Le mandat d’arrêt européen, outil de coopération pénale entre les États membres de l’Union européenne

par Anne Weyembergh - 25 juin 2014

À l’occasion de l’arrestation de Mehdi Nemmouche après l’attentat au Musée juif de Bruxelles le 24 mai 2014, la presse a évoqué le mécanisme du mandat d’arrêt européen qui a été mis en œuvre par la Justice belge à cette occasion.

De quoi s’agit-il ?

Anne Weyembergh, professeur à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de la coopération pénale au sein de l’Union européenne, nous l’explique.

1. L’attaque meurtrière du Musée juif de Belgique le 24 mai 2014 et l’arrestation de Mehdi Nemmouche ont mis la coopération européenne à la une.

Il a notamment été question de l’abolition des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen, du renforcement des contrôles aux frontières extérieures, des échanges d’informations dans le cadre de la coopération policière ou de la coopération entre services de renseignements.

2. Quant à la coopération judiciaire pénale, elle a également été au centre de l’attention. C’est tout particulièrement vrai pour la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d’arrêt européen et les procédures de remise entre États membres de l’Union européenne (la « décision-cadre » est l’instrument législatif européen imposant aux États membres d’intégrer dans leur droit national les règles de coopération pénale qu’elle énonce ; depuis le Traité de Lisbonne, ce type d’instrument est dénommé « directive », comme dans les autres matières de droit européen). Négocié et adopté peu de temps après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, cet instrument est actuellement en vigueur dans les 28 Etats membres de l’Union européenne. Il établit entre ces Etats un régime de remise souple et rapide qui se substitue aux procédures extraditionnelles classiques, qui sont lourdes et lentes.

3. Parmi les principales améliorations apportées on mentionnera la « judicialisation » des procédures. Alors que le pouvoir exécutif exerce un rôle décisionnel important dans les procédures extraditionnelles classiques, cette phase politique est supprimée. La nouvelle procédure opère en effet entre autorités judiciaires.

4. Une nette accélération des procédures doit également être signalée. Elle résulte, d’une part, d’un allègement des formalités à accomplir. Alors qu’auparavant il fallait d’abord émettre un mandat d’arrêt international et ensuite une demande d’extradition, le mandat d’arrêt européen vaut à la fois demande d’arrestation et demande de remise. L’accélération précitée résulte, d’autre part, de la fixation de délais contraignants dans lesquels la décision d’exécution du mandat et la remise de la personne doivent intervenir. Selon une évaluation faite par la Commission européenne en 2011, alors qu’auparavant une extradition prenait en moyenne une année, le délai moyen d’une remise va de 14 à 17 jours lorsque les personnes concernées consentent à leur remise et s’élève à 48 jours dans les autres cas.

De tels consentements ne sont pas rares puisque, toujours selon la Commission, entre 51 % et 62 % des personnes ont consenti à leur remise pour les années 2005 à 2009. Nemmouche n’ayant pas consenti à sa remise, la procédure sera plus longue mais sera malgré tout beaucoup plus rapide qu’antérieurement.

5. Par ailleurs, si le mandat d’arrêt européen maintient certains motifs permettant aux autorités d’exécution de refuser la remise, il les a néanmoins fortement réduits par rapport aux procédures extraditionnelles classiques. Le motif de refus fondé sur la nature politique des infractions par exemple a été aboli. Le motif de refus fondé sur l’exigence de la double incrimination a été partiellement supprimé, à savoir pour les infractions qui sont punies dans l’État membre d’émission d’une peine privative de liberté d’un maximum d’au moins trois ans et qui correspondent dans ce droit à un des 32 comportements énumérés dans la décision-cadre ; l’exigence, ainsi abolie pour ces comportements, de la « double incrimination, signifiait que ces derniers devaient figurer dans la législation pénale des deux États concernés (celui qui demande l’extradition et celui qui examine s’il y a lieu d’y satisfaire) comme constituant des infractions.

6. Traditionnellement, la plupart des États membres de l’Union européenne n’extradent pas leurs nationaux. C’est une des raisons qui expliquent pourquoi Nemmouche, de nationalité française, préfère rester en France puisque les autorités françaises devraient refuser sur cette base une éventuelle extradition vers un Etat tiers à l’Union européenne, comme l’État d’Israël qui a aussi un intérêt à le poursuivre et à le juger puisque deux des victimes de l’attaque étaient israéliennes.

