Les legal clinics, nouvel instrument d’enseignement du droit, au service des justiciables ?

par Sophie Colmant - 4 août 2014

L’aide juridique est à bout de souffle en Belgique.
C’est sans doute le moment de s’interroger sur de nouvelles méthodes permettant d’y subvenir.

Les legal clinics, qui fleurissent notamment aux États-Unis, pourraient offrir une piste de réflexion, d’autant qu’elles permettent aussi de renouveler l’enseignement du droit.

De quoi s’agit-il ? Quels sont les défis, financiers, déontologiques et autres, que ces legal clinics représentent ?

Sophie Colmant, avocat à Bruxelles, qui a réfléchi à ces questions, nous en parle. Le détail de ses réflexions est à lire dans un article qu’elle vient de publier au Journal des Tribunaux du 28 juin 2014.

Une legal clinic est un département d’une faculté de droit, dirigé par des professeurs dont certains voire la plupart sont également avocats, qui poursuit un double objectif, pédagogique et social.

Il est donné la possibilité aux étudiants qui y sont inscrits de travailler sur des cas réels sous la supervision de leurs professeurs, mettant en pratique les notions théoriques enseignées durant les cours. Le but est de parfaire leur formation et mieux les préparer à la vie active.

Les personnes conseillées, souvent défavorisées, sont assistées gratuitement.

Les toutes premières legal clinics se sont développées aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Ce n’est toutefois que dans les années 1960 qu’elles se sont multipliées dans leur forme actuelle ; elles sont maintenant très répandues outre-Atlantique. D’autres pays ont commencé à adopter le concept à partir des années 1970 puis de manière plus systématique dans les années 1990 (Royaume-Uni, Afrique du Sud, Pologne, etc.).

En Belgique, le constat est clair : il n’existe pas encore de legal clinic à proprement parler ; toutefois, à la date de la rédaction du présent article, un projet pilote concentré sur des dossiers de défense des droits de l’homme devrait voir le jour dans le courant de l’année académique 2014-2015 à l’université de Gand.

Quel serait l’intérêt de mettre en place un tel système dans nos universités ?

D’un point de vue pédagogique, celui-ci est indéniable. Les étudiants peuvent intervenir dans différents types de dossiers, afin de développer chaque fois diverses compétences : contentieux devant les juridictions, négociation de transactions, médiations. Ils rencontrent le client avec le professeur, effectuent les recherches nécessaires, établissent une stratégie, rédigent des écrits de procédure et dans certains cas, quand cela est permis, représentent avec le professeur le client devant les juridictions.
Et d’un point de vue social ?

Les dossiers étant traités pro bono, totalement gratuitement, les services fournis aux justiciables sont une forme d’aide juridique. Et si les legal clinics ont débuté dans l’objectif de dispenser un enseignement clinique, faisant de l’aide juridique plus une conséquence qu’un but en soi, certaines ont même ensuite vu se développer en leur sein (aux Etats-Unis à tout le moins) des activités d’aide juridique sans lien académique. Les professeurs-avocats viennent alors en aide à une certaine catégorie de justiciables, selon la politique et les valeurs défendues par l’université, sans toutefois que des étudiants ne prennent forcément part à la défense des clients.

Les domaines traités sont variés : conflits conjugaux, femmes ou enfants victimes d’abus, litiges locatifs, surendettement, aide aux PME en difficultés, défense pénale (et révision de procès, erreurs judiciaires), droit pénal international, droits de l’homme (droits civils et politiques), jeunesse, environnement, droits des petits actionnaires et escroqueries, droit des étrangers, etc.

Les sujets peuvent parfois être très sensibles : responsabilité d’entreprises au niveau environnemental, mise en cause des autorités, client condamné à la peine de mort (aux États-Unis essentiellement), etc. Les legal clinics mènent alors deux combats de front : la défense des intérêts de leurs clients, et le lobbying législatif, en formulant des propositions concrètes de réformes. Elles s’associent ainsi parfois à des ONG locales ou internationales dans la défense de valeurs et groupes communs.

Un intérêt social a priori certain, donc. D’aucuns pourront arguer du fait que les legal clinics s’étant d’abord développées dans des pays où de nombreuses personnes, quoique indigentes, sont exclues de l’aide juridique, l’outil serait redondant dans les systèmes qui à l’inverse rendent déjà l’aide juridique accessible au plus grand nombre, comme en Belgique. Mais l’actualité des dernières années, nous renvoyant systématiquement l’image d’avocats « pro deo » en colère réclamant devant nos palais de justice un refinancement d’une aide juridique dite à bout de souffle, démontre la nécessité d’une réflexion plus profonde sur la mise en œuvre optimale du droit à l’accès à la justice. Les legal clinics ne seraient pas envisagées comme une alternative au système traditionnel d’aide juridique, mais comme un petit poumon complémentaire.

