Quand Google numérise des livres, respecte-t-il la législation sur les droits d’auteur ? Selon la justice américaine, oui…

par Edouard Cruysmans - 22 janvier 2014

La justice américaine a rendu un verdict à la suite d’une longue procédure judiciaire opposant le géant de l’internet Google au Syndicat des auteurs (Authors Guild). L’enjeu du litige était extrêmement sensible : il s’agissait de valider ou non le gigantesque projet de numérisation de livres par Google. Il semble qu’à l’heure actuelle, 20 millions d’écrits ont déjà fait l’objet d’une telle numérisation !

Le juge américain a donné raison à Google, estimant que ce projet constituait une « utilisation équitable » (fair use) des œuvres au regard de la législation sur les droits d’auteur.

Explications par Edouard Cruysmans, assistant à l’Université catholique de Louvain, assistant à l’Université Saint-Louis–Bruxelles

Voici huit ans, un recours collectif avait été introduit devant la justice américaine par plusieurs auteurs à l’encontre de Google, dans le but de mettre un terme au projet de numérisation de livres qui, selon eux, violait leur droit d’auteur. Au moment de la numérisation, un certain nombre de livres n’étaient en effet pas encore tombés dans le domaine public.

Les droits d’auteur sont accordés à toute personne à l’initiative d’une œuvre originale ayant fait l’objet d’une mise en forme particulière. Dès lors que ces conditions sont respectées, ce qui est évidemment le cas pour les œuvres littéraires telles que numérisées par Google, l’auteur bénéficie d’une exclusivité d’exploitation de son œuvre pendant une période déterminée.

Cette période d’exclusivité oblige tout tiers, souhaitant notamment reproduire l’œuvre par voie de numérisation, de demander préalablement une autorisation et éventuellement de négocier une rétribution avec l’auteur. A la fin de ce délai, l’œuvre tombe alors dans le domaine public, le monopole d’exploitation arrivant à terme.

Cette exclusivité est toutefois limitée par certaines exceptions. Dans son jugement, le juge américain a fait usage de la « fair use exception » (l’exception d’utilisation équitable). Elle permet d’outrepasser les règles d’exclusivité à la suite d’un examen par le juge de quatre critères : l’objectif et la nature de l’utilisation, la nature des éléments protégés par le copyright, l’ampleur de la partie utilisée en rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée, ainsi que les conséquences de cette utilisation sur le marché potentiel des livres. Soulignant notamment que Google Books a permis de transformer le texte de ces ouvrages en données exploitables pour la recherche, que l’usage des extraits ne concurrencent en rien les livres eux-mêmes, que les œuvres encore protégées ne sont pas disponibles dans leur intégralité mais bien par extraits, et que le programme n’occasionne aucune perte sur le marché des livres mais au contraire a permis d’en augmenter les ventes, le juge américain conclut que le programme Google books est justifié par la « Fair Use Exception », et déboute le syndicat des auteurs.

La solution fut tout autre dans un litige similaire tranché par la justice française. Faisant application du droit français (et non pas du droit américain revendiqué par Google notamment dans le but de pouvoir bénéficier de la « fair use exception »), le juge avait condamné Google pour non respect de la législation française. L’analyse notamment de l’exception organisée pour les courtes citations à des fins d’information n’avait pas permis à Google de justifier la numérisation et la mise en ligne des œuvres encore protégées.

Ces litiges opposant Google aux éditeurs et auteurs sont au centre de débats importants. L’avènement d’internet et la création de Google Books représentent sans conteste une opportunité permettant la diffusion des œuvres culturelles. Toutefois, cette propagation à grande échelle doit absolument tenir compte de l’exclusivité octroyée aux auteurs, qui tirent souvent de cette période une source non négligeable de revenus. Enfin, rappelons que l’application stricte de droits d’auteur, dont les périodes d’exclusivité prévues diffèrent d’un Etat à l’autre (les Etats-Unis et la France ou la Belgique ne prévoient pas le même délai d’exclusivité), s’avère complexe dans un univers numérique qui ne connaît aucune frontière.

Votre point de vue

  • Georges-Pierre TONNELIER
    Georges-Pierre TONNELIER Le 25 janvier 2014 à 21:51

    De plus en plus, la législation devra s’adapter au caractère universel de la culture, que la technologie a affranchie des limites matérielles pour la rendre accessible à tous.

    Georges-Pierre TONNELIER
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://www.tonnelier.be/

    • Camargue
      Camargue Le 19 avril 2014 à 08:21

      Si écrire ne rapporte plus rien, qui écrira ?

    Répondre à ce message

  • Lorenzo
    Lorenzo Le 23 janvier 2014 à 14:52

    Cher Monsieur Cruysmans,

    Merci pour votre article très intéressant.
    Serait-il possible d’obtenir les références des décisions de justice que vous citez ?

    Cordialement,

    Lorenzo Godeaux

    Répondre à ce message

  • Guy Laporte
    Guy Laporte Le 22 janvier 2014 à 18:00

    Merci à Monsieur Cruysmans pour ses explications éclairantes sur cette question juridique d’actualité. L’évolution technologique pose sans cesse au droit des questions nouvelles et délicates auxquelles le législateur et le juge sont appelés à apporter des réponses.
    Guy Laporte
    {}Président de tribunal administratif honoraire (fr)

    Répondre à ce message

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