Entre États membres de l’Union européenne, ce motif de refus a été fortement restreint. Il demeure toutefois sous une forme allégée. Ainsi, par exemple, lorsqu’il s’agit d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites comme dans le cas de Nemmouche, les autorités françaises ne pourraient plus refuser sa remise sur la seule base qu’il est de nationalité française mais elles pourraient demander qu’il revienne purger sa peine en France. Soulignons par ailleurs que, si Nemmouche est remis à la Belgique, celle-ci pourrait éventuellement l’extrader ensuite vers Israël mais à condition d’obtenir l’accord de l’État qui le lui a remis, soit la France, et à condition de respecter le droit de toute personne de ne pas être poursuivie ou jugée deux fois pour le même fait.

7. Les améliorations précitées ne sont évidemment pas étrangères au fait que le mandat d’arrêt européen est fréquemment présenté comme LA success story de l’espace pénal européen.

Ce mécanisme fait toutefois l’objet de certaines critiques et connaît des lacunes. C’est la raison pour laquelle, après dix ans d’existence, certains, dont le Parlement européen n’est pas des moindres, appellent à une révision de la décision-cadre de 2002.

Une telle proposition ne provoque toutefois pas l’enthousiasme.

Que ce soit du côté des Etats membres, des praticiens ou de la Commission européenne, on craint en effet qu’une réouverture des négociations du texte n’entraîne un retour en arrière, ce qui affecterait profondément l’espace pénal européen en construction.

Mots-clés associés à cet article : Extradition, Mandat d’arrêt européen, Schengen,

Votre point de vue

  • dégoutté
    dégoutté Le 17 novembre 2017 à 03:52

    donc si je comprend bien si on est pas en accord avec les pouvoirs d un pays européen ,dans ce cas ci politiquement ,il ny a pas de droit d asile, de refugier politique en europe
    il n y a aucun pouvoir ny opresion en europe ,ils sont les meilleur certainement
    donc tout opposant sera traite comme un terroriste ,comme un nemouche sans distinction
    donc des mots comme revolution ,démocratie ,opposition, liberté d expression ,indépendance ,vont sortir des dictionnaires européen

    que veut dire etat de droit en europe ,plus rien depuis le retour du pouvoir feodal et ou les transactions judiciary vous Beninese de tout

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  • www.justice-en-ligne.be
    www.justice-en-ligne.be Le 26 septembre 2014 à 09:53

    Un internaute, après avoir lu l’article d’Anne Weyembergh, nous a posé la question suivante :

    « En dépit des ‘améliorations’ des procédures d’extradition, [...] comment un assassin, non pas un ‘présumé assassin’, a-t-il le droit d’accepter ou refuser une extradition ou choisir un endroit pour son extradition ? »

    Voici la réponse donnée par l’auteur :

    « Les procédures mises en place dans les différents États membres de l’Union européenne suite à l’adoption de la décision-cadre du 13 juin 2002 sur le mandat d’arrêt européen concernent, d’une part, la remise des personnes aux fins de poursuites pénales qui n’ont pas encore été jugées ni condamnées et bénéficient de la présomption d’innocence et, d’autre part, la remise des personnes qui ont été condamnées et ont été reconnues coupables par un juge du fond.

    Dans les deux cas, la personne concernée peut donner son accord à la remise, ce qui permet d’accélérer celle-ci.

    Elle peut aussi ne pas donner son accord à sa remise. Dans ce cas, les procédures suivent leur cours normal (sans accélération). Dans un tel contexte, elle peut bien entendu faire valoir ses arguments contre la remise demandée devant les autorités compétentes. Mais ce n’est en aucune manière à elle de refuser purement et simplement sa remise ou de ‘choisir’ le pays auquel il sera remis. La décision revient aux autorités compétentes. La récente remise de Nemmouche à la Belgique par les autorités françaises le démontre »

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 7 septembre 2014 à 09:49

    Mon intervention initiale (vers le 26 juin 2014) au sujet de Nemouche a fait l’objet d’un retrait sur ce site...Il est vrai que je n’y avais pas mâché mes mots...Mais à présent, on apprend d’un ex-otage français que ce gars est un monstre de brutalité, un vrai terroriste. Alors, je maintiens et maintiendrai : qu’il soit puni de façon exemplaire, de sorte à décourager définitivement tous ces assassins fanatiques...Et pourquoi ne pas appliquer la loi du talion dans pareil(s) cas ??? Ce ne serait en fait que la juste réciprocité du crime et de la peine...

