouer que je suis perplexe. Je suis tout-à-fait d’accord avec les opposants aux nouveaux projets, car ils n’ont pas été consultés alors qu’ils sont concernés par les décisions prises. Ceci sans être à même de juger la valeur des mesures prises.
Il me paraît évident que la Justice de notre pays est depuis longtemps l’enfant pauvre de nos politiques. Mais les obligations futures de devoir se déplacer, n’est-il pas un peu exagéré ? Des milliers d’ouvriers, d’employés, de cadres doivent parfois se déplacer en fonction de l’organisation de leur société. De plus, quelques magistrats ont semble-t-il posés quelques problèmes, au sujet d’une Justice parfois corrompue, voire laissant traîner des dossiers afin qu’ils soient classés pour motif de prescription.
Donc, si la Justice veut avoir son mot à dire, il faut aussi qu’elle soit irréprochable, ce qui ne semble pas être le cas. Conclusion : Torts partagés ????
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