Mais avant de voir des justiciables venir frapper aux portes de nos universités afin d’être conseillés et défendus gratuitement devant nos juridictions, de nombreux défis devront être relevés. Il ne s’agit pas de réaliser un simple copier-coller inadapté de ce qui existe outre-Atlantique.

Notre droit ne permettra sans doute pas sans modification cette nouvelle forme d’aide juridique de seconde ligne ; l’indépendance des professeurs-avocats sera peut-être mise à mal ; le statut de l’étudiant intervenant activement dans le dossier contreviendra probablement au monopole de représentation des avocats, aux règles de confidentialité, etc.

L’étude de la faisabilité financière demandera aussi beaucoup d’imagination et de recherches. Si les étudiants ne sont pas rémunérés (mais peuvent être défrayés), le ratio étudiants/professeur diminue drastiquement dans ce genre d’enseignement, qui demande une supervision très rapprochée, augmentant la charge salariale pour l’université, entre autres coûts. Il faut également trouver suffisamment de professeurs qualifiés qui sont également avocats, adapter les règles déontologiques, établir une méthode d’évaluation des étudiants, etc.

Mais le double objectif pédagogique et social des legal clinics ne mérite-t-il pas que l’on tente de relever le défi ? Les legal clinics pourraient-elles être une manière d’améliorer non seulement la qualité de l’enseignement du droit en Belgique, mais également les conditions d’accès à la justice ?
Le débat est ouvert.

Mots-clés associés à cet article : Aide juridique, Enseignement, Pro deo, Clinique juridique, Legal clinic, Université,

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 8 août 2014 à 12:57

    Tout progrès est bon à prendre, surtout dans un pays où il y a encore tellement
    à faire pour que l’on puisse parler d’une Justice qui fonctionne bien et dont on
    aimerait être fière !

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 6 août 2014 à 16:19

    Si l’initiative d’améliorer la qualité de l’enseignement du droit semble intéressante, peut-être même indispensable, je ne vois pas en quoi cela devrait ou pourrait être lié à l’aide juridique, à la gratuité sous certaines conditions pour certains (=jamais pour tous...), à l’accès plus aisé à la justice...Je suis totalement opposée à la gratuité en quelle que matière que ce soit, d’autant plus pour la matière juridique. Déjà qu’elle fonctionne mal quand on la paie, on imagine aisément si elle est rendue "pour rien"...Que nous ayions toutes et tous accès dans des conditions financières et humaines acceptables et supportables me paraît évident. Ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui...Mais la gratuité pour certains est totalement injustifiée par rapport à tous. Pourquoi certains seraient-ils totalement pris en charge alors que d’autres devraient ramer ou se voir dans l’impossibilité d’utiliser la justice ? Le monde judiciaire a vraiment besoin d’un lifting et/ou d’un remodelling, d’une intervention "chirurgicale physique et spirituelle" en profondeur...De là l’idée de legal clinic, peut-être ??? A mon avis, pour que l’alchimie fonctionne, il faut reconstruire, refaire les bases de cette architecture importantissime qu’est la justice...Améliorer vaut mieux que la laisser se déliter mais je pense sincèrement que l’on ferait mieux de tout recommencer, de repartir sur de nouvelles bases, de faire table rase de ce qui ce fait aujourd’hui...Reculer pour mieux avancer n’est pas forcément une faiblesse...La citoyenne que je suis ne se retrouve vraiment pas dans le système actuel...Alors "legal clinic", cela me fait sourire, pour rester polie. Devons-nous, une fois de plus, copier ce qui se fait ailleurs ???Remettons-nous en question plutôt que devenir des clones d’autres nations...J’ose espérer que nous en avons les moyens et la volonté.

    • Gisèle Tordoir
      Gisèle Tordoir Le 7 août 2014 à 14:49

      Erratum d’orthographe . ..."tout ce qui se fait..." (et non ...ce fait...". Corrigé. Gisèle Tordoir

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  • Georges-Pierre TONNELIER
    Georges-Pierre TONNELIER Le 4 août 2014 à 17:15

    Il faut aussi signaler que, bien souvent, la différence est grande entre la théorie du droit enseignée à l’université, et sa pratique devant les tribunaux. L’applicabilité pratique, matérielle, et psychologique, des grandes constructions juridiques est également à revoir : combien de nos droits, théoriques, ne sont-ils, en pratique, que difficilement mis en œuvre, ne serait-ce que pour la simple et bonne raison qu’intenter une action en justice revient souvent plus cher en frais d’avocat - et ce, malgré la répétibilité des honoraires - que ce que l’on peut espérer en retirer comme dommages et intérêts. De même, le temps que prennent la plupart des procédures est totalement décourageant pour le citoyen.

    Georges-Pierre TONNELIER
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    https://twitter.com/GP_Tonnelier

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