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  • F. ERLICH
    F. ERLICH Le 23 juillet 2014 à 18:31

    En dépit des "améliorations" des procédures d’extradition, une femme ou un homme de loi, peut-il expliquer aux citoyens comment un assassin, non pas un "présumé assassin" a-t-il le droit d’accepter ou refuser une extradition ou choisir un endroit pour son extradition ??????.

    Merci.

    F. Erlich

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  • www.Justice-en-ligne.be
    www.Justice-en-ligne.be Le 2 juillet 2014 à 14:35

    Un des internautes visiteurs de Justice-en-ligne, après avoir lu l’article d’Anne Weyembergh, que l’on trouvera ci-avant, nous pose la question suivante :

    « Quid des paramètres pris en compte dans la décision de remise lorsque le suspect doit répondre d’actes distincts commis dans les deux pays concernés ? »

    Voici la réponse qu’a bien voulu nous donner l’auteur :

     Soit, comme dans le cas de Mehdi Nemmouche, le suspect se trouve dans un État membre A, où il est suspecté d’avoir commis des infractions et un mandat d’arrêt européen est émis dans un Etat membre B où il est suspecté d’avoir commis d’autres infractions. L’État A peut alors procéder à une ‘remise différée ou conditionnelle’. On parle de remise différée quand l’autorité judiciaire d’exécution peut, après avoir décidé l’exécution du mandat d’arrêt européen, postposer la remise de la personne recherchée pour qu’elle puisse être poursuivie dans l’État membre d’exécution (État A) ou, si elle a déjà été condamnée, pour qu’elle puisse purger, sur son territoire, une peine encourue en raison d’un fait autre que celui visé par le mandat d’arrêt européen. Au lieu de différer la remise, l’autorité judiciaire d’exécution peut remettre temporairement à l’État membre d’émission (État B) la personne recherchée, dans des conditions à déterminer d’un commun accord entre les autorités judiciaires d’exécution et d’émission ; on parle dans ce cas de remise conditionnelle.

     Soit le suspect se trouve dans un État membre A mais est suspecté d’avoir commis des infractions distinctes dans les États membres B et C, qui tous les deux émettent un mandat d’arrêt européen. On se trouve dans ce cas en présence d’un concours de mandat d’arrêt européen. L’autorité judiciaire de l’État A va devoir décider s’il exécute ces mandats d’arrêt européens et le cas échéant à quel État (B ou C) il remettra d’abord la personne. Pour effectuer un tel choix, elle devra tenir compte de toutes les circonstances et, en particulier, de la gravité relative et du lieu de commission des infractions, des dates respectives des mandats d’arrêt européens, etc. Elle pourra demander l’avis d’Eurojust, qui est l’organe européen de coordination et de coopération entre les autorités nationales dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave engagée dans l’Union européenne.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 27 juin 2014 à 16:47

    Permettez-moi de douter de l’efficacité qu’est ou que serait cet outil de coopération pénale entre les états membres de l’U.E. Depuis Schengen et l’ouverture tous azimuts des frontières, jamais autant de problèmes liés à la libre circulation des personnes...De plus, même la CEDH pourrait s’en mêler...Que de temps perdu encore ???Si le délit est commis dans plusieurs pays de l’U.E., pourquoi ne pas faire purger la peine dans celui où la peine est la plus sévère mais aussi et surtout où elle est appliquée réellement ?

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  • dominique
    dominique Le 26 juin 2014 à 19:11

    Quid des paramètres pris en compte dans la décision de remise lorsque le suspect doit répondre d’actes distincts commis dans les deux pays concernés ?

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  • skoby
    skoby Le 26 juin 2014 à 16:14

    Je trouve que dans l’espace Européen un délinquant devrait pouvoir être juger
    dans le pays où il a commis ses délits, et également y purger sa peine.
    A quoi sert l’Union Européenne, s’il faut perdre des semaines et des mois de discussions
    stériles